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Libération
Paroles d'électeurs

Second tour des régionales : «Toute la semaine, j’ai essayé de chauffer mes potes à aller voter !»

De Marseille à Tourcoing, paroles d’électeurs et d’abstentionnistes croisés ce dimanche de deuxième tour des élections régionales et départementales, dernier scrutin avant la présidentielle.
La plage des Catalans à Marseille le 21 juin au matin, jour du premier tour des élections régionales et départementales plage des Catalans. (Patrick Gherdoussi/Libération)
par Stéphanie Harounyan, correspondante à Marseille, Stéphanie Maurice, correspondante à Lille, Victor Boiteau, Sacha Nelken, Stéphanie Aubert, Samantha Rouchard, correspondance à Marseille et Maïté Darnault, correspondante à Lyon
publié le 27 juin 2021 à 18h24

C’est au son d’une Marseillaise tonitruante que les sauveteurs ont pris leur poste de surveillance de la plage des Catalans à Marseille ce dimanche matin. Histoire de mettre dans l’ambiance pour ce jour de scrutin ? Côté touristes, repérables à leur teint un peu pâle, ce n’est pas tant qu’on s’abstient, mais «on n’est pas d’ici, on ne peut pas voter du coup». «J’aurais été chez moi, j’y serais allé», assure même un jeune homme venu de Grenoble. «J’ai oublié de faire une procuration», concède un peu penaude sa compagne lyonnaise. Les Marseillais habitués des lieux le jurent, ils sont allés mettre un bulletin dans l’urne avant leur bain quotidien. Mais pas tous. «Pour moi, il n’en est pas question, s’agace Jennyfer, la quarantaine. Que je sois à la plage, à la piscine, où vous voulez, risque RN ou non, je n’irai pas, et c’est la première fois !» Pourtant son bureau de vote est à deux pas. On ne s’y presse pas d’ailleurs. Un homme en short, qui vient d’entrer dans le bureau désert, regarde, consterné, la table qui présente seulement deux bulletins. «Y a que ça ?! Alors c’est pas la peine !», s’exclame-t-il avant de faire demi-tour. En Paca à midi, le taux de participation avait pourtant un peu grimpé par rapport au premier tour : 16,54% contre 14,46.

A l’école maternelle Copello dans le Ve arrondissement de Marseille, les électeurs de gauche ne se bousculent pas non plus au portillon. Julien, 32 ans, designer graphique, s’est quand même motivé à mettre un bulletin pour Renaud Muselier. «J’ai très peur que l’extrême droite passe, s’inquiète-t-il. Muselier est déjà en place. Sa présidence n’est pas optimale mais ça fonctionne.» Alain, 60 ans, le cœur à gauche, a lui aussi mis un bulletin à droite «mais pas pour faire front républicain, simplement parce que je suis arménien et que je ne veux pas que Thierry Mariani, qui soutient l’Azerbaïdjan dans le conflit du Haut-Karabakh, soit élu». Une retraitée prépare quant à elle, sa carte d’électrice : «Oui je suis de gauche. Muselier ? Ah non je n’en veux plus, je suis venue voter blanc !»

«On vote par défaut à chaque fois»

Le scrutin ne mobilisait pas non plus les foules à Paris ce dimanche matin. Au cœur du Quartier latin, le Relais de l’entrecôte est prisé, le bureau de vote 9, du collège Jacques-Prévert, nettement moins. A peine plus de 11% de participation à la mi-journée. «Un frémissement civique» cependant par rapport au week-end dernier, soupire Laurence, assesseure bénévole. «Des abstentionnistes du premier tour se sont mobilisés, ajoute-t-elle. Mais marginalement.» Yann, 72 ans, veste de costume élégante et chapeau sur la tête, répond sans détour : «Bien sûr que je vote ! C’est un droit. J’ai toujours voté.» Il déroule le fil de la campagne, tance les «candidats qui n’ont parlé que de sécurité» au détriment des compétences régionales. Il reprend : «Je suis très déçu par [le soutien à Valérie Pécresse de] Valls et Huchon. C’est dramatique, dit celui qui déposera un bulletin Bayou dans l’urne. Je suis vraiment un mec de gauche ! Mais là, c’est triste.» Marine, 31 ans, a retrouvé son bureau de vote du XIVe arrondissement, bureau où elle n’avait pas mis les pieds depuis un certain temps. Dimanche dernier, cette «femme de gauche» ne s’était pas déplacée. «Les régionales ce n’est clair pour personne», explique-t-elle. Mais cette fois, c’est différent, la trentenaire a eu un regain d’intérêt certain suite à l’alliance nouée entre Julien Bayou, Clémentine Autain et Audrey Pulvar. «Ça fait des mois qu’on entend parler d’union de la gauche sans que ça n’aboutisse à rien, là cette fois c’est concret, la victoire est possible, se réjouit-elle. Toute la semaine j’ai essayé de chauffer mes potes à aller voter !»

