En résumé :
- Marine le Pen a été condamnée ce lundi par le tribunal correctionnel de Paris. Elle a écopé de quatre ans de prison dont deux ferme, 100 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire, pour complicité de détournement de fonds publics par instigation. Au JT de 20H, elle a dénoncé une «décision politique» et a reconnu qu’elle était pour le moment «éliminée» de la course à la présidentielle.
- Au total, 23 prévenus ont été condamnés à des peines allant de six mois de prison avec sursis à quatre ans dont deux ans ferme - la peine maximale ayant été prononcée pour Marine Le Pen - assorties, selon les cas, d’amendes et de peines d’inéligibilité, parfois avec sursis. Un seul prévenu a été relaxé. Le parti du Rassemblement national est également déclaré coupable et écope de 2 millions d’euros d’amende, dont 1 million ferme.
- La députée du Pas-de-Calais a fait savoir dans la foulée du jugement sa volonté de faire appel. Mais l’exécution provisoire s’appliquant immédiatement, Marine Le Pen reste interdite de se présenter à l’élection présidentielle 2027, sauf si le procès en appel rend une autre décision d’ici là.
- La patronne du RN et ses 24 coprévenus étaient accusés d’avoir détourné pendant plus de dix ans 4,6 millions d’euros de ressources allouées par le Parlement européen pour financer (et enrichir) le parti et les personnes y travaillant. L’accusation avait requis en novembre à l’encontre de Marine Le Pen cinq ans d’emprisonnement dont deux fermes ainsi que 300 000 euros d’amende, et surtout une peine de cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire.
Les Etats-Unis préoccupés. A l’instar de Moscou et de Budapest et d’autres représentants de «l’internationale réactionnaire» ainsi désignée par Emmanuel Macron en janvier, Washington apporte son écot au débat international sur le sort de Marine Le Pen. Sans mentionner explicitement la triple candidate à la présidentielle, la Maison Blanche a jugé «particulièrement préoccupante» la décision judiciaire rendue contre l’ex-présidente du RN. «L’exclusion de personnes du processus politique est particulièrement préoccupante compte tenu de la guerre judiciaire agressive et corrompue menée contre le président Donald Trump ici aux Etats-Unis», a déclaré à la presse la porte-parole du département d’Etat, Tammy Bruce.
Gérald Darmanin à la rescousse des juges. Le ministre de la Justice et garde des Sceaux a qualifié lundi soir sur X d’«inacceptables dans une démocratie» les menaces «proférées» à l’égard des magistrats du tribunal de Paris ayant condamné Marine Le Pen à une inéligibilité immédiate de cinq ans dans l’affaire des assistants parlementaires européens. « Les menaces proférées contre les magistrats du Tribunal judiciaire de Paris sont inacceptables dans une démocratie et préoccupantes pour l’indépendance de l’autorité judiciaire », a posté sur son compte X Gérald Darmanin. L’extrême droite dénonce en chœur une décision «politique», et une instrumentalisation de la justice pour éliminer des opposants politiques.
Les menaces proférées contre les magistrats du Tribunal judiciaire de Paris sont inacceptables dans une démocratie et préoccupantes pour l’indépendance de l’autorité judiciaire.
— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) March 31, 2025
Marine Le Pen va-t-elle se retirer de la vie politique française ? «En aucune manière, en aucune façon», répond solennellement la présidente des députés du Rassemblement national à Gilles Bouleau, au 20 heures de TF1. Et s’adresse directement à ses électeurs : «Aux Français, je viens leur dire ce soir : ne vous inquiétez pas, je ne suis pas démoralisée, au contraire, je suis scandalisée, indignée.» Pour elle, ces ressentis sont «un moteur supplémentaire au combat que je mène pour» les Français. Histoire de garder la face jusqu’au bout.
Marine Le Pen embarque avec elle François Bayrou et Jean-Luc Mélenchon. «Comme par hasard, toute l’opposition se fait reprocher la même chose», s’indigne la patronne du Rassemblement national sur le plateau de TF1, lors du JT de 20 heures. Elle cite : «François Bayrou lorsqu’il était encore dans l’opposition, nous-mêmes qui sommes dans l’opposition, et monsieur Mélenchon, lui aussi dans l’opposition.» Elle fait ici référence à l’affaire des assistants parlementaires du Modem, qui leur a valu un procès au cours duquel l’actuel Premier ministre a été relaxé en première instance, mais aussi à l’enquête menée depuis 2017 contre le fondateur de la France insoumise, soupçonné d’avoir utilisé des fonds européens pour financer ses ambitions politiques en France. «Décidément, il ne fait pas bon être dans l’opposition dans ce pays», ironise Marine Le Pen.
