Emmanuel Macron s’en est convaincu, son plan se déroule sans accroc. Trois jours après avoir pressé le bouton de l’article 12 de la Constitution, il constate que les Français approuvent son choix de dissoudre l’Assemblée nationale – 66 % des sondés, selon une enquête Ifop réalisée mardi 11 juin. Mieux, ce geste vertigineux aurait déjà permis une grande «clarification». «Depuis dimanche soir, les masques tombent et la bataille des valeurs éclate au grand jour», se réjouit le président de la République, mercredi 12 au matin, lors d’une conférence de presse convoquée dans une classieuse salle de réception à quelques rues de l’Elysée. Dans son univers parallèle, la dissolution n’est pas un pari insensé. «Une décision très rationnelle contrairement à certains sous-entendus», débriefera ensuite son entourage, démentant toute (sur)réaction «à l’émotion». Pour se justifier, Macron dépeint une Assemblée nationale bloquée faute de majorité absolue, contredisant la fable racontée depuis deux ans par ses ministres qui énuméraient les projets de loi votés malgré tout. Il assure qu’une motion de censure pendait au nez du gouvernement à l’automne et invoque la performance électorale des «extrêmes» aux élections européennes, autour de «50 %», mettant trivialement dans le même sac le Rassemblement national (RN), Reconquête, les petites listes souverainistes… et La France insoumise (LFI).
Alors va pour la table rase. «Indécrottable optimiste», le joueur de poker de l’Elysée croit au «sursaut» face au risque inédit d’une victoire de l’extrême droite. Comme si la vague brune qui a mis Jordan Bardella en tête dans 93 % des communes lors du scrutin du 9 juin, allait miraculeusement refluer en trois semaines. Aux premières loges, tout juste sortis d’un Conseil des ministres presque ordinaire, les membres de son gouvernement, mines préoccupées, n’attendent que la fin de la conférence de presse pour rappliquer dans leurs circonscriptions remises en jeu. Comme les députés sortants, «qui ont le sentiment d’aller à l’abattoir», lâche une ministre. Qu’importe si l’écrasante majorité se garde bien d’afficher la photo d’Emmanuel Macron sur les tracts imprimés en catastrophe, tandis que les chefs du Modem et d’Horizons, François Bayrou et Edouard Philippe, déconseillent au Président de s’exposer ces prochaines semaines. Il s’offre un seul en scène d’une heure trente. Avant de confier les rênes de la campagne au Premier ministre, Gabriel Attal, il en fixe les thèmes et les messages. En gros, lui ou le chaos.
Lapsus
«Nous avons des alliances contre-nature, aux deux extrêmes qui ne sont d’accord à peu près sur rien, sinon des postes à partager», condamne-t-il. Les lignes de partage du paysage politique sont très grossièrement tracées, pour effrayer. D’un côté, «l’extrême gauche», étiquette que le Président colle au Front populaire, l’union des partis de gauche (essentiellement PS, LFI, écologistes et PCF) en cours de construction. «Une alliance qui n’est même pas baroque, qui est indécente», balaye Macron. Il mise sur l’effet repoussoir de LFI sur un électorat social-démocrate en accusant les troupes de Jean-Luc Mélenchon de «propos antisémites» et d’«antiparlementarisme» et en agitant le nombre choc de «300» investitures insoumises sur 577 circonscriptions – LFI aura en réalité 229 candidats. Piquant à la gauche ses grands hommes, Emmanuel Macron a une pensée pour Léon Blum, héraut du glorieux Front populaire de 1936, «qui doit se retourner dans sa tombe». «Macron se noie dans son flot de paroles, d’injures et de mépris contre ceux qui ne sont pas de son avis. Les Français ont déjà dit qu’ils en avaient assez», a répliqué Jean-Luc Mélenchon sur X.
