Les corps voltigent, saut périlleux avant, arrière, roulades, grimpers de blocs, pour s’élancer de plus en plus haut : à Roubaix, dans la salle d’entraînement de parkour, ce sport urbain où les traceurs s’approprient la rue pour des acrobaties spectaculaires, la jeunesse est de mise. Des âges compris entre 22 et 28 ans, ils bossent comme éducateurs sportifs, développeur informatique, préparateur de commandes ou sont étudiants en BTS photo. Et ils jugent sévèrement les politiques. «Je les trouve immatures, balance François (1), 28 ans, qui n’a jamais voté. Dans les débats, ils s’envoient des piques : nous, on ne se le permettrait pas au travail, et eux, en tant que représentants de la nation, ils le font. Ça manque de prestance, c’est du théâtre, sans arrêt.» Impression partagée par Hugo, 22 ans : «T’as l’impression que c’est un spectacle. On se dit que n’importe qui pourrait se présenter, s’il a les 500 signatures. Il suffit d’être photogénique.»
Analyse
Hugo va aller voter, par devoir citoyen, mais ne s’intéresse pas au sujet : «Généralement, je vote blanc, ou pour celui qui ne va pas gagner», sourit-il. Marie, 22 ans aussi, est partagée : «On devrait tous aller voter, c’est notre pays, si on laisse passer quelqu’un qui fait n’importe quoi, ce serait la merde.» Mais elle ne sait vraiment pas qui choisir, elle les énumère, Zemmour, Le Pen, Macron, Hidalgo, Mélenchon… Stéphanie Makhlouf, chef de projet à l’association Parkour 59, qui gère la salle, décrypte : «Les jeunes n’ont pas accès aux hommes politiques pour qui ils devraient voter. On ne leur a pas forcément bien expliqué ce qu’ils étaient, à quoi ils servaient.» Elle estime qu’il faudrait casser ce plafond de verre.
«Dans les JT, c’est orienté. Jamais ils ne contredisent Macron», se moque Marie. Alexandre, lui, ne regarde pas la télé : «Sur les réseaux sociaux, ce qui va ressortir, ce sont les moments où les politiques sont mis à mal, ça ne donne pas envie de voter pour eux.» Conclusion du petit groupe : «Si on ne s’y connaît pas, on vote par influence.» C’est source d’inquiétude pour Anatole, 18 ans, qui va aux urnes pour la première fois. «J’ai vu une prise de parole de Zemmour, c’est un très bon parleur. Tu peux te dire, lui, il a l’air intéressant. Pour connaître ses vraies valeurs, il faut se plonger dedans.» Etudier les programmes, auxquels on n’a pas accès, ce que regrette Marie. Les sujets traités ne les concernent pas : «Les politiques se cachent derrière l’actualité, l’Ukraine, le Covid, pour ne pas parler des vrais problèmes», estime Alexandre. Un exemple ? Le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), passé à l’as. Il y a pourtant Yannick Jadot, le candidat EE-LV. Son nom ne suscite guère de réactions. «Depuis le lycée, on me dit qu’il faut sortir des énergies fossiles», soupire Antoine (1), 28 ans. Il en a marre de toujours entendre parler des mêmes choses, retraite, prix de l’essence : «Et la créativité, les nouveaux emplois, les nouvelles techniques d’agriculture, les nouveaux sports ? Tout ce qui bouge !»
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(1) Les prénoms ont été modifiés.