«De Gaulle disait que la Cour suprême, c’est le peuple», dixit Marine Le Pen. Pour une fois, c’est vrai. Le général de Gaulle, «père de la Constitution», comme le surnomme la leader d’extrême droite au JT de TF1, a bien affirmé que «la Cour suprême c’est le peuple». Usant de ce populisme judiciaire pour plaider en sa faveur, Marine Le Pen affirme : «Aucun juge ne peut décider d’interférer dans une élection aussi importante que l’élection présidentielle.» Un jugement qui se fonde pourtant sur la loi Sapin 2, votée par les législateurs élus au suffrage universel et qui ont toutes les capacités pour les modifier s’il ne leur convenaient pas.
Au sujet d’une éventuelle grâce présidentielle, c’est «non, non, non». Lorsqu’un individu est condamné définitivement (c’est-à-dire en première instance, en appel et même en cassation), il peut réclamer la grâce du président de la République. Pour Marine Le Pen, c’est «non, non, non : la grâce s’applique sur une décision définitive, nous n’en sommes pas là.» Celle qui dézingue à tout va les juges de première instance et leur décision «politique» croit soudainement «beaucoup en la capacité d’une cour d’appel à analyser avec neutralité ce dossier». Peu importe que le jugement ait été prononcé sur des faits établis et que la cour d’appel, qui ne pourra par ailleurs pas revenir sur l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité, jugera à partir de ces mêmes faits, Marine Le Pen le martèle : «Nous n’avons rien à nous reprocher. […] Cette affaire aurait dû rester au niveau du désaccord administratif avec le Parlement européen.»
Jordan Bardella, candidat à sa place ? Pas tout de suite, tempère Marine Le Pen. Questionnée sur la possibilité d’envoyer, à sa place, le président du Rassemblement national à l’élection présidentielle de 2027, Marine Le Pen a relégué la question à plus tard. «Jordan Bardella est un atout formidable pour le mouvement, je le dis depuis longtemps. Mais j’espère que nous n’aurons pas à user de cet atout plus tôt que nécessaire», glisse-t-elle. En clair : la patronne de l’extrême droite ne s’avoue pas encore vaincue, et n’est pas prête à céder sa place. «Je suis combative, je ne vais pas me laisser éliminer de la sorte», confirme-t-elle. «Je vais demander que la décision d’appel intervienne [avant l’élection présidentielle], me permettant d’envisager une candidature».
Marine Le Pen au 20H de TF1. Décidée à faire appel, Marine Le Pen martèle ses éléments déjà dévoilés pendant le procès. «Il s’agit d’un désaccord administratif avec le Parlement européen, il n’y a pas eu d’enrichissement personnel.» Un désaccord administratif chiffré à 4,1 millions d’euros pour le Front national, tout de même.
Marine Le Pen au 20H de TF1. L’élue du Pas-de-Calais se montre combative et dit vouloir tout tenter pour se présenter en 2027, notamment en passant par un appel qu’elle espère pouvoir rapprocher. «Il faut que la justice se hâte, votre journaliste elle même disait qu’il faut 18 mois à 2 ans, il sera trop tard ! Imaginez que je sois relaxée dans le cadre d’un arrêt de la cour d’appel postérieurement à une élection présidentielle à laquelle je n’aurais pas pu me présenter, quelle sera la légitimité de celui élu ? Voilà la question.»
