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Dans l'œil de Libé

EN IMAGES - Rétro 2023 : six mois d’actu politique dans l’objectif de nos photographes

Twerk de «booty therapy» chez les Ecologistes, marche contre l’antisémitisme, campus Renaissance à Bordeaux avec Edouard Philippe… Retour sur l’actualité politique depuis août par les photographes de «Libération». Textes et photos issues de la newsletter Chez Pol.

Marine Le Pen à Beaucaire, le 16 septembre 2023, lors de la journée Estivale du Rassemblement national. (Denis Allard/Libération)
Publié le 26/12/2023 à 8h03

Des coulisses de la fabrication de l’image, à la petite phrase qui échappe aux services de presse, l’œil de Libé donne à voir et à lire l’envers du décor de la photographie politique.

Saint-Denis, le 30 août

Mercredi 30 août, Macron recevait les chefs de l’opposition à Saint-Denis pour une séance de travail. Le trafic était un peu complexe, entre l’A1 à la sortie de Paris en travaux et un service de police renforcé pour faciliter le passage du Président. Du coup, j’arrive en avance mais avec peu de marge, quand je vois par hasard les patrons de la Nupes marcher dans la rue accompagnés de seulement un photographe. Ni une ni deux, je cale mon scooter sur le bas-côté, saute et j’ai juste le temps de faire trois, quatre images au débotté avant qu’ils ne passent les cordons de sécurité. A ce moment-là, l’autre photographe les interpelle pour une image, chose que je suis bien incapable de faire mais puisqu’il interagit dans mon réel, j’en profite pour intégrer ces éléments. Des politiques un peu gauches un quart de seconde avant la pose, une main qui les dirige dans l’urgence, d’autres protagonistes qui ne suivent pas vraiment l’action : nous sommes hors protocole. Ensuite, ils iront à l’autre bout de la rue pour parler aux médias. En contournant le pâté de maisons, j’arriverai à temps pour l’image médiatique. Nous pensons qu’ils ressortiront bientôt, en colère, mais ils auront été tout de même finalement douze heures au charbon avant que l’on ne puisse revoir leurs mines, un peu plus grises. Stéphane Lagoutte


Perpignan, le 31 août

Perpignan, salle de conférence de presse, une poignée de journalistes, l’ennui. Le port de l’uniforme à l’école était déjà au programme du RN, rien de neuf, mais le gouvernement fait tout pour que le RN marque des points dans la bataille culturelle. Las ! Fin de conférence de presse, je traîne pendant que mes collègues quittent la salle. J’aimerais une image qui sorte du cadre très maîtrisé de cet exercice, retrouver de la spontanéité et une parole plus libre avec les soutiens de Louis Aliot et son équipe. Soudain, le maire RN de Perpignan se lève et va rejoindre des gens au fond de la salle. Je me dis que c’est peut-être le moment que j’attendais. Aliot s’entretient avec deux élus et quelques soutiens. Il évoque ses souvenirs : «A mon époque, les uniformes, ils étaient roses pour les filles et bleus pour les garçons alors bon.» Rires. Lui ne milite que pour une seule couleur, «le bleu Marine». On peut nommer ça le «rétro-progressisme». On ne sait pas s’il parle plutôt de l’école privée, mais dans le public, l’uniforme n’a jamais été généralisé et la blouse a été supprimée après mai 68. Aliot, lui, est né en 1969 à Toulouse. Sa mémoire lui joue peut-être des tours. Ou alors, j’ose espérer que c’était un trait d’humour. Pas certain ! David Richard