Le billet de Jonathan Bouchet-Petersen
De l’autre côté, l’extrême droite, qui, à écouter Macron, aurait été rejointe par de nombreux responsables LR : «La droite, et tous ceux qui ont suivi le président des Républicains, tourne ainsi le dos en quelques heures à l’héritage du général de Gaulle, de Jacques Chirac et de Nicolas Sarkozy.» Tant pis si Eric Ciotti, exclu de son parti à l’unanimité lors d’un bureau politique, mercredi, est bien le seul à avoir vendu ses services au RN. Soit les électeurs se rangent derrière Emmanuel Macron, soit ils se compromettent avec «les extrêmes». Rien d’autre n’existe dans le nuancier présidentiel, que lui, ou «les deux autres forces de gouvernement, pardon, les autres forces d’opposition», se reprend-il dans un lapsus.
Drague lourde
A ces deux épouvantails, le chef de l’Etat oppose son «bloc central, progressiste, démocratique et républicain». Comprendre : les trois partis de la majorité, Renaissance, le Modem et Horizons, que Macron tente de remettre à flot en appelant à l’aide «des sociaux-démocrates, des radicaux, des écologistes, des démocrates chrétiens, des gaullistes». Il leur fait miroiter «une fédération de projets pour gouverner», qui ne serait pas un «qui m’aime me suive». Le chef de l’Etat tente de se présenter sous un nouveau jour, «humble», «pas parfait», prêt à faire son «mea culpa» (sur une toute petite poignée de sujets, comme le logement), désireux de négocier de bonne foi avec «les femmes et les hommes de bonne volonté», à qui il ne demande pas de se «rallier». Bref, tout ce qu’il n’a pas su ou voulu faire après les législatives ratées de 2022. Pour les amadouer, pas de programme tout prêt mais cinq axes consensuels, comme le progrès ou l’autorité de l’Etat. Même sa volonté de durcir encore les règles de l’assurance chômage, qu’il juge toujours «indispensable» n’est pas un «intangible». «Sinon on ne peut pas dire [qu’]on va négocier des choses», justifie-t-il, promettant une énième fois une méthode «radicalement nouvelle», comme si les dernières années n’avaient pas été jalonnées d’innovations bancales comme son Conseil national de la refondation ou les Rencontres de Saint-Denis. «Il s’est mis dans une position de surplomb en lançant des pistes. Maintenant c’est aux ministres, aux responsables de la majorité et aux forces républicaines de définir le projet», appuie-t-on dans son entourage. Peine perdue, en ce qui concerne le PS. «Il est la cause du chaos actuel. Je veux œuvrer à en sortir», a décliné le premier secrétaire Olivier Faure. «Emmanuel Macron n’a plus rien à dire, plus rien à proposer», a renchéri la secrétaire nationale des Ecologistes, Marine Tondelier.
Du tact, un peu. De la drague lourde, beaucoup. Au cas où les quelques amabilités à l’égard de Raphaël Glucksmann ne suffiraient pas à séduire les électeurs de centre gauche, Emmanuel Macron en fait des tonnes dans le registre de la peur. Il se lance dans une anaphore finale. «Si le RN venait aux responsabilités, égrène-t-il, il ne saurait pas financer [vos retraites], donc elles vont baisser», «les prêts immobiliers vont flamber»… Et «qu’est-ce qui se passerait pour nos compatriotes binationaux, d’origines diverses ?» ose le promoteur de la loi immigration. Lui qui vient de faire sauter l’Assemblée présente son camp comme le seul à même d’empêcher la ruine. Un refrain contre «les extrêmes» déjà entonné en juin 2022 et à l’avant-veille des européennes, en vain. Et si la nouvelle Assemblée est ingouvernable ou, pire, aux mains du RN au soir du 7 juillet ? «Vous êtes tout de même des drôles à penser que ce serait forcément l’extrême droite ou les extrêmes !» s’étonne l’énarque, ex-inspecteur des finances et banquier d’affaires, pestant contre «l’esprit de défaite» qui «a toujours été dans les élites». Elu «pour cinq ans», Macron tient à «tordre le cou» à la rumeur d’une démission en cas de cohabitation. «Je ne veux pas donner les clés du pouvoir à l’extrême droite en 2027», prévient-il encore, prenant le risque de confier celles de Matignon à Jordan Bardella dès le 7 juillet.