Marine Le Pen au 20H de TF1. Alors que Gilles Bouleau lui renvoie le fait que d’autres élus condamnés ont également essuyé cette exécution immédiate, l’ex-députée européenne le contredit. «Je suis désolée de vous dire que vous vous trompez, l’exécution provisoire est en générale prononcée lorsque les faits ont été commis lors d’un mandat encore détenu par la personne. Ce qui n’est pas mon cas.» En l’espèce, comme le souligne CheckNews, le jugement motive cette décision par le constat que la responsable du RN n’ait jamais reconnu les faits qui lui sont reprochés, alors qu’ils sont désormais bien établis au vu de toutes les preuves exposées au fil du procès. Pour justifier l’application immédiate de la peine d’inéligibilité de Marine Le Pen, le tribunal a aussi pris en compte «le trouble majeur à l’ordre public, en l’espèce le fait que soit candidate à l’élection présidentielle une personne déjà condamnée en première instance», a fait savoir Bénédicte de Perthuis.
Marine Le Pen au 20H de TF1. Remontée, Marine Le Pen poursuit son réquisitoire contre le jugement qui a été rendu. «Je crois que l’état de droit a été totalement violé par la décision rendue. Dabord parce qu’elle empêche un recours effectif, ce qui est un droit garanti par la convention des droits de l’homme, parce qu’elle considère que le fait de se défendre justifie l’exécution provisoire. Là, on vous dit : “Le fait de vous défendre, de faire état de potentiellement la prescription, va faire en sorte que je vais aggraver de manière considérable votre peine.”»
Marine Le Pen au 20H de TF1. Questionnée sur son départ prématuré du tribunal, avant même le prononcé total de son jugement, la triple candidate à la présidentielle assure que c’est parce qu’elle avait «parfaitement compris que la présidente expliquait une décision politique. [...] La magistrate a assuré la mise en oeuvre de l’exécutioin provisoire de l’inéligibilité, donc de rendre mon appel inutile sur ce sujet, pour m’empêcher de me présenter et d’être élue à l’élection présidentielle. C’est une décision politique qui était en train d’être rendue.»
Quelle stratégie pour la défense de Le Pen ? Comment la défense de la députée compte-t-elle s’y prendre pour lui redonner son éligibilité ? «Nous essaierons d’une façon ou d’une autre de hâter l’audiencement de cette affaire» en appel, a déclaré l’avocat Me Bosselut sur BFMTV, affirmant que la cheffe de file de l’extrême droite «n’a pas fait le deuil» de sa candidature. A la question de savoir s’il demandait officiellement que le procès en appel se tienne avant 2027, l’avocat a répondu par l’affirmative. «Il y a un chemin juridique», «il est étroit», pour que Marine Le Pen puisse se présenter en 2027, a reconnu le conseil après la condamnation de celle-ci à quatre ans de prison, dont deux ferme sous bracelet électronique, 100 000 euros d’amende, mais surtout cinq ans d’inéligibilité avec effet immédiat.
«La première chose qui me vient en tête : ils l’ont fait.» A l’heure de prendre l’antenne à 16 heures pour sa quotidienne On marche sur la tête sur Europe 1, Cyril Hanouna le dit, il pourrait faire «une émission de huit heures» pour évoquer la condamnation de Marine Le Pen pour détournement de fonds publics ce lundi, et ses cinq ans d’inéligibilité avec application immédiate. Derrière ses Aviator fumées, en studio, le voilà qui prévient, dans une diatribe classiquement populiste : «Quand je dis que le prochain président ne pourra rien faire s’il ne bouscule pas toutes les institutions, je faisais référence à cela. C’est extrêmement grave ce qu’il se passe. J’ai peur pour mon pays. Ou il y a un mec qui renverse tout, ou ça va être de pire en pire.»
Evidemment, le rapprochement est fait avec son propre sort, et le retrait de la fréquence TNT de la chaîne C8. «Notre pays est en danger», a poursuivi l’animateur, tout en demandant leur avis à ses chroniqueurs. Parmi ceux-ci, l’ancien agent de Michel Polnareff, Fabien Lecoeuvre, qui fustige une «République des juges». «Les juges, on dirait qu’ils tournent la roue, en disant ‘‘le million, le million !‘‘», rebondit Hanouna, en faisant référence à Philippe Risoli et l’émission des années 1990, Millionnaire. Une connaissance de l’animateur lui envoie un SMS, que celui-ci lit à l’antenne : «Visiblement les juges font preuve de plus de clémence avec les OQTF qu’avec les politiques de droite». Pas de doute, nous sommes bien dans les médias Bolloré. Par Adrien Franque.
