Jean-Luc Mélenchon se sent légitimement pousser des ailes. Les sondages le placent en troisième position. Et le candidat insoumis ne désespère pas de créer la surprise en se qualifiant pour le second tour. Une différence est manifeste avec sa précédente campagne présidentielle : il aborde cette dernière ligne droite très détendu. C’était flagrant jeudi dernier lors de l’émission politique Elysée 2022 de France 2. Manifestement averti que son image de personnalité éruptive voire colérique rebutait plus d’un électeur de gauche, fort de l’expérience de ses deux précédentes campagnes, Jean-Luc Mélenchon semblait serein, à l’aise Blaise, tranquille comme Baptiste. Trop détendu ? Il était jeudi en tout cas assez confiant pour assurer sans ciller en début d’émission que, sur l’Ukraine, il était «le seul à ne pas s’être trompé» depuis dix ans. Ah bon ?
C’est vrai que Jean-Luc Mélenchon s’est régulièrement penché sur les risques d’instabilité dans cette région du monde, et a même averti des risques de guerre. Mais ne s’est-il pas trompé en étant trop bienveillant depuis des années avec Vladimir Poutine, y compris après son intervention dans le conflit en Syrie, y compris après 2014 et l’invasion de la Crimée ? En refusant de qualifier le maître du Kremlin d’autocrate, Jean-Luc Mélenchon ne s’est-il pas trompé ? En estimant que la «menace» russe n’existait pas, ne s’est-il pas trompé ? En déclarant à quelques jours du déclenchement de la guerre, alors que des milliers de soldats russes étaient positionnés depuis des semaines à la frontière avec l’Ukraine, que le seul agresseur s’appelait l’Otan, ne s’est-il pas trompé ? En dénonçant «la propagande des Etats-Unis», manifestement plus coupable à ses yeux que celle de Vladimir Poutine, n’aurait-il pas été aveuglé par son anti-impérialisme américain et, à l’inverse, sa fascination pour l’histoire de la grande Russie ? Lui dont le discours vante depuis tant d’années la notion de souveraineté populaire et qui, à juste titre, a érigé le mot «peuple» en valeur démocratique cardinale, ne s’est-il pas trompé en sous-estimant la force d’attraction qui a poussé le peuple ukrainien à préférer le rêve européen à la camisole historique, géographique, géostratégique et politique russe ?
Quelques heures après le déclenchement de la guerre, Jean-Luc Mélenchon a fermement condamné l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine. Il y a bien pour lui un agresseur et un agressé. Très bien. Il a évidemment raison de dire, comme il l’a répété sur France 2, qu’il faut coûte que coûte préférer la diplomatie à la guerre. Comment penser le contraire ? Jean-Luc Mélenchon a aussi raison sur un autre point : il a admis sa «difficulté à faire comprendre ce qu’est le non-alignement», position qu’il revendique dans ce conflit. Elle est effectivement difficile à comprendre. Moralement, pour reprendre un vocabulaire en vogue du côté des insoumis, être non-aligné laisse songeur face à la folle guerre déclenchée par Vladimir Poutine et ses probables crimes de guerre commis depuis un mois.
Diplomatiquement, le non-aligné Jean-Luc Mélenchon s’en remet à l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), structure héritée de la guerre froide, en panne depuis des années, dont on voit mal le rôle qu’elle pourrait jouer alors qu’elle est totalement muette depuis un mois, ou à des hypothétiques Casques bleus qui viendraient protéger les centrales nucléaires ukrainiennes. C’est cohérent avec sa volonté de sortir la France de l’Otan, mais un peu court. Quels auraient été les votes d’une France non alignée au conseil de sécurité de l’ONU sur les résolutions portant sur la guerre ? L’abstention, comme la Chine ? Au-delà du conflit ukrainien, quel serait l’impact diplomatique d’une France non alignée au sein de l’Union européenne ? Le candidat insoumis ne parle plus de quitter l’Europe. Mais nul doute qu’une France non alignée se retrouverait très vite, sur un tas de dossiers, isolée par ses partenaires. Bref, ce changement majeur que représente sa position non alignée comporte bien des flous. Et comme dit l’autre, quand c’est flou, y’a peut-être un loup…