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Analyse

Nouvelle-Calédonie : un référendum aux allures de der des ders

Référendum sur l'indépendance de la Nouvelle-Calédoniedossier
Le troisième scrutin sur l’avenir de l’archipel devait clore un processus engagé depuis trente ans mais paraît aujourd’hui compromis.
A Paris, le 20 août 1988. (Photo/AFP)
publié le 18 novembre 2021 à 21h04

Trente ans de paix, de dialogue et de compromis vont-ils se finir en eau de boudin ? Le long processus d’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie, initié par les accords de Matignon (1988) et prolongé par ceux de Nouméa (1998) commence sérieusement à en prendre le chemin. Et pour cause : les indépendantistes refusent de prendre part au troisième et dernier référendum sur l’indépendance de leur archipel fixé par l’exécutif le 12 décembre. Sur un territoire frappé depuis septembre par l’épidémie de Covid, qui affecte particulièrement les populations océaniennes, le FLNKS réclame un report du scrutin en septembre 2022. «La situation est inquiétante, il y a longtemps que l’horizon n’avait pas été bouché à ce point», s’alarme un ancien acteur du dossier.

Telle n’est pas la façon dont le ministre des Outre-Mer, Sébastien Lecornu, avait espéré la sortie de l’accord de Nouméa. La date du 12 décembre avait pourtant été acceptée par une partie des indépendantistes tout comme par l’ensemble des partisans du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République, (presque) tous venus à Paris fin mai. Interrogé par Libération, le ministre estime qu’«il faut sortir de l’affrontement bloc contre bloc». «Il y a urgence à parler des problèmes de l’archipel autres que celui de son avenir institutionnel, insiste-t-il. Il faut s’intéresser aussi aux préoccupations des Calédoniens.»

«Le jour d’après»

Après deux premières consultations en 2018 et 2020, aux résultats plus serrés que prévus (d’abord 56,7 % en faveur du non à l’indépendance, puis 53,3 % (soit moins de 10 000 voix d’écart), ce dernier scrutin devait permettre de clore un chapitre de cette colonie française depuis 1853. Puis, d’en commencer un nouveau. A ce titre, une période de négociation est prévue quoi qu’il arrive : en cas de victoire du oui, l’accès à la «pleine souveraineté», ainsi que la relation de la future Kanaky avec la France devront être définis. Inversement, «si la réponse est encore négative, les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée», dit le texte de 1998. «Il faut solder l’accord dès que possible et avancer vers la nouvelle période de transition. L’enjeu, c’est le jour d’après», insiste-t-on chez Lecornu, où l’on rappelle qu’une quatrième consultation est prévue avant le 30 juin 2023 pour valider le nouveau statut de l’archipel.

Voter en décembre aurait aussi le grand avantage de ne pas faire coïncider campagnes présidentielle et référendaire. L’île est marquée par le drame de la grotte d’Ouvéa en mai 1988, avant le second tour Mitterrand-Chirac. Entre ce risque et celui de fâcher les indépendantistes, le gouvernement semble avoir choisi le moindre mal. «C’est vrai que ce n’est pas la sortie rêvée de l’accord de Nouméa, c’est triste, mais il faut sortir de ce tunnel de référendum depuis 2017 qui suspend la vie chez nous», approuve le député non indépendantiste (UDI) Philippe Gomès. De fait, les incertitudes freinent les investissements et la vie économique locale. Près de 9 000 personnes ont quitté la Nouvelle-Calédonie depuis 2017, chiffre non négligeable pour un archipel de 270 000 habitants.

Instabilité géopolitique

Coté indépendantiste, on juge suspecte cette volonté de clore à tout prix trente années d’un long processus − comme si l’Etat ne pouvait pas attendre neuf mois de plus. Et on craint que l’Etat ne sorte de son rôle d’organisateur et refuse de renvoyer le vote après l’été pour empêcher les indépendantistes de se mobiliser et de profiter de l’entrée dans un corps électoral spécial de nouveaux (jeunes) électeurs kanaks. De plus, alors que l’île sort à peine d’une vague épidémique majeure, ils redoutent également que les Calédoniens ne se laissent influencer par le rôle de Paris dans la crise du Covid, à grands coups de vaccins gratuits et de renforts en personnel de soin. A quoi s’ajoute l’instabilité géopolitique, montée en épingle par les partisans du non et la droite française qui prétend que l’indépendance pousserait l’archipel dans les bras de la Chine.

«Le troisième référendum ne sera pas un solde de tout compte, prévient Philippe Gomès. La revendication de l’indépendance sera toujours présente. Ce sera juste la fin de Nouméa et Matignon, une période de trente ans. De toute façon, si le non l’emporte, il faudra trouver un nouveau consensus, une nouvelle modalité dans laquelle le droit à l’autodétermination pourra s’exercer.» Autant dire que les successeurs de Castex et Lecornu auront eux aussi à prendre leur part dans cette longue histoire de décolonisation.