Dieppe, le 5 septembre

Mardi 5 septembre, comme un air de campagne… François Ruffin, député LFI, était sur les terres normandes de son «meilleur camarade parlementaire», Sébastien Jumel, député communiste. C’est le début pour l’insoumis d’un nouveau cycle, «la quête des bonnes initiatives des maires en France, histoire de passer de la colère chez les gens à de l’espoir…» Chemise blanche (sans maillot de foot dessous), veste bleue, déjeuner avec les élèves à la cantine d’une école primaire d’un quartier prioritaire de Dieppe. Le député LFI observe à distance, là où Jumel va discuter avec les petits, prend du dessert en rab. Ruffin, mal à l’aise ? Ou plutôt distant et méfiant de ces images de com’obligées ? La visite se poursuit dans la commune de Caule-Sainte-Beuve, les deux élus sont accueillis chaleureusement par la maire Chantal Benoît et les habitants du village. Table ronde en extérieur, la maire explique le fonctionnement d’une maison multi-services qu’elle vient de mettre sur pied. Coiffeur, esthéticienne, café… Les habitants questionnent les députés. Le social toujours très présent, les fins de mois difficiles, les retraites et, thème qui revient toujours, ceux qui ne font rien et ont des aides pendant que d’autres travaillent et gagnent moins. Jumel et Ruffin ne varient pas sur le fond. L’insoumis, tout en retenue, écoute, prend des notes et répond que ce n’est pas le RSA qu’il faut cibler mais les grosses fortunes, façon de détricoter l’idée récurrente de l’électorat RN. Jumel, d’une manière plus abrupte, mode Ruffin 2017, ne dit pas autre chose. Comme un air de présidentielle. Albert Facelly


Hénin-Beaumont, le 10 septembre

Pour sa rentrée politique sur ses terres du Pas-de-Calais, à Hénin-Beaumont, l’ambiance est torride pour Marine Le Pen. La grande braderie de la ville, deux coupures de rubans avec le maire Steeve Briois, du Gilbert Montagné à toute berzingue, du rock et des pin-ups, des frites mayonnaise sous 31 degrés, des mains moites à serrer, des bises dégoulinantes, des selfies collés dans la sueur, des journalistes en meute, le jugement des habitants sur la ligne svelte de «MLP». Un vrai bain de foule bouillonnant, voire un jacuzzi médiatico-populaire. La température a explosé quand Le Pen est montée dans une voiture avec Steeve Briois. Une Volkswagen. Une voiture allemande. Une Coccinelle même, pas asiatique celle-là. Ça joue des coudes pour obtenir la meilleure image d’une séquence téléphonée. Je prends de la distance – normal, au 50 mm – et attends la suite. Ce sera une succession d’arrêts très cadrés. J’ai bien espéré une rencontre avec un bonhomme déguisé en Mickey qui attirait tous les gamins de la braderie, mais rien du tout. La souris semblait même impressionnée par Le Pen, qui aime beaucoup les chats, elle l’a dit. En rentrant, je fouillerai dans les bacs de vinyles moisis, n’y trouvant que du Sardou. Déçu, j’achèterai Cendrillon pour ma fille. Stéphane Dubromel


Saint-Pol-sur-Mer, le 15 septembre

Mais qui donc sait que se jouent des élections sénatoriales en ce moment, à part les sénateurs ou aspirants sénateurs ? Patrick Kanner, sénateur du Nord et chef du groupe PS, c’est un poids lourd de la politique. Et lorsqu’on embarque avec lui dans son tour-bus, on s’en rend bien compte. Toujours frais, l’œil pétillant, le bon mot, il sait labourer les terres électorales. Comble pour un journaliste, il est totalement sans filtre, se laissant aller à des indiscrétions ou autres vacheries – «Mais ça ne le notez pas» – en sachant très bien que cela va infuser dans nos petites caboches. Et pour ce qui est de l’image, c’est open bar. Rien à cacher. Il gère son image bonhomme, de matou de la politique, en bon père de famille socialiste, au-dessus de tout ça. Parle ouvertement des rumeurs sur sa supposée perruque. «Mais regardez», dit-il à la journaliste. Limite si on ne pouvait pas tirer sur sa tignasse pour prouver que oui, c’est du vrai. Il parle de son coiffeur, dit que je suis roux, alors que pas du tout. Insiste. Non. Vraiment. Kanner mange très peu. Il picore, sirote quelques gorgées de bière, chipe une petite brioche tandis que nous nous laissons aller sur les buffets. Il sait qu’il joue une épreuve d’endurance. A midi, c’est pause sandwich. Kanner s’en moque, il boit de l’eau. ll attend son rendez-vous avec un maire qu’il devra convaincre. Tout en douceur. Stéphane Dubromel


