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Conseil constitutionnel

Vote dans une église, urnes mal fermées… plus de 30 000 voix de la présidentielle ont été annulées

Election Présidentielle 2022dossier
Pour des manquements aux règles du code électoral, une vingtaine de bureaux de vote au premier tour et une quarantaine au second ont vu leur contribution au scrutin retoquée par le Conseil constitutionnel.
Les voix de 10 216 électeurs sont ainsi tombées aux oubliettes le 10 avril, celles de 20 326 votants deux semaine après. (Patrick Gherdoussi/Libération)
par Anthony Derestiat
publié le 1er mai 2022 à 15h50

Pour certains électeurs, leurs bulletins glissés dans l’urne sont restés lettre morte. La faute aux 22 bureaux de vote épinglés par le Conseil constitutionnel au premier tour de l’élection présidentielle, puis 45 au second pour des manquements aux règles du code électoral constatés par les magistrats chargés d’observer le bon déroulement du scrutin.

Les voix de 10 216 électeurs sont ainsi tombées aux oubliettes le 10 avril, celles de 20 326 votants deux semaine après. Les raisons les plus répandues sont le manque d’assesseurs dans le bureau de vote lors des contrôles ou les urnes mal fermées, mais d’autres sont plus originales.

«Les électeurs ont juste eu le malheur de signer trop tôt»

Les 534 votants de Condat-sur-Vézère (Dordogne) ont, eux, vu leurs voix du premier tour annulées pour avoir signé la feuille d’émargement avant de déposer leur bulletin dans l’urne, en violation de l’article L. 62-1 du code électoral d’après le Conseil constitutionnel. «L’article n’explique pas clairement qu’il faut signer après avoir voté, peste Stéphane Roudier, le maire. Entre 20 et 30% des communes procèdent ainsi ! On voulait s’assurer que les gens ne partent pas sans avoir émargé.» Il révèle étudier la possibilité de contester cette annulation : «Je ne le fais pas à titre personnel, mais pour régler un problème d’interprétation d’une procédure pas si claire qu’on pourrait le penser. Et aussi parce que je trouve cela irritant pour les électeurs de Condat, qui ont juste eu le malheur de signer trop tôt.»

Au second tour, la commune de Saint-Paul-en-Chablais, en Haute-Savoie, a été accusée par le Conseil constitutionnel de mettre des bulletins blancs à disposition des 762 et 642 électeurs de ses deux bureaux de vote, ce qui est «de nature à porter atteinte à la sincérité du scrutin». Démenti catégorique du côté de la mairie : «Ce ne sont pas des bulletins de vote, mais des feuilles sur lesquelles les élus notent les remarques des habitants sur la vie de la commune, défend Bruno Gillet, le maire. On profite de ces moments de rencontre pour noter les tracas du quotidien d’habitants qu’on ne voit pas souvent. Une haie mal taillée, une route endommagée…» Placées selon son estimation à deux mètres des bulletins de vote sur une table différente, ces feuilles étaient déjà là au premier tour, sans que le contrôle du délégué ne pose problème. «Il faut vraiment ne jamais avoir tenu bénévolement un bureau de vote le dimanche pour réagir ainsi.» Et de plaisanter : «Notre commune est juste en face de la Suisse, on va finir par demander notre annexion !»

Les femmes classées par nom marital

Un drôle d’imbroglio a aussi frappé Blérancourt (Aisne) au premier tour, causant l’invalidation des 627 suffrages exprimés. Ici, c’est une histoire de listes de pointage et d’émargement. «Normalement, elles sont faites dans l’ordre alphabétique, avec le nom de naissance utilisé pour les femmes, explique Patrick Laplace, le maire. Or, on ne sait pas pourquoi, on les a reçues avec leur nom marital et le numéro d’électrice ne correspondait plus, ce qui nous a obligés à vérifier, pour chaque personne concernée, la conformité avec les cartes électorales.» Face à la longue file d’attente créée par cette situation, il décide alors, sans en avertir la préfecture, de faire imprimer en pleine journée de scrutin une nouvelle liste, avec les noms dans l’ordre initialement prévu par le code électoral. Ce n’est qu’au moment de la restitution des listes que le bât blesse : les quatre documents (les deux anciens et les deux nouveaux) ne rentrent pas dans l’enveloppe prévue à cet effet et la gendarmerie ne veut rien savoir. «Liste électorale manquante», a tranché le Conseil constitutionnel. «C’est déplorable, car le suffrage est un acte civique et on nous le refuse.»

Dans le petit village de Léchelle (Pas-de-Calais), c’est carrément le domicile du maire, Gabriel Trannin, qui a servi de bureau de vote. Il avait placé l’urne dans une dépendance inutilisée, déplorant après coup dans les colonnes de la Voix du Nord que «la mairie est très vétuste». Si le Conseil constitutionnel a invalidé les voix du premier tour, l’élu léchellois a obtenu l’autorisation au second de réunir de nouveau ses administrés chez lui. Verdict : 80% pour Marine Le Pen (24 voix), 20% pour Emmanuel Macron (6 votes), un bulletin blanc et un nul.

Cizancourt, dans la Somme, a eu droit à une grand-messe électorale… dans l’église du village, où votaient 25 électeurs. Heureusement qu’il n’y avait pas d’office en ce dimanche de second tour. Selon le délégué du Conseil constitutionnel, c’est le confessionnal qui servait d’isoloir. «On ne peut pas faire autrement, une voiture est rentrée dedans et a dévasté la mairie l’année dernière, c’est impossible d’y accéder», explique Laurette Doutart, conseillère municipale et épouse du maire, qui certifie avoir pourtant eu l’autorisation de la préfecture. «Ce n’est pas par plaisir qu’on vote dans l’église !» C’est simplement par foi en la démocratie.