Censure ou pas censure ? La question d’un renversement du gouvernement n’est pas à l’ordre du jour, jurent les députés RN. Alors que le «trouble» décrit par François Bayrou pour qualifier sa réaction à la condamnation de Marine Le Pen pouvait être lu comme un appel au calme en direction des troupes d’extrême droite, Thomas Ménagé assure que la question de la censure n’est «absolument pas le sujet» du jour. Invité de Franceinfo, le député RN a assuré que si le RN devait censurer le gouvernement, ce serait «parce qu’il est néfaste pour les Français, parce qu’il agit mal».
Le PS «troublé» par le «trouble» de Bayrou. «Aucun commentaire», mais un «trouble» très largement diffusé, de l’AFP à BFM en passant par le Parisien et RTL. Si l’idée derrière l’étrange communication autour du du Premier ministre à l’annonce de la peine de Marine Le Pen dans l’affaire des assistants parlementaires européens étaient de faire parler, c’est réussi. La réaction compassée de François Bayrou a en effet attiré l’attention de deux cadors du PS, puisqu’il s’agit d’Olivier Faure et de François Hollande. Le premier secrétaire s’est ému du manque de réserve du chef du gouvernement : «Visiblement le respect de la loi, l’Etat de droit, la séparation des pouvoirs, ne sont plus à l’ordre du jour au gouvernement.» Sur le plateau de BFM, l’ancien président a jugé que le Béarnais n’avait «pas à être troublé, quand on est Premier ministre dans une République et qu’on est le gardien de la loi, il faut […] accepter que les tribunaux puissent être garantis dans leur indépendance».
François Hollande au soutien des juges. Invité de BFM lundi soir, l’ancien président a appelé à «respecter l’indépendance de la justice». Sans commenter le fond de la décision, le député socialiste a estimé que «la seule réaction» face à la condamnation de Marine Le Pen consistait à «respecter l’indépendance de la justice». «Il n’est pas acceptable, en démocratie, qu’on s’en prenne à des juges et un tribunal», visant sans les nommer les différentes réactions outragées en provenance de l’extrême droite.
Le rappel à l’ordre du Conseil supérieur de la magistrature. Face à l’inflation de réactions indignées des soutiens de Marine Le Pen et du RN, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a publié un communiqué exprimant «son inquiétude». «Ces réactions sont de nature à remettre en cause gravement l’indépendance de l’autorité judiciaire, fondement de l’Etat de droit, écrit le CSM. Les menaces visant personnellement les magistrats en charge du dossier, tout comme les prises de parole de responsables politiques sur le bien fondé des poursuites ou de la condamnation, en particulier au cours du délibéré, ne peuvent être acceptées dans une société démocratique.»
LFI critiqué à gauche. La posture critique des insoumis à l’égard de l’inéligibilité immédiate de Marine Le Pen passent mal à gauche. Un message «scandaleux» qui relève de «la mise en opposition des juges et du peuple», a jugé l’ex-députée Raquel Garrido, qui s’était vu refuser l’investiture insoumise aux dernières législatives. «La justice doit pouvoir s’imposer à tous les citoyens, élus compris», a répliqué Danielle Simonnet à son ancien mentor, également «purgée» au même moment. Au PS, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon s’est vu reprocher par la porte-parole Chloé Ridel d’«appuyer un discours anti-juge», rappelant au passage que «les peines d’inéligibilité […] ont été votées par le Parlement, donc par le peuple», en réponse à la remarque insoumise selon laquelle la révocation des élus devrait être décidée «par le peuple».
L’ancien ministre Marc Fesneau appelle à débattre de la loi sur l’inéligibilité. Le numéro 2 du Modem, très proche de François Bayrou, a estimé lundi que la peine d’inéligibilité à laquelle Marine Le Pen a été condamnée était «conforme» à ce que prévoyait la loi et qu’il n’appartenait «pas aux élus de remettre en cause des décisions de justice».
En revanche, le chef des députés centristes, a estimé que la loi pouvait «légitimement interroger le législateur». «Peut-on condamner en première instance un élu avec exécution immédiate de sa peine, au risque de le condamner définitivement, avant toute forme d’appel ?» s’est-il demandé dans un communiqué, appelant à en débattre le cas échéant «dans le cadre du Parlement», sans remise en cause de «notre Etat de droit».