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TRIBUNE

Montebourg : «Nul besoin d’agiter la menace d’un Frexit pour faire respecter notre souveraineté»

Election Présidentielle 2022dossier
Pour le candidat à la présidentielle, il est faux d’affirmer que le droit européen prime sur la Constitution des Etats membres. A ses yeux, la Cour de justice de l’UE comme la Commission n’ont fait qu’agir par «des coups de force juridiques» depuis des années.
Arnaud Montebourg, le 25 septembre à Frangy-en-Bresse (Saônne-et-Loire). (Claire Jachymiak/Hans Lucas pour Libération)
par Arnaud Montebourg
publié le 17 octobre 2021 à 18h00

Le Tribunal constitutionnel polonais vient de juger que certains articles des traités européens étaient contraires à la Constitution polonaise. La Commission européenne a affirmé immédiatement que le droit européen serait supérieur au droit national des Etats membres, même lorsqu’il s’agit de leur Constitution. Emmanuel Macron et son secrétaire d’Etat aux Affaires européennes, Clément Beaune, ont immédiatement affirmé leur soutien à la Commission. Pourtant, on peut désapprouver vertement – comme je le fais – la politique du gouvernement polonais, cléricale et réactionnaire qui maltraite une partie de sa population, tout en rappelant que la Commission et le gouvernement français ont gravement tort d’affirmer que le droit européen serait supérieur à la Constitution des Etats membres. On peut et on doit refuser cet abus de pouvoir des institutions européennes visant à réduire encore davantage la souveraineté des peuples européens en profitant d’une mauvaise querelle entre la Pologne et la Commission.

Les traités européens ne sont pas supérieurs aux Constitutions des Etats membres. Le Président et son gouvernement joueraient leur rôle s’ils rappelaient cette réalité au lieu de se comporter en dociles perroquets de la Commission. Le traité de Rome n’instaurait aucune supériorité des traités européens sur les Constitutions nationales. L’aurait-il fait qu’il n’aurait pas été ratifié par les Etats et notamment par la France. Mais la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) cherche, depuis sa création en 1952, à instaurer par des coups de force juridiques successifs la supériorité du droit européen sur toutes les normes nationales. Son premier coup de force a commencé par un arrêt du 15 juillet 1964, par lequel elle proclamait qu’aucun Etat membre ne peut faire valoir un texte de droit national contre un texte européen sans mettre en cause la base juridique de la communauté elle-même. Cette décision ne résultait d’aucun traité mais de la seule volonté de la cour d’étendre son pouvoir. Ce n’était pas suffisant cependant pour transformer l’ordre juridique européen.

Contrebande

C’est sans doute pour cela que le fameux Traité constitutionnel soumis aux Français par référendum en 2005 prévoyait explicitement la supériorité du droit européen sur le droit national. Ce projet de Constitution, les Français l’ont rejeté, et ils ont bien fait ! Le traité de Lisbonne, destiné à faire adopter le Traité constitutionnel malgré le verdict populaire, fut ratifié en 2007 par le Parlement. Il ne comportait plus de référence à la supériorité du droit européen, avant qu’une annexe 17 soit subrepticement ajoutée pour rappeler la jurisprudence de la CJUE. C’est ainsi qu’en contrebande, au mépris de la décision explicite exprimée par référendum par le peuple français, les juges de Luxembourg et les responsables politiques qui rêvent de faire de l’UE le tombeau des nations essaient avec constance d’instaurer une loi européenne qui briserait les Constitutions des Etats.

Heureusement, certaines Cours constitutionnelles veillent à la protection de la souveraineté des Etats. C’est le cas du Tribunal constitutionnel allemand de Karlsruhe qui écarta clairement en juin 2009 toute idée de primauté absolue du droit communautaire sur l’ordre juridique allemand. Elle a rappelé sa position en mai 2021, en mettant en cause le programme de rachat de dettes par la Banque centrale européenne. En France, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat ont, à plusieurs reprises, souligné la primauté de la Constitution vis-à-vis des normes européennes. Soyons clairs et nets : affirmer que la Constitution serait supérieure aux traités européens n’est pas une hérésie, c’est au contraire dire la vérité de l’ordre juridique actuel de l’UE que la Cour de justice et la Commission veulent transformer au mépris des traités et de la souveraineté des nations.

Notre gouvernement, qui soutient la position infondée de la Commission, devrait prendre garde : le bâton qu’elle brandit contre les Polonais, sans aucune légitimité pour le faire, au nom de la défense des libertés, s’abattra sur notre tête demain quand nous voudrons défendre à notre tour notre légitime souveraineté. Il est parfaitement possible de défendre notre intérêt national sans quitter l’UE et dans le respect des textes qui l’organisent, à la condition d’en avoir la volonté politique. Par le référendum qui établira une nouvelle organisation des pouvoirs (appelée VIe République), je proposerai d’inscrire dans notre Constitution la primauté du droit français lorsque des intérêts vitaux de la nation, comme l’indépendance de la France, sont en jeu. C’est d’ailleurs ainsi que l’UE a longtemps fonctionné en vertu du compromis dit de Luxembourg, après la crise de 1966. Cela n’a pas nui au projet européen ! J’ai observé qu’un Michel Barnier, ancien commissaire qui n’est pas plus frexiter que moi, a fait une proposition similaire.

Dernier mot

Ainsi, lorsque la CJUE veut imposer l’application des 35 heures à nos armées, comme elle l’a stupidement jugé, il sera possible de faire prévaloir le bon sens et notre intérêt pour dire que cela est tout simplement impossible pour la plupart des armées actives. De la même façon, il n’est pas acceptable que cette cour limite le droit de grève alors même que de nombreux aspects du droit social sont explicitement exclus du champ de compétences de l’UE, pas plus qu’on ne peut accepter qu’elle impose le démantèlement d’EDF parce que cette entreprise ne correspond pas à la conception du marché de l’électricité de la Commission, conception dont nous mesurons tous les méfaits quand flambe le prix de l’énergie dans toute l’Europe. Dans tous les domaines où l’UE n’a pas de compétences ou seulement une compétence subsidiaire, les juridictions nationales doivent avoir le dernier mot et leur interprétation doit primer. En outre, si les Français me confient la direction du pays, le gouvernement devra constitutionnellement présenter au Parlement chaque texte important négocié à Bruxelles et recevra un mandat précis de négociation de la part des élus de la nation. Il devra aussi rendre compte à ces derniers de l’avancement de la négociation avant tout engagement au Conseil européen. Ce mandat sera obligatoire pour tous les textes européens intervenant dans le domaine de la loi.

On le voit, nul Frexit ici, et nul besoin d’agiter la menace d’un Frexit pour faire respecter notre souveraineté. Faisons déjà respecter à la lettre des traités contre ce que voudraient faire prévaloir un quarteron de bureaucrates et de juges européens. Il faut nous prémunir contre les empiétements injustifiés des institutions, intrusives dans nos choix nationaux. Tout le monde sait que cette UE-là ne marche pas. Comme paralysée, elle n’a à ce jour accompli rien de sérieux contre les Gafam, rien contre la domination industrielle chinoise, rien contre les paradis fiscaux, toujours rien de concret contre la menace climatique. Elle a laissé démonter notre agriculture et nous a infligé dix années d’austérité inutiles après la crise financière de 2008. Elle s’apprête à recommencer après la crise du Covid. Les Etats membres de l’UE doivent retrouver une force pour eux-mêmes dans le cadre de la coopération européenne, et une capacité d’agir dans la tempête qui se lève partout dans le monde. On a défait la France sans construire l’Europe. Je propose de remonter la France sans détruire l’Europe.