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Instrumentalisation

Mort de Jeremie Cohen: Eric Zemmour en pleine récupération

Election Présidentielle 2022dossier
Le candidat d’extrême droite a repris à son compte la mort du jeune homme, percuté par un tram à Bobigny (Seine-Saint-Denis), suggérant un complot médiatique et soulignant le caractère antisémite de l’agression, élément que le procureur réfutait à ce stade de l’enquête, mardi 5 avril.
Après la viralisation de la vidéo de la mort de Jeremie Cohen à Bobigny, Eric Zemmour s'est accaparé la mort du jeune homme pour relancer une campagne qui touche son crépuscule. (Thomas Coex/AFP)
publié le 5 avril 2022 à 20h10

Chez Eric Zemmour, certaines images provoquent plus de prudence que d’autres. Lundi, alors que le monde entier accuse la Russie de «crimes de guerre» pour avoir massacré des civils à Boutcha, lui a plus de précautions. Condamne-t-il ? «Oui, si cela se révèle exact, c’est innommable.» Mais «il faut être prudent, être sûr que les massacres sont le fait des troupes russes. Dans le passé, il y a eu beaucoup de manipulations d’images».

Ce jour-là, le candidat d’extrême droite a passé son temps à vouloir parler d’autre chose. Il a diffusé sur son compte Twitter, avant de la supprimer, la vidéo d’une agression ayant conduit à un décès. On y voit un individu frappé par un groupe, au pied d’un immeuble, à Bobigny (Seine-Saint-Denis). Il tente de s’enfuir et se dirige vers les voies d’un tram, avant d’être heurté puis écrasé par le véhicule. Images choquantes. Il s’agit des derniers instants de vie de Jeremie Cohen, 31 ans. Zemmour se jette sur le fait divers. La victime est juive et souffrait d’un léger handicap dont la nature ne nous a pas été précisée. Récupération immédiate : «Les images de la mort de Jeremie Cohen sont glaçantes. La mort d’encore un de nos enfants et le silence assourdissant sur les faits me révoltent. Est-il mort pour fuir les racailles ? Est-il mort parce que juif ? Pourquoi cette affaire est-elle étouffée ?» écrit-il. Il en reparle depuis à chacun de ses passages dans les médias.

Aucun élément d’antisémitisme retenu

Sur Twitter, le populiste publie une capture d’un article du Parisien publié le lendemain des faits, le 17 février, dans lequel il manque des informations sur l’agression ayant précédé le drame : dans un premier temps, la police avait conclu à un accident de la circulation et classé l’affaire, avant qu’une personne envoie une vidéo à la famille, après un appel à témoin. Des images qui ont conduit à l’ouverture le 29 mars d’une information judiciaire pour «violences volontaires en réunion ayant entraîné la mort sans intention de la donner», sans que le caractère antisémite des faits ne soit retenu. Ce mardi, le procureur a affirmé que pour l’instant aucun élément ne pouvait alimenter cette thèse.

Le candidat accuse les médias «d’omerta». Les journalistes auraient caché à leurs lecteurs l’identité des agresseurs pour ne pas dire la réalité sur ce qu’il nomme le «grand remplacement», théorie raciste à l’origine de son engagement politique. Dans Valeurs actuelles, il parle de «mensonges permanents pour couvrir la criminalité immigrée», d’«antisémitisme enragé», affirme que la mort de Jeremie Cohen «est l’épouvantable symptôme de la tragédie que vit notre pays, que je dénonce depuis des années».

Accents complotistes

Depuis plusieurs semaines, Zemmour cherche son affaire «papy Voise», l’agression ultra-violente d’un retraité, dont le visage tuméfié avait fait la une des médias trois jours avant le premier tour de la présidentielle 2002, et sans doute contribué à la qualification de Jean-Marie Le Pen. Lors de son meeting du Trocadéro, de petites vidéos récupérant ce genre de drames humains avaient été diffusées. Des mini-feuilletons anxiogènes montrant des crimes supposément liés à l’immigration. Des victimes y racontaient pourquoi «avec Zemmour tout serait différent». Ce fut le cas par exemple de Patrick Jardin, père d’une victime du Bataclan.

Le père de Jeremie Cohen a raconté lundi soir sur BFM TV avoir contacté Zemmour «dans le cadre de l’enquête», pour médiatiser son affaire, qu’elle ne soit pas «étouffée». Et mardi, selon les informations du Figaro, il a été reçu dans le QG du candidat pour le remercier d’avoir «mis la lumière médiatique sur la tragédie». Mais pas non plus pour qu’elle soit récupérée à des fins électoralistes par un candidat au crépuscule de sa campagne. Mardi matin, Marine Le Pen aussi a jugé la séquence avec des accents complotistes : «La vraie question, c’est : est-ce qu’il n’y a pas eu une instrumentalisation en cachant ces faits. Est-ce qu’on n’a pas travesti cet acte affreux ?» «Une enquête [qu’elle souhaite «parlementaire», ndlr] permettra de savoir si cette dissimulation a été volontaire», a-t-elle déclaré sur France Inter. Sur CNews, un chroniqueur a reconnu dans la mort de Jeremie Cohen une autre histoire ayant marqué une présidentielle : «L’affaire Sarah Halimi qui a eu lieu peu avant les élections en 2017 : un crime antisémite qui est présenté comme un fait divers qui ne mérite pas considération et plus on va fouiller et plus on va trouver que c’est un événement qui relève d’un crime haineux.»