Dans le XVIe arrondissement de Paris, Laurent et Catherine, qui habitent le quartier depuis 22 ans, sont de leur côté venus par «conscience» glisser un bulletin Valérie Pécresse dans l’urne, au bureau de vote du lycée Jean-Baptiste-Say. L’union de la gauche (EE-LV, PS, LFI), «cautionnée par Mme Hidalgo», grince Catherine, est un repoussoir pour les électeurs de ce quartier cossu de la capitale. A 11 heures, dans ce bureau «test» de la capitale, le taux de participation était de 9% – le même chiffre qu’au premier tour. Les Parisiens étaient nombreux à préférer se rendre au musée ou au cinéma ce dimanche. A l’instar de Gary, la quarantaine, croisé devant le Gaumont Convention, dans le XVe arrondissement. «Mon bureau de vote est dans le XIe. Quand j’ai vu le score qu’a fait le parti que je soutiens au premier tour, je me suis senti coupable», dit ce quarantenaire, qui n’a pas voté dimanche dernier. «Pour le deuxième tour, je me suis dit que c’est pas moi tout seul avec mon petit bulletin qui allait changer les choses. Retourner dans le XIe que pour ça, ça me gonflait.»

«C’est important que je participe»

A l’école Mozart, dans le canton de Lille 4, l’un des trois cantons lillois où EE-LV, allié à Génération·s, est arrivé en tête devant le Parti socialiste dimanche dernier, le scrutin ne passionnait pas les électeurs. «J’ai été surprise de voir deux bulletins de gauche» pour les départementales, reconnaît Cyrielle, 31 ans, orthophoniste. Son ami Victor parle plutôt des régionales et s’agace du programme de Xavier Bertrand, ex-LR, arrivé en tête avec 41,3% des voix : «Il parle de sécurité, de vidéosurveillance et d’immigration» qui ne sont pas des compétences régionales. Dans le canton de Tourcoing 2, dimanche dernier, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, est arrivé en tête, avec 54% des voix. Mais l’énorme abstention, à 80%, l’oblige à un second tour. Liliane et Jean-Marc, 66 et 68 ans, fans de l’ancien maire, se sont déplacés une seconde fois. «Beaucoup ne veulent plus voter pour lui parce qu’il a quitté les Tourquennois, soupire Lisiane, aide ménagère à la retraite. Moi, je l’aime bien, ce petit bonhomme.»

Dans le bureau n°7 de Vaulx-en-Velin, banlieue populaire et bastion socialiste de la métropole de Lyon, pas l’ombre d’un électeur. Dimanche dernier, seuls 2 782 habitants de cette commune qui en compte 42 726, soit 11,66% des inscrits, sont venus glisser un bulletin dans l’urne. «Cette semaine encore, les professions de foi ne sont pas arrivées dans toutes les boîtes à lettres», regrette Muriel Lecerf, adjointe à la sécurité et présidente du bureau. On finit par croiser Mhamed, 62 ans, qui «a raté le premier tour pour des raisons personnelles», mais a fait le déplacement cette fois-ci. «C’est important que je participe, au moins aujourd’hui, en tant que citoyen français», précise cet agent dans un lycée. Employé de la région, il attend «du changement» à l’issue de ce scrutin, dont Laurent Wauquiez, le président sortant LR, est donné grand favori.