Beaucaire, le 16 septembre

Le poing serré, le dos voûté et le visage fermé. Tout l’inverse de l’image que donne Le Pen aux preneurs d’images, à longueur de journée. Entre deux «séquences» – un bain de foule, un discours, une interview… –, le photographe doit être aux aguets pour retranscrire une autre image que celle que le politique veut donner de lui-même. Le contrepoint nécessaire à une forme d’endormissement généralisé. Ici, le cas de figure est ultra-classique en photo politique : le contrechamp. Samedi 16 septembre dans les arènes de Beaucaire (Gard), c’est Bardella qui parle au micro et que tout le monde filme. En plein discours, Marine Le Pen se lève pour rejoindre les coulisses avant de monter sur scène. Ça peut paraître simple, mais souvent, ça va très vite, alors il ne faut pas baisser la garde car le combat est permanent. Denis Allard


Paris, le 24 septembre

L’exercice est parfois contesté, mais photographier un écran lorsqu’un président parle dedans, c’est illustrer un moment de son agenda. Un politique se déplace en ville, reçoit dans son château, accorde des entretiens privés… et parle aussi à la télé pour annoncer des choses. Ou pas. Un journal utilise des archives ou des images d’actualité, et un président à l’écran en est une. Techniquement, l’exécution des images doit être rapide car l’imprimeur attend ses pages, la maquettiste cherche son équilibre, les titreurs sont aux aguets, les journalistes cherchent leur angle. Bref, pendant une demi-heure, c’est un peu le bazar habituel qui fait le charme d’une rédaction au travail. Denis Allard


Frangy-en-Bresse, le 30 septembre

Frangy-en-Bresse, ce samedi. La traditionnelle Fête de la rose bat son plein. À quelques mois des européennes, on y parle cette année… d’Europe, c’est commode. Et cela tombe bien : la députée du coin, la PS Cécile Untermaier, a invité Raphaël Glucksmann. L’eurodéputé veut rempiler. Mieux, il ambitionne de conduire la liste des roses, comme en 2019. Alors, devant un parterre d’élus, en chemise blanche et sous la chaleur de cette fin septembre, il défend son bilan au Parlement européen. Pendant le discours, une pancarte attire mon regard : «Cette France qui a faim». C’est la une de Marianne et celui qui la tient a ajouté : «Et l’Europe aussi». Et je m’interroge : comment se peut-il qu’en France, pays où l’agriculture se veut productiviste, une personne sur 10 ait recours à l’aide alimentaire ? L’Europe peut-elle construire de la souveraineté alimentaire et échapper à cette course folle de la mondialisation ? Claire Jachymiak


Bordeaux, le 8 octobre

Deuxième jour du campus Renaissance à Bordeaux. Tout est feutré, prévisible, routinier, convenu. Un collègue photographe à qui je demande comment c’était hier me répond : «C’était long.» Et je suis bien obligé d’en convenir en suivant Philippe qui prend tout son temps dans les allées, refuse de commenter tel propos polémique, s’extasie sur le stand d’une délégation régionale : «Le Cantal, c’est le centre du monde !» Mais de cette gangue d’ennui émerge pourtant cette photo, où l’ancien Premier ministre semble d’une grande sérénité. Il a l’air de prendre un bon bain chaud dans sa salle de bain plutôt qu’un bain de foule dans un parc des expositions. La dernière fois que je l’ai photographié, c’était ici, au même endroit. Il avait encore sa tête d’avant. Aujourd’hui, au centre de toutes les sollicitations des militants, après les épreuves traversées, il affiche pendant une fraction de seconde une confiance totale. Rodolphe Escher


