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Libération
Reportage

Manif anti-Zemmour à Paris : «Au point où on en est, il faut lutter, sans s’arrêter»

Plusieurs milliers de personnes ont marché ce dimanche entre Barbès et la Villette tandis que le candidat d’extrême droite tenait son premier meeting de campagne à Villepinte. Un rassemblement déterminé qui s’est déroulé dans le calme.
Cette manifestation, prévue entre Barbès et la Villette, devait déboucher sur le premier meeting de campagne au Zénith du candidat d’extrême droite. (Stéphane Lagoutte/Libération)
publié le 5 décembre 2021 à 18h47

Pour «faire taire Zemmour», il fallait d’abord braver la pluie. À 13 heures, les plus courageux se tassent sous les rails aériens du métro Barbès. Les badauds qui veulent passer se faufilent entre les pancartes et les drapeaux. «C’est pourquoi tout ça ?» demande un curieux. «C’est contre le fascisme, contre Eric Zemmour», répond un manifestant. «Ah c’est bien ça, il ne faut pas qu’il passe, lui !» clame le passant en s’engouffrant dans les bouches du métro.

Quand la pluie cesse et que la rue se dégage, l’ensemble est tout de même bien clairsemé malgré le bruit des militants en tête de cortège qui entonnent des chants antifascistes. «Entre la pluie et la délocalisation du meeting de Zemmour à Villepinte, c’était sûr qu’on perdrait quelques personnes en chemin, glisse Raphaël Arnault, porte-parole de Jeune Garde, un récent mouvement antifasciste à l’origine de l’appel à manifester avec la CGT et Solidaires. Il y a 64 organisations qui ont répondu présent, on va être bien plus nombreux.»

Cette manifestation, prévue entre Barbès et la Villette, devait déboucher sur le premier meeting de campagne au Zénith du candidat d’extrême droite. Sauf que mercredi, l’équipe de Zemmour, qui s’est déclaré cette semaine, a annoncé que le meeting se tiendrait finalement à Villepinte, officiellement pour répondre à une trop grande affluence. En réalité, le candidat avait prévu un écran géant devant le Zénith qui posait des problèmes de sécurité évidents en cas de confrontation avec les manifestants antifascistes.

«En tant que personnes LGBT, on se sent clairement en danger»

«C’est une victoire, on a réussi à virer Zemmour de Paris, scande Raphaël Arnault depuis la camionnette en tête de cortège. Et pour répondre à tous ceux qui nous accusent de vouloir priver de parole un candidat, rappelez-vous qu’on parle d’un multicondamné pour provocation à la haine raciale et religieuse !» Les manifestants applaudissent et entonnent un «tout le monde déteste Eric Zemmour» alors que le soleil pointe enfin le bout de son nez.

La marche avance doucement et semble agglomérer plus de monde, peut-être quelques passants séduits. Toujours sur son camion, le porte-parole de Jeune Garde lance des appels à l’unité de la gauche qui font rêver sans trop d’espoir les militants présents. Ici personne ou presque ne sait pour qui il votera, la plupart aimeraient voir les ego de candidats de gauche s’éteindre au profit d’une candidature commune.

«Le problème, c’est que même dans une manifestation comme celle-ci, on n’est pas unis, juge Thibault, membre d’Extinction Rebellion. Certains sont allés manifester à Villepinte plutôt que de venir ici, par exemple.» Il regrette aussi que tous ses proches, farouchement opposés à Eric Zemmour, n’aient pas fait le déplacement. «Certains disent qu’ils ne veulent pas lui donner plus de visibilité, mais il est déjà partout ! Au point où on en est, il faut lutter, sans s’arrêter.»

Constat partagé par Majdi et Jordan, drapeau arc-en-ciel posé sur les épaules. «On ne peut pas faire comme s’il n’existait pas, juge le second. Il déverse son discours de haine de manière toujours plus décomplexée, et nous, en tant que personnes LGBT, on se sent clairement en danger face à ça.» Effrayés, même, que son discours ne mène à plus de violences. «On voit de plus en plus d’infos sur des groupes d’extrême droite qui sont armés et qui sont arrêtés par les renseignements, ça fait peur.»

«C’est aussi pour ça que la Jeune Garde est apparue à Lyon en 2018, analyse Raphaël Arnault. On revendique le droit à l’autodéfense face à des groupes toujours plus organisés, toujours plus dangereux, et de moins en moins inquiétés à mesure qu’on surmédiatise des discours comme celui de Zemmour.» Il accuse la grande bourgeoisie, notamment Vincent Bolloré, d’avoir fait monter le candidat pour «récupérer son hégémonie».

«Bons gros fachos et Versaillais en mocassins»

«Zemmour, produit 100 % Bolloré», peut-on lire sur la pancarte de Clara, 18 ans. «C’est clairement lui, le responsable, avec son empire médiatique.» Venue avec son amie Camille, la jeune femme s’inquiète pour l’avenir de la France. «Même à la fac, Zemmour commence à avoir des soutiens parmi les étudiants, parmi les profs», dit celle qui a fait le déplacement depuis Toulouse. Et d’évoquer cette même anxiété, qu’on sent poindre dans le discours de nombreux manifestants. «Je suis une femme racisée, queer, son discours, c’est moi qu’il veut détruire.»

Engagée dans la lutte sociale depuis Mai 68, Simone assure n’avoir jamais senti la société française aussi raciste, aussi divisée. «A l’époque, c’était presque plus tranquille, souffle cette militante du Parti communiste. Aujourd’hui, c’est terrible à quel point on fait endosser tous les problèmes aux étrangers.» Même indignation pour Emmanuelle, syndiquée à la CGT, qui a travaillé toute sa vie auprès des sans-papiers et ne comprend pas comment un discours battu en brèche depuis trente ans peut avoir autant d’écho. «Mon seul espoir, c’est que tout cela soit une bulle, que le vote d’avril prouve que les idées de Zemmour ne réunissent pas tant de monde.»

A l’approche de la Villette, des manifestants de Villepinte débarquent à leur tour. Virés par la police, «parfois sauvagement», ils racontent avoir vu «un mélange de bons gros fachos et de Versaillais en mocassins». On souffle que des militants d’extrême droite attendent à l’arrivée de la manifestation pour en découdre. Des rumeurs qui tranchent avec la tranquillité de cette marche, souvent saluée par les riverains du nord de Paris, accrochés derrière leurs téléphones pour immortaliser la scène.

«Merci, nous étions près de 10 000 !» hurle Raphaël Arnault au bout du chemin, dans une estimation qui paraît bien gonflée, la préfecture de police ayant comptabilisé 2200 manifestants. Quelques fumigènes craquent et les mains se lèvent. Aucune menace ne plane à l’horizon. Les forces de l’ordre semblent l’avoir anticipé, leurs troupes ne sont étonnamment pas très nombreuses. «On ne lâche rien, on va faire reculer leurs idées mortifères», conclut le jeune porte-parole alors que de nouvelles gouttes commencent à tomber. L’occasion de se disperser. «T’as vu ? lance une jeune femme à son ami. Même la pluie est antifasciste.»