En résumé :
- Maître de l’ordre du jour dans l’hémicycle toute la journée, dans le cadre de sa «niche» parlementaire, le RN a engrangé une victoire inédite dès son premier texte, avec l’adoption d’une résolution pour «dénoncer» l’accord franco-algérien de 1968, grâce aux voix de députés du «bloc central», en particulier des LR et des membres du parti d’Edouard Philippe Horizons.
- Celui-ci offre aux Algériens des clauses spécifiques en matière d’immigration et de séjour en France. C’est donc une résolution non contraignante mais hautement symbolique.
- Le second texte défendu par les troupes de Marine Le Pen, une proposition de loi pour rétablir le délit de séjour irrégulier pour les étrangers s’est trouvé en revanche enterré grâce à l’adoption d’un amendement de suppression déposé par la gauche.
- Le RN, qui dispose avec ses alliés UDR de 139 voix dans l’hémicycle, doit présenter un autre texte pour «limiter les frais bancaires», inspiré d’une initiative communiste, et un autre pour la «gratuité des parkings d’hôpitaux» réclamée également par LFI.
Jordan Bardella crâne sur France 2
Invité de journal télévisé de 20 heures du service public, le patron du RN s’est gargarisé du vote remporté par son camp à l’Assemblée nationale pour dénoncer l’accord franco-algérien de 1968. «La France doit reprendre le contrôle de sa politique d’immigration. Sur le plan migratoire l’accord de 68 facilite une immigration algérienne en France», a-t-il répété. «Aujourd’hui [le Parlement] demande par la voix de cette résolution au président de la République et au Premier ministre de prendre acte et de rompre ces facilitations qu’ont les ressortissants algériens», a-t-il insisté.
Ce troisième texte visant à rendre systématique l’information du consommateur sur l’origine des aliments par le moyen de l’étiquetage n’a finalement pas été adopté par les députés. Au total, 174 parlementaires ont voté contre, et seulement 149 se sont prononcés en faveur de cette proposition de loi.
Le Premier ministre a déclaré jeudi qu’il fallait «renégocier» l’accord franco-algérien de 1968, dont la dénonciation a été demandée ce même jour par l’Assemblée nationale dans le cadre d’une résolution présentée par le RN, et votée par une majorité de députés. «Il faut le renégocier parce qu’il appartient à une autre époque» et «on voit bien qu’on n’est plus du tout dans la même période», a déclaré Sébastien Lecornu lors d’un déplacement à Carentan (Manche). Il a précisé que «c’est le président de la République qui est garant des traités, qui les négocie et qui les signe» et que «la politique étrangère de la France, elle n’est pas faite par des résolutions au Parlement. Ce qui n’empêche pas de respecter le vote de ce matin».
L’ancien ministre de l’Intérieur, inlassable partisan de la dénonciation de l’accord franco-algérien lors de son passage à Beauvau, a salué à sa façon le vote de la résolution RN par l’Assemblée, en mettant la pression sur le président de la République. Selon le Vendéen, Emmanuel Macron ne «peut ignorer» le vote de l’Assemblée et doit «assumer la fermeté» vis-à-vis de l’Algérie. Le Président s’était publiquement opposé à la dénonciation des accords.
Le troisième texte mis à l’ordre du jour par le RN est en train d’être débattu. Il vise à «rendre systématique l’information du consommateur sur l’origine des denrées alimentaires par le moyen de l’étiquetage».
Ce texte n’a aucune portée normative, n’oblige personne à prendre une décision, et n’annule pas non plus les accords franco-algériens. La résolution demande aux «autorités en ayant la compétence» de «dénoncer les accords franco‑algériens du 27 décembre 1968», c’est-à-dire d’y mettre un terme unilatéralement. En fait, ce texte est adressé à l’exécutif, Emmanuel Macron en tête, puisque «seul le Président peut dénoncer un accord», explique Serge Slama, professeur de droit public a l’Université Grenoble-Alpes. Lire notre article.
