Jean-Luc Mélenchon a longtemps théorisé une chose : son score de 2017 lui ouvrirait les portes du second tour en 2022. Le billet d’entrée pour la finale devrait être beaucoup plus bas. Fausse route. Les histoires ne se déroulent jamais comme prévu en politique. Le candidat de La France insoumise (LFI) a réalisé un meilleur score cette année : 22,2 % des suffrages, selon l’institut Ipsos pour France Télévisions. Il est le troisième personnage de la présidentielle derrière Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Un joli score mais une grosse déception.
«Croix à porter»
Dimanche au soir, à la tombée des résultats, le député des Bouches-du-Rhône était au Cirque d’hiver, à Paris. Entouré de ses proches, Jean-Luc Mélenchon a tenu une sorte de meeting. L’insoumis a parlé de son dimanche matin à Marseille et de «la mer fuyante sous les rayons du soleil» dans le silence de la salle, avant de donner son avis sur le second tour : «Je connais votre colère, mes compatriotes. Mais ne vous abandonnez pas à ce qu’elle vous fasse commettre des erreurs qui seraient définitivement irréparables. […] Donc pas une voix ne doit aller à Mme Le Pen.» Comme en 2017, une consultation sera proposée à tous les militants de son mouvement cette semaine. Ils auront le choix entre trois propositions : le bulletin Macron, l’abstention ou le vote blanc.
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Jean-Luc Mélenchon avait lancé sa troisième – et dernière – campagne présidentielle le 8 novembre 2020. Le chef de La France insoumise se pose au journal télévisé de TF1 pour déclarer ses intentions au plus grand nombre. Cravate rouge, coiffure grise et soignée. Il fait de la poésie en se déclarant candidat au poste suprême : «Quand tout va mal et que ça semble être nuit noire, il faut allumer une lumière pour qu’on se dise qu’il y a un bout du tunnel.» On le croise quelques jours plus tard dans son bureau du Palais-Bourbon. Pourquoi aussi tôt alors que l’élection se joue une année et demie plus tard ? «Le moment idéal n’existe pas et nous avons besoin d’une campagne longue dans laquelle il est possible de déployer des arguments pour construire en positif une majorité d’adhésion.» La douleur revient souvent dans ses mots. Le natif de Tanger parle de «croix à porter» dans une campagne qui s’annonce «extrêmement violente».
«Clivage avec le libéralisme»
Jean-Luc Mélenchon revient de loin après un quinquennat fou. Son silence critiqué entre les deux tours de la présidentielle en 2017 ; son manque de force face au pouvoir dans les différentes bastons sociales ; de lourdes défaites à toutes les élections intermédiaires ; les perquisitions. Ce dernier épisode a resserré les liens entre les insoumis. Jean-Luc Mélenchon – qui a toujours refusé de poser un orteil dans les discussions autour de l’union de la gauche – s’est jeté dans l’élection la tête en avant. En septembre, les sondeurs le placent au coude à coude avec l’écologiste, Yannick Jadot, et la socialiste, Anne Hidalgo. Ils se regardent tous de travers. La course débute et les écarts se creusent, lentement. Le député de Seine-Saint-Denis Bastien Lachaud expliquait récemment : «On avait pour objectif de terminer en tête à la fin de l’année et de mettre un deuxième coup de marteau en janvier avec notre meeting immersif à Nantes. Ça a marché.» Les militants y croient de plus en plus. Ils ne chantent plus «résistance» mais «on va gagner».
Fin mars, le candidat de l’Union populaire (alias la «tortue sagace») a fait le trou dans les sondages avec les autres concurrents gauches. Ils sont à des années-lumière. On le retrouve à Paris. Il est installé dans son bureau au premier étage de son QG. Il lit la presse. Tranquille. Le premier tour de la présidentielle approche, le rêve était encore permis. Pourquoi ça marche ? Il réfléchit un court instant : «On a réussi à se tenir à l’écart de ces débats fumeux sur l’union. Tout ça fonctionnait sur un diagnostic morbide et destructeur : tout est perdu d’avance. Mais certains ont souffert plus que d’autres parce qu’ils ont mis les doigts dedans. A l’inverse, on a démarré en janvier en attaquant avec le blocage des prix dans l’alimentation, un slogan concret qui porte un clivage complet avec le libéralisme et la loi du marché.»
Une vague est née durant les dernières heures (notamment sur les réseaux sociaux) : des influenceurs et des artistes ont appelé à voter pour le tribun. Une manière de faire bouger la jeunesse. Jean-Luc Mélenchon a également eu droit au soutien public de l’ancienne garde des Sceaux Christiane Taubira et de l’écologiste Cyril Dion. Des renforts pour faire barrage à l’extrême droite dès le premier tour. Cela n’a pas suffi.
Dimanche soir, Jean-Luc Mélenchon a conclu son discours en prenant une forme de distance avec le futur, évoquant le mythe de Sisyphe : «La pierre tombe de la montagne. Et il faut la remonter. Vous avez les moyens de mener la prochaine bataille. Et la suivante. Et la suivante. […] Nous disons à tous ceux qui n’ont pas voulu l’entendre : ici est la force. Nous avons devant nous d’autres élections. Les jeunes me diront : “On n’y est pas encore arrivé.” Alors je vous dis : “Faites mieux.”»