Paris, le 23 octobre 2023

Débat sur la situation au Proche-Orient à l’Assemblée. La salle des Quatre Colonnes est étrangement calme. Deux députés LFI, pas très à l’aise, répondent aux journalistes sur la dernière sortie médiatique de Mélenchon à propos du déplacement de la présidente Yaël Braun-Pivet en Israël. L’hémicycle est loin d’être plein. Les bancs LFI sont clairsemés. Pas de François Ruffin, d’Alexis Corbière, de Raquel Garrido, de Clémentine Autain… Et encore moins de soutien des autres membres de la Nupes. La fracture est visible. Si les autres partis sont unanimes pour condamner l’attaque terroriste du Hamas, ils ont chacun critiqué la politique du gouvernement. Et Jean-Louis Bourlanges est arrivé. Le président MoDem de la commission des Affaires étrangères condamne les massacres du Hamas et évoque même une «volonté génocidaire» des terroristes, reconnaît le droit d’Israël à se défendre, mais dénonce vivement la politique du gouvernement Netanyahou, les colonies et parle d’Yitzhak Rabin, des grands dirigeants historiques d’Israël. Il semble porté par son discours, les applaudissements se mélangent, à droite, à gauche, les critiques aussi. Son émotion est palpable, il termine essoufflé : «Excusez-moi, je ne me sens pas très bien.» Pris d’un léger malaise, il repart encadré par des huissiers. Albert Facelly


Paris, le 4 novembre

Faure traverse la rue, les mains dans les poches. Le rendez-vous a été donné à quelques journalistes au milieu de la place, avant le départ de la manifestation de soutien à Gaza, samedi 4 novembre. Il arrive en retard, le cortège est parti et la place est presque vide (on apprendra plus tard qu’en raison de la fermeture de la station de métro, les nombreux manifestants sont arrivés plus loin). Pour les preneurs d’images, contextualiser tout ça est un peu compliqué. Une fois les interviews terminées, la délégation du PS (une quinzaine de personnes) se rapprochera des manifestants pour déployer une petite banderole de revendications (un cessez-le-feu immédiat et une libération des otages israéliens). La pluie se met à tomber et les gens semblent glisser autour d’eux sans leur prêter beaucoup d’attention. En revanche, dans le camp d’en face, chez LFI, Mélenchon avait donné rendez-vous aux caméras une bonne heure avant le départ (un bon moyen de passer avant tout le monde à la télé), et il était difficile de ne pas voir dans le cortège des slogans percutants affublés du logo LFI distribués en masse. Un cours de com, en quelque sorte. Denis Allard


Paris, le 12 novembre

Il pleut et tout est gris. D’un côté, des gars habillés tout en noir, c’est la sécu d’Eric Zemmour. Un peu plus loin, même look, celle du RN. On est sur une place près des Invalides, au point de rendez-vous de l’extrême droite qui va défiler contre l’antisémitisme. On marche dans la boue du square et les gens se toisent un peu. On entendra un timide «Zemmour président» quand Marine Le Pen arrivera, dans une bataille de caméras, plus silencieuse que d’habitude. L’ambiance se réchauffe un peu quand arrivent une trentaine de militants de «Golem», une association juive antifasciste, qui elle-même sera poursuivie par des gars de la Ligue de défense juive (LDJ) un peu excités. Au milieu de tout ça, des policiers (qui ont l’air plus petits que d’habitude) éloignent les uns des autres, tant bien que mal. Puis en quelques minutes, l’esplanade est noire de monde et tout ce monde-là disparaît au milieu d’autres gens qui forment un cortège compact et qui semble écraser la polémique en avançant lentement, en silence. C’est compliqué à photographier, on ne peut pas bouger à cause de la densité de la foule, et il n’y a plus de réseau pour envoyer les images. Alors on se pose et on regarde la beauté des gens qui marchent ensemble. Denis Allard


Paris, le 2 décembre

L’attaché de presse du parti écologiste m’avait prévenue en début de soirée : «Le thème ce soir, c’est la douceur.» Est-ce que ça marche, la douceur en politique ? Le meeting démarre sur des chapeaux de roues : «Vous ne faites pas face à une jeunesse résignée mais à une jeunesