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Rassemblement national

Michel Barnier Premier ministre : à Hénin-Beaumont, Marine Le Pen en mission justification

En pleine rentrée dimanche dans son fief, la leader d’extrême droite tentait de justifier sa mansuétude envers le nouveau chef du gouvernement, alors que plusieurs médias ont révélé qu’elle avait été consultée en amont.
Marine Le Pen fait sa rentrée parlementaire à Hénin-Beaumont, le 8 septembre. (Stéphane Dubromel/Hans Lucas pour Libération)
publié le 8 septembre 2024 à 20h26

Comment passer pour une opposante au «système» quand on vient de donner son aval à Emmanuel Macron pour qu’il nomme à Matignon un ancien commissaire européen issu de Les Républicains ? Dimanche 8 septembre, entre deux pin-up peroxydées, une rangée de voitures de collection et un chanteur de rock surgominé, Marine Le Pen a étrenné la ligne de crête sur laquelle elle-même et ses ouailles vont devoir tenir en équilibre tant que le nouveau Premier ministre, Michel Barnier, aura la bénédiction de l’extrême droite pour rester à son poste en n’étant pas censuré par elle. Là, au milieu des étals de la braderie d’Hénin-Beaumont où elle a pris l’habitude de faire sa rentrée politique depuis quinze ans, la députée du Pas-de-Calais réinvente l’histoire et s’arrange avec la vérité.

«Je vous enjoins de ne pas croire ce qui est écrit dans les journaux, cela peut vous approcher de la vérité», dément-elle, à propos des informations «bidon» du Journal du dimanche et de Valeurs actuelles selon lesquelles le président de la République lui aurait directement téléphoné jeudi pour savoir si elle était toujours d’accord pour laisser sa chance à l’ex-négociateur du Brexit. Le matin même, son numéro 2 à l’Assemblée, Jean-Philippe Tanguy, l’avait décrété l’«un des plus stupides hommes politiques que la France ait donné». Selon les deux titres, bien en cours au RN comme en macronie, Le Pen aurait rassuré le chef de l’Etat et rabroué son lieutenant, tout en échangeant avec Thierry Solère, sorte de Baron noir du Château multi-mis en examen. Des combinaisons secrètes qui, vu d’Hénin-Beaumont, auraient vite fait de passer pour les «magouilles» dénoncées par la députée. «Je ne suis pas DRH d’Emmanuel Macron», s’est donc défendue Le Pen avant de retourner à son bain de selfies.

«Relation toxique» aux Français

Dans le jardinet de sa permanence parlementaire, la finaliste de la dernière présidentielle s’efforce devant une centaine de sympathisants d’élargir la brèche qui la sépare du président de la République qui «a fait ce qu’il sait faire de mieux depuis sept ans : diviser», «aura réussi à rendre notre pays ingouvernable [et] affaibli comme jamais nos institutions», en entretenant une «relation toxique» aux Français. Le nouveau Premier ministre s’en sort bien, avec des protestations de «respect» tempérées de désaccords tout aussi respectueux.

Pas le reste des partis politiques qui «depuis deux mois ont été au diapason du scénario concocté par Emmanuel Macron […] véritable festival d’hypocrisie et de postures […] digne des pires heures de la IVe République». «Ils se sont ménagés, ils se sont désistés, ils se sont cooptés et concernant les LR dès le premier tour […] tout cela afin de constituer le grand parti unique du déshonneur démocratique», s’enflamme Le Pen, qui fait siffler Xavier Bertrand et Laurent Wauquiez. Puis s’empresse de justifier, quand même, le soutien passif accordé à un Premier ministre issu… de leur parti : «La nomination de Michel Barnier est un pis-aller, […] sûrement mieux qu’un Premier ministre d’extrême gauche avec son programme délirant et sa haine en bandoulière.» «Nous n’accordons pas de blanc-seing, prévient-elle. Si au fil des semaines, les Français devaient à nouveau être oubliés ou maltraités, nous n’hésiterons pas à censurer le gouvernement.»

«A mon avis, il ne durera pas longtemps»

Tout l’enjeu consiste à savoir quand l’extrême droite jugera le soutien à Barnier trop coûteux, soit quand l’image d’un parti responsable, garant de l’ordre contre le «chaos», frottera trop avec les aspirations populistes de son électorat. Proche de la patronne et très implanté dans le bassin minier, le député de Liévin, Bruno Bilde, juge l’ancien balladurien «totalement illégitime». «A mon avis, il ne durera pas longtemps à moins qu’il ne prenne des mesures phares sur le pouvoir d’achat, comme la baisse de la TVA», pronostique-t-il, l’air de penser que le débat sur le budget, à l’automne, pourrait signer la fin du bail du septuagénaire obligé de trouver plusieurs milliards et donc peu enclin à se priver de recettes fiscales, comme le réclame le RN. «C’est le chaos mais il vaut mieux un Barnier que Lucie Castets, on ne veut pas bordéliser le pays sans pour autant renoncer à notre vision du pays, donc c’est un équilibre compliqué, oui», exposait samedi Laurent Jacobelli, député de Moselle, dans les allées de la foire de Châlons-en-Champagne (Marne) où Jordan Bardella faisait sa rentrée de son côté.

Le jeune président était parti en vacances la queue entre les jambes après sa contreperformance aux législatives, séchant les premiers travaux de sa commission au Parlement européen pour la chaleur du sud de la France et de l’Italie. Il en revient regonflé à bloc, son autobiographie quasi terminée, jure-t-il, ayant ruminé la profondeur politique à tirer de sa «défaite personnelle», tempérée par une victoire de son camp : «Désormais rien ne peut se faire sans nous.» «Michel Barnier est sous surveillance démocratique», ajoute-t-il avant, lui aussi de se replonger dans le bain de selfies et d’autographe qualifiés au sein de l’équipe de com du parti de «déplacements foule». Il compte les multiplier au cours de l’année. Cela use moins que l’exercice du pouvoir.