L’échange Zoom commence par des excuses. «J’ai la voix un peu cassée», prévient Anis Ayari, casque Bluetooth sur les oreilles. La veille au soir, il a tenu un direct sur Twitch. Une heure de cris, d’exclamations. D’agacement, aussi. La raison ? Il a passé en revue les propositions des candidats à la présidentielle sur le numérique. Et, entre Pécresse et Zemmour militant pour la mise en place d’un cloud français ou Dupont-Aignan promettant un Google frenchie, ce youtubeur, aussi ingénieur en intelligence artificielle, a repéré une belle erreur 404 en matière de mesures réalistes.
«Tous parlent de “souveraineté numérique”, relève-t-il, irrité. La vraie souveraineté commence par le fait d’avoir de la bonne tech.» Depuis la première fois où l’on avait échangé avec lui, le ton a changé. En décembre, l’homme de 29 ans, suivi par plus de 63 000 personnes sur YouTube, nous racontait l’histoire de son générateur de fausses Miss France. Aujourd’hui, il révèle la formule magique pour avoir de la «bonne tech» : «La France devient un tiers-monde technologique, il faut investir massivement et sur les bonnes personnes.»
Avec des études en ingénierie, «Defend Intelligence», de son pseudo, fait partie de ces dernières. Et, comme près de 70 000 Français, il a rejoint la Silicon Valley après avoir obtenu son diplôme. Dans l’Hexagone, les contrats proposés étaient le plus souvent précaires. Les salaires moins intéressants. «T’es développeur en France, on va te mettre dans une cave», dénonce-t-il.
La start-up monarchy
Même désillusion concernant l’autoentrepreneuriat. A deux reprises il a tenté de lancer sa propre start-up en appelant une douzaine de fois la Banque publique d’investissement, qui finance les entreprises. Aucune réponse. «Une amie m’a dit qu’il fallait avoir les bons contacts. Elle m’a donné le numéro d’un gars qui m’a recontacté dans l’heure», retrace-t-il.
Une expérience enrageante pour ce fils de légionnaire retraité à l’origine plutôt éloigné des bancs de la French Tech. «Mon père est arrivé de Tunisie en France pour faire maçon. Il s’est engagé dans la Légion et c’est comme ça qu’il a eu la nationalité», raconte-t-il. Alors face au mirage méritocratique vendu par la «start-up nation», il bouillonne : «Ça fonctionne surtout comme une monarchie. Il n’y a qu’à voir le profil des entrepreneurs : aucune diversité.»
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Loin de sombrer dans l’inertie, Anis Ayari use de sa bonhomie naturelle pour se montrer à la hauteur de la phrase inspirée inscrite sur son pullover : «Make the world a better place» («rends le monde meilleur» en français). Non, l’ingénieur ne se reconnaît dans aucune des propositions faites. Oui, l’idée mélenchoniste de déployer une armée de drones sous-marins pour protéger les câbles internet est grotesque. Pour relever le débat, il met donc en avant une solution : permettre à des gens compétents d’y participer.
«Allez, cocorico les gars !»
Aujourd’hui employé dans une start-up à Marseille, il a, au cours de son live Twitch et avec ses abonnés, construit son propre programme. Tout en haut de sa «to-do list» politique figure l’inclusivité. Avec un ton quasi électoral, il clame : «Je veux une campagne nationale à destination des jeunes filles dans les collèges et lycées pour les pousser vers les métiers de la tech.» Alors que la plupart des candidats proposent la mise en place de cours de code dès le collège, lui affine : «Plutôt que de charger davantage les épaules des profs, on pourrait créer des jobs pour les étudiants en informatique.»
Proposer des formations de la tech aux personnes en situation de précarité, créer un ministère du Numérique, lutter contre l’illectronisme… Avec vivacité, il énumère toutes les mesures envisagées. Et s’attarde sur une : celle de favoriser les projets de start-up œuvrant pour l’intérêt général. Affirmant vouloir «influer de manière positive sur la vie des Français et pas juste faire de l’argent pour faire de l’argent», il explique lui-même exclure les offres d’emploi venant des banques ou de la finance.
L’allocation de financement aux business devrait donc, selon lui, fonctionner de la même manière, en privilégiant des projets tournés vers l’écologie ou l’inclusivité. «Aujourd’hui, on ne met sur le devant de la scène que des start-up pas rentables, à l’utilité sociale limitée, avec des investissements étrangers. Mais Cédric O est là en mode “allez, cocorico les gars !“», regrette-t-il.
Face à ces idées, on se hasarde à poser la question : est-ce qu’une candidature Anis Ayari est à venir ? Le jeune homme admet caresser l’idée de devenir député. Parlant par mégarde de «courant technologique» plutôt que de «courant politique», il explique même avoir écrit à quatre partis différents, sans préciser lesquels. Mais, là encore, l’histoire se répète : «A chaque fois on me demande si j’ai des contacts.»