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Libération
Pot aux roses

RN : Jordan Bardella a tenu un compte Twitter anonyme raciste et agressif envers la presse

A la suite des révélations de l’émission de France 2 «Complément d’enquête» diffusée ce jeudi soir, «Libération» peut également confirmer que le président du Rassemblement national exprimait, sous pseudonyme et jusqu’en 2017, des messages difficilement assumables aujourd’hui.
Jordan Bardella, président du Rassemblement national, lors des traditionnels vœux à la presse de son parti, le 15 janvier à Paris. (Denis Allard/Libération)
publié le 18 janvier 2024 à 11h13
(mis à jour le 18 janvier 2024 à 15h34)

Un droit de réponse ajouté le 29 janvier 2024 figure à la fin de cet article.

Jordan Bardella a tenu un compte Twitter anonyme qui lui servait à insulter journalistes et opposants du RN, ou à poster des messages à connotation raciste, révèle Complément d’enquête dans un documentaire consacré à l’actuel président du RN, diffusé jeudi soir sur France 2 à 22h30. Le compte en question, nommé le «RepNat Du Gaito», aurait été actif deux ans jusqu’en 2017, selon nos confrères : on peut encore y lire les messages de l’époque, parfois à vocation purement humoristiques, parfois beaucoup moins drôles, pour dénigrer voire injurier la presse et des adversaires politiques. Les faits ont été confirmés à Libération par deux sources autrefois proches de Jordan Bardella.

A l’époque des premiers tweets, Bardella est âgé de 19 ans, sort d’une première année non achevée en licence de géographie, vient de clore son contrat d’assistant parlementaire fantôme au Parlement européen. Il est déjà secrétaire départemental du FN en Seine-Saint-Denis et conseiller régional d’Ile-de-France.

Interrogé par Complément d’enquête, il nie aujourd’hui avoir administré le compte en question : «Mon compte Twitter, vous le connaissez […] Je suis désolé de vous décevoir mais je n’ai qu’un compte Twitter», dit-il face caméra, dans le documentaire visionné par Libération.

Le parti d’extrême droite a indiqué avoir missionné un huissier pour empêcher la diffusion de l’extrait concerné, ce que confirme à Libération l’équipe de Complément d’enquête, qui a reçu un courrier jeudi matin. Mais France 2 maintient la diffusion du documentaire : «il n’y a pas de modification apportée au magazine, qui sera bien diffusé ce [jeudi] soir» à 22h35, fait savoir la chaîne.

«Une façon de s’exprimer sans avoir de problèmes»

Arrivé au FN via l’alors numéro 2 du parti d’extrême droite, Bardella forme avec plusieurs autres jeunes un groupe qui s’est baptisé les «natrep», pour «nationaux républicains». Alors membre de la bande, aujourd’hui toujours dans les pattes de Philippot et son mouvement Les Patriotes, Eric Richermoz, trois ans de plus que Bardella, raconte à Complément d’enquête que chacun s’est créé à cette période un compte Twitter anonyme pour «pouvoir parler plus librement que ce qu’on pouvait faire avec le compte officiel. Une façon de s’exprimer sans avoir de problèmes par rapport à la hiérarchie ni par rapport aux journalistes ou autres observateurs», explique-t-il, affirmant que c’était le cas de Jordan Bardella. Selon les témoignages recueillis par Libération, Richermoz tient alors le compte «Le NatRep Masqué» (ce qu’il dément) et Jordan Bardella le «RepNat du Gaito» (pour «ghetto»). Il illustre son compte d’un photomontage des années 60, montrant Charles de Gaulle en boxeur. A l’époque, celui-ci a une audience très relative : il suit 88 personnes et a 54 abonnés, dont Marine Le Pen, qui s’est discrètement désinscrite du compte dans la nuit de mercredi à jeudi, alors que Complément d’enquête commençait à diffuser des extraits de son documentaire.

RepNat du Gaito est actif d’août 2015 à février 2017, mêlant blagues racistes, commentaires désobligeants contre Valérie Pécresse ou des élus écologistes, etc. Un jour, il paraphrase l’antisémite Alain Soral, qualifié de «grand sociologue» : «Un journaliste, c’est soit un chômeur, soit une pute», pour s’en prendre à la journaliste du Monde Caroline Monnot, alors en charge de l’extrême droite. Dans l’un d’eux, il qualifie Alexandre Loubet et Jean-Philippe Tanguy, aujourd’hui députés RN, mais à l’époque militants pour le parti concurrent Debout la France, de «babtous fragiles» («blancs fragiles»), parce qu’ils portent un bouquet de fleurs. Le 1er mars 2016, il poste une photo au Salon de l’agriculture montrant des moutons avec pour légende «A la rencontre des électeurs de l’UMP et du PS». Ce jour-là justement, Jordan Bardella y accompagne Marine Le Pen pour sa promenade annuelle.

Dans un autre, il semble se répondre à lui-même, ou plutôt au compte officiel de Jordan Bardella, attaqué dans les commentaires par un autre «natrep» de la bande. «Visite de la maison Victor-Hugo, tout aussi sublime que son œuvre», poste Bardella, ce à quoi répond un autre : «Tu n’as même pas lu Victor Hugo, à part un livre, en CE2», et le «RepNat du Gaito» s’en mêle : «Décline ton identité, jeune Portugais du rez-de-chaussée.»

Son dernier post, daté du 9 février 2017, détourne le slogan «Je suis Charlie», texte blanc et gris sur fond noir, en «je suis Théo», en référence à Théo Luhaka, victime d’une interpellation policière violente, sept jours plus tôt, à Aulnay-sous-Bois (93). Le compte anonyme le représente une matraque enfoncée dans l’anus.

Les comptes anonymes sont décidément une incurable manie chez l’ex-Front national : en 2015, Marine Le Pen elle-même voyait dévoilé par Libération son compte Twitter caché, où elle opérait sous le pseudonyme d’Anne Lalanne (son deuxième prénom suivi du nom de jeune fille de sa mère). Derrière ce masque, pas de gros dérapages, mais quelques plaisanteries et des vitupérations contre les médias, ses adversaires politiques (y compris à l’extrême droite). Bien qu’identifiée de manière assez certaine, Marine Le Pen a toujours nié être derrière ce compte, dont la dernière activité remonte à 2021.

Droit de réponse de Jordan Bardella publié le 29 janvier 2024 :

Dans votre article intitulé «RN : Jordan Bardella aurait tenu un compte Twitter raciste et homophobe», vous tenez les propos suivants, reprenant sans utilisation du conditionnel les accusations de l’émission Complément d’Enquête de France 2 : «Jordan Bardella a tenu un compte Twitter (devenu X) anonyme qui lui servait à insulter journalistes et opposants du RN, ou poster des messages à connotation raciste ou homophobe.» C’est inexact et diffamatoire. Je démens formellement avoir tenu le compte X/Twitter en question, ni même tout autre compte anonyme.