La niche parlementaire est une journée où l’ordre du jour (l’emploi du temps) est fixé par un groupe d’opposition, que ce soit à l’Assemblée ou au Sénat. La Constitution prévoit en effet qu’«un jour de séance par mois est réservé à un ordre du jour arrêté […] à l’initiative des groupes d’opposition de l’assemblée intéressée ainsi qu’à celle des groupes minoritaires». Le groupe en question - aujourd’hui, le RN - peut donc faire discuter des mesures qui lui semblent prioritaires. Lors de cette séance, les députés ont jusqu’à minuit pour examiner les différents textes. Habituellement, il est compliqué de faire adopter sa proposition lors d’une niche, qui est souvent le théâtre d’obstruction parlementaire. Et les embûches sont nombreuses : longues prises de parole, rappels au règlement et motions de rejet préalables sont autant de mécanismes pouvant retarder le vote d’un texte. Plus de détails à lire ici.
En dépit de la victoire du matin, les choses se corsent dans l’après-midi pour les troupes de Marine Le Pen. Après le vote d’un amendement de suppression déposé par la gauche sur la proposition de loi pour rétablir le délit de séjour irrégulier pour les étrangers, le RN a décidé de retirer ce second texte, histoire de pouvoir aborder la suite de l’ordre du jour, sans perdre davantage de temps.
Sur les 34 députés que compte le groupe Horizons du parti de l’ancien Premier ministre à l’Assemblée, les 17 parlementaires présents dans l’hémicycle ont voté en faveur de la résolution visant à «dénoncer» l’accord franco-algérien de 1968. Une position que les troupes d’Edouard Philippe revendiquent, puisqu’il défendait sa remise en cause depuis longtemps. Alors que le député socialiste Philippe Brun s’indigne en partageant sur X la couverture de l’Express de juin 2023 où le maire du Havre appelle justement à «dénoncer l’accord de 1968 avec l’Algérie», «à l’origine du point de bascule historique que nous venons de vivre», le haut-fonctionnaire Clément Tonon chargé d’élaborer son projet présidentiel pour 2027 en remet en couche : «oui c’était une super idée, je n’ai jamais entendu d’argument valable pour défendre cet accord daté, asymétrique et nuisible à l’intérêt national». Avant de supprimer son tweet. Mais la députée européenne anciennement macroniste Nathalie Loiseau, désormais «secrétaire nationale à l’internationale», s’en félicite aussi sur X : «Merci Philippe Brun de rendre à Edouard Philippe la paternité d’une évidence : rien ne justifie que les ressortissants algériens soient traités différemment des autres étrangers. Une majorité de Français sont d’accord avec lui et aujourd’hui une majorité de députés également».
Après un premier succès dans la matinée avec le vote de la résolution pour dénoncer les accords franco-algériens de 1968, grâce aux voix du bloc central, en particulier celles de LR et du parti d’Edouard Philippe Horizons, le RN va tenter de faire adopter un second texte avec une proposition de loi visant à rétablir le délit de séjour irrégulier pour les étrangers. Les travaux en séance ont repris à 15 heures après la pause méridienne. Sans se prononcer sur le fond de la mesure, le ministre de l’Intérieur Laurent Nuñez en a dénoncé l’inefficacité ce midi, en estimant qu’elle ne donne «aucun pouvoir coercitif supplémentaire aux forces de l’ordre». «Bien au contraire, ce texte, c’est le risque d’une saturation des tribunaux judiciaires et le fait que les forces de sécurité se trouvent détournées de leur mission initiale», a-t-il argumenté.
Les voix du RN et de leur allié de l’Union des droites pour la République (UDR) d’Eric Ciotti, qui se sont massivement mobilisés ce jeudi (2 absents seulement sur les 139 députés de la coalition), ne suffisaient pas pour gagner. Si le parti lepéniste a obtenu sa première victoire à l’Assemblée, c’est parce que des membres d’autres groupes ont voté pour. C’est le cas des députés Les Républicains : sur les 50 membres du groupe présidé par Laurent Wauquiez, les 26 présents – dont l’ex-Premier ministre Michel Barnier ont voté pour. Horizons, le parti d’Edouard Philippe a aussi approuvé massivement le texte. Sur ses 34 députés, les 17 présents dans l’hémicycle – dont leur président Paul Christophe et l’ex-ministre de la Santé Frédéric Valletoux – l’ont tous voté. Tout comme deux élus du petit groupe hétéroclite Liot. Mais l’adoption d’une petite voix a aussi été permise par quelques abstentions dans les partis du bloc central. Trois élus, dont Karl Olive, se sont abstenus au sein du groupe Ensemble pour la République (EPR). Deux du côté du Modem de François Bayrou. Lire notre article.
