La voix d’Emmanuel Macron surgit, et voilà que la soirée électorale du Rassemblement national bifurque, ce dimanche 9 juin. Agglutinés près du buffet, les partisans de Jordan Bardella, arrivé en tête des européennes avec 31,5% des voix selon les estimations, un score historique, se propulsent, drapeaux tricolores à la main, de l’autre côté du bucolique pavillon du bois de Vincennes (XIIe arrondissement de Paris), où sont installés estrade et grand écran. La présidente du parti d’extrême droite, Marine Le Pen, a décalé son allocution de quelques minutes pour laisser le président de la République s’exprimer sous les hués. On voit sa mine grave mais on ne l’entend pas.
A peine prononce-t-il les mots «articles 12 de la Constitution», que la foule se met à hurler. Ils savent ce que cela signifie : le chef de l’Etat vient de dissoudre l’Assemblée nationale. De nouvelles élections vont avoir lieu. «Allez ! On va coller ! Go, on y va», s’écrie un jeune homme, coupe de champagne à la main. «Dissolution ! Dissolution !», scande l’assemblée d’une seule voix.
«Le gouvernement a pris en compte le vote des Français, c’est une vraie victoire», dit Manon, étudiante en santé de 19 ans, les yeux brillants d’excitation. Le parti auquel elle a adhéré est selon elle, le seul à défendre des «vraies solutions contre l’insécurité». «En tant que jeune fille, je n’ose plus me balader toute seule le soir. Je ne suis pas sereine quand je sors.» La solution est toute trouvée : «il faut un contrôle massif de l’immigration clandestine qui a clairement un lien avec l’insécurité. Moi, j’aimerais juste pouvoir sortir tranquillement.» Le reste ? «Tout ce qui compte, c’est qu’un jour Bardella soit à Matignon et Marine Le Pen à l’Elysée. C’est notre ticket gagnant.»
L’Union européenne et Bruxelles, qui n’étaient déjà pas vraiment les deux principaux sujets de la soirée, ont complètement disparu des conversations. Sur le côté, deux militants en costume sombre, cravate bien nouée, lèvent leurs verres : «on aura bientôt Matignon !» «Tant pis pour Macron, tant mieux pour nous !», se réjouit Flavien Jouve, 20 ans, mèche brune bien plaquée. Le jeune assistant parlementaire, qui vient de passer des semaines à tracter et coller à Marmande (Lot-et-Garonne), dont il est originaire, se dit prêt «à y retourner».
«On va enfin marquer la France de nos idées»
«Emmanuel Macron vient de se tirer une balle dans le pied. Il vient de perdre beaucoup de sièges au Parlement européen, là ça va être encore pire à l’Assemblée, prédit le jeune homme. On avait 88 députés, c’était un record historique. Demain, on pourrait en avoir le double, même le triple. On pourrait avoir une majorité et un Premier ministre. On pourra enfin marquer la France de nos idées». On se croirait à un bal de promo avec tous ces talons hauts, ces robes de satin crème et ces vestes bien repassées. Mais c’est un job dating qui vient de commencer. Dans les allées, un jeune militant fait les cent pas en dictant un message directement sur son téléphone : «Je suis très motivé par cette nouvelle campagne. Vous pouvez compter sur moi. Point. Envoyer.»
Sophie, 41 ans, impeccable brushing blond platine, se présente comme une «simple militante» dans sa veste de tweed rouge. «Pour l’instant», ajoute la juriste parisienne, faussement secrète. La dissolution signe pour elle «un choix de raison». «C’est une décision qu’on n’attendait pas vraiment mais Emmanuel Macron respecte le jeu démocratique. Il a pris la décision de donner la parole aux Français, on peut s’en réjouir !», glisse-t-elle. Comme la plupart de ceux qui l’entourent, elle est déterminée à repartir au front jusqu’au nouveau scrutin, prévu le 30 juin et le 7 juillet. «On s’y prépare vous savez. A obtenir la majorité à l’Assemblée nationale, à renverser le gouvernement, et à faire une cohabitation. A être vraiment au pouvoir.»