Menu
Libération
Décryptage

Les recours déposés devant le Conseil Constitutionnel pourraient-ils faire annuler les élections législatives ?

Elections législatives 2024dossier
Ce mardi 11 juin, deux recours ont été déposés devant le Conseil Constitutionnel pour faire annuler le scrutin prévu les 30 juin et 7 juillet, portant sur des problèmes de délais. Un troisième recours concernant l’inscription sur les listes électorales devrait aussi être déposé ce mercredi.
Le Conseil constitutionnel a été saisi de plusieurs recours avant les élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet prochains. (Denis Allard/Libération)
publié le 12 juin 2024 à 17h34

Un séisme politique parti de l’Elysée, dont les secousses se ressentent jusqu’à la rue de Montpensier. Après l’annonce surprise par Emmanuel Macron de la tenue d’élections législatives les 30 juin et 7 juillet prochains, et tandis que le paysage politique se recompose depuis la décision du chef de l’Etat, une autre bataille se joue. Au niveau juridique, cette fois.

Deux recours ont été déposés ce mardi 12 juin devant le Conseil Constitutionnel contre le décret organisant le scrutin des élections législatives, qui visent en particulier leur délai très court. Vingt jours seulement pour préparer des législatives. La France Insoumise a, elle aussi, annoncé son intention de déposer ce mercredi un recours devant les Sages, au sujet cette fois du gel des nouvelles inscriptions sur les listes électorales pour les deux tours des législatives. Le Conseil constitutionnel a pour l’heure confirmé sa saisine dans un communiqué, mais ne s’est pas encore exprimé sur le fond. Libé fait le point sur ces différents recours et sur leurs chances d’aboutir.

Sur quels éléments portent ces différents recours ?

Tous les textes qui seront examinés par l’institution dirigée par Laurent Fabius portent sur le décret, daté du 9 juin 2024, concernant la convocation des électeurs les dimanches 30 juin et 7 juillet pour l’élection des députés. «Dans ces deux recours, l’un déposé par l’Association de défense des libertés constitutionnelles (Adelico) et l’autre par Olivier Taoumi, avocat inscrit au barreau de Marseille, les griefs portent en priorité sur des problématiques de délai», explique Anne Charlène Bezzina, maître de conférences en droit public. Elle poursuit : «Le temps prévu pour l’organisation de ces élections est historiquement court, car le président a choisi la fourchette la plus basse octroyée par la Constitution pour les organiser : il a fixé le délai à 20 jours». Dans son article 12, la Constitution dispose en effet que la dissolution de l’Assemblée nationale et le premier tour du scrutin doivent être séparés de «vingt jours au moins» et de «quarante jours au maximum».

En l’état, le premier tour doit se tenir le 30 juin en France métropolitaine. La dissolution, elle, a été effective le 9 juin. Or, il y a un hic : un vote anticipé est prévu dès le samedi 29 juin dans certaines circonscriptions, notamment en Outre-Mer et à l’étranger. Ces scrutins ne respecteraient donc pas les 20 jours de délai mais 19 seulement. «Le choix d’organiser le premier tour le dimanche 30 juin porte gravement atteinte à la sincérité du scrutin», établit ainsi le recours de l’Adelico, qui met en avant cette irrégularité concernant certains territoires. Pour les Français établis à l’étranger, le vote par procuration et le vote électronique «ne peuvent pas être organisés dans des conditions de sécurité optimale», tranche aussi Jean-Baptiste Soufron, membre d’Adelico. C’est également ce que souligne le deuxième recours déposé par l’avocat Olivier Taoumi.

Par ailleurs, la «non-conformité» de ces élections législatives est également pointée du doigt au regard de l’article L157 du droit électoral. Cette loi, qui encadre le scrutin, mentionne que «les déclarations de candidatures doivent être déposées» à la préfecture «au plus tard à 18 heures le quatrième vendredi précédant le jour du scrutin». En prévoyant des élections le 30 juin, les candidatures auraient dû théoriquement être déposées le 7 juin. Or elles l’ont été le 9 juin.

Enfin, un troisième recours devrait être déposé ce mercredi par LFI. Il porte sur ce même décret de convocation des élections et proteste contre le gel des nouvelles inscriptions sur les listes électorales pour les deux tours des législatives. «Emmanuel Macron prive ainsi des millions de personnes de leur droit de vote», dénonce le parti dans un communiqué.

Ces recours ont-ils des chances d’aboutir ?

Selon Benjamin Morel, politiste et constitutionnaliste, «aucun de ces recours n’a vraiment une chance de faire annuler les élections». Tout d’abord, concernant le premier point – portant sur les incompatibilités de calendrier pour les territoires d’outre-mer – le professeur de droit public explique que «concernant le délai minimum de 20 jours prévu par la Constitution, nous pourrions estimer que c’est 20 jours en tenant compte de l’heure de Paris». Ce faisant, selon lui, «une partie du scrutin doit être anticipée dans les Outre-mer, et ce pour des raisons d’intérêt général».

Néanmoins, les Sages de la rue de Montpensier pourraient considérer que «l’impératif d’intérêt général prévoyant de faire voter l’Outre-mer avant la métropole» ne peut plus prévaloir. Dans ce cas de figure, «le seul qui a vraiment des chances d’aboutir», «on voterait déjà en métropole, puis en Outre-mer», afin de respecter les délais, explique Benjamin Morel.

Ensuite, l’argument reposant sur l’incompatibilité des dates du scrutin avec les dispositions du code électoral s’apprêterait lui aussi à être rejeté d’un revers de main par l’institution. «Ces élections sont organisées dans l’illégalité par rapport au code électoral, comme les dates de candidatures sont théoriquement dépassées. Toutefois, l’article 12 de la Constitution fixe que les élections peuvent avoir lieu dès 20 jours après la dissolution. En cela, le scrutin se trouve dans les clous. Le problème vient plutôt du fait que la Constitution et le code électoral sont incompatibles», détaille le constitutionnaliste. Et de poursuivre : «puisque la Constitution est au sommet de la hiérarchie des normes, elle l’emporte sur la validité du code électoral. Le décret, qui respecte les délais imposés par la Constitution, est donc valide». Trancher en faveur de ce recours reviendrait ainsi à vouloir réviser la Constitution.

Enfin, concernant le recours potentiel de la France Insoumise, Benjamin Morel se dit là aussi «extrêmement dubitatif». L’objectif de cette règle du gel des inscriptions électorales serait seulement «de permettre la bonne organisation du vote et de s’assurer que les listes soient à jour le jour du vote».

Si l’un de ces recours est validé, que se passe-t-il ?

Puisqu’il n’y a pas de jurisprudence en la matière, il apparaît extrêmement difficile de prédire la décision des Sages, estime Lauréline Fontaine, professeur de droit public et constitutionnel. Mais si l’un de ces recours venait à être jugé valide par le Conseil Constitutionnel, le «ministère de l’Intérieur se verrait dans l’obligation de prendre un nouveau décret de convocation des électeurs», souligne-t-elle.

Ce nouveau décret devra toutefois toujours s’inscrire «dans les dates fixées par la Constitution», et «ne pourra pas excéder la période de 40 jours après la date du 9 juin», décrypte Anne Charlène Bezzina. Or, le dimanche suivant est un jour férié, le 14 juillet. Un jour de fête nationale avec des cérémonies et des défilés, au cours duquel il serait périlleux d’organiser des élections. Les reporter aux deux dimanches suivants, les 21 et 28 juillet, outrepasserait alors le plafond légal des 40 jours.