L’adoption – certes non contraignante – de la proposition de résolution portée par Marine Le Pen pour remettre en cause les accords de 1968 entre la France et l’Algérie constitue un précédent qui fera date. Edouard Philippe et Gabriel Attal, qui ont profité du front républicain, en sont responsables. Lire notre billet.
Dans la foulée de ce coup de théâtre, le RN espère décrocher une deuxième victoire sur sa proposition de loi pour rétablir le délit de séjour irrégulier, idée également «majoritaire au sein de l’Assemblée», selon Marine Le Pen. Une mesure contenue dans le projet de loi immigration mais censurée par le Conseil constitutionnel pour une raison de forme. Ce délit, supprimé sous la présidence Hollande en 2012, rendait passible d’une amende ou d’une peine de prison le fait de se trouver sur le territoire français sans autorisation légale.
L’exécutif entend «privilégier la voie de la renégociation dans le cadre d’un dialogue exigeant avec l’Algérie», a expliqué le ministre des Relations avec le Parlement, Laurent Panifous, assurant que Paris n’aurait «rien à gagner à une aggravation de la crise» déjà prégnante avec Alger.
«Quand le RN porte des projets ou des convictions que nous partageons, il n’y a aucune raison […] de ne pas voter ce que nous voulons pour notre pays», a justifié le chef des élus de droite, Laurent Wauquiez, rappelant que sa formation avait «porté» la même résolution il y a deux ans. Du côté du parti d’Édouard Philippe également, «nous demandons cette dénonciation», a souligné le député Sylvain Berrios, soutenant un texte présenté comme «un mandat donné au gouvernement pour qu’il fasse son travail».
Si la résolution n’a pas de valeur législative, Marine Le Pen a demandé au gouvernement de tenir «compte» du vote du Parlement sur son texte, qui appelle à dénoncer l’accord qui offre aux Algériens des clauses spécifiques en matière d’immigration et de séjour en France. «Nous considérons qu’il n’y a plus rien qui justifie le maintien de cette convention», a-t-elle insisté.
L’accord de 1968 prévoit que l’entrée des Algériens en France est «facilitée» : pour séjourner plus de trois mois sur le territoire, nul besoin d’un visa. Pour accéder à un titre de séjour de dix ans, ils peuvent, si leurs ressources sont suffisantes, en faire la demande après trois ans de résidence en France, contre cinq ans pour les personnes dépendant du droit commun. Les membres de leur famille reçoivent également un certificat de résidence de dix ans dès leur arrivée si la personne qu’ils rejoignent est titulaire d’un titre décennal. Lire notre article.
Le leader de la France Insoumise n’a pas tardé à réagir à l’adoption par l’Assemblée nationale de la résolution dénonçant l’accord franco-algérien de 1968, portée par le Rassemblement national. «Honte au RN», s’est exclamé Jean-Luc Mélenchon sur X, ajoutant que le parti d’extrême droite «est l’ennemi personnel de millions de compatriotes» et «continue sans fin les guerres du passé». Et de dénoncer la «haine» des députés lepénistes : «L’Algérie, le Maroc, la Tunisie sont des nations sœurs de la France. Nos peuples ont tant de familles et d’amour en commun !»
«C’est une journée qu’on peut qualifier d’historique pour le RN», s’est félicitée après la cheffe des députés d’extrême droite Marine Le Pen, soulignant qu’il s’agissait du premier texte de son parti approuvé par l’Assemblée, en dépit des oppositions de la gauche, des macronistes et du gouvernement.
Les groupes PS et Ecologistes ont critiqué l’absence de Gabriel Attal et des députés du groupe Ensemble pour la République après la victoire du RN à l’Assemblée. Pour sa niche parlementaire, la formation d’extrême droite avait choisi d’inscrire en premier à l’agenda un texte visant à «dénoncer les accords» de 1968 avec Alger. Le parti d’extrême droite est parvenu à faire voter, à une voix près, un texte non contraignant mais hautement symbolique. «Ils étaient où les macronistes ? G Attal absent ! À 1 voix près Horizons (E. Philippe), LR et l’extrême droite votent ensemble la fin de l’accord de 1968 avec l’Algérie», a ainsi dénoncé le patron des députés socialistes Olivier Faure sur X. Gabriel Attal avait toutefois lui-même appelé à dénoncer l’accord de 1968, en janvier, pour «poser les limites et assumer le rapport de force avec l’Algérie», notamment à l’aune de l’arrestation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal. Mais son groupe était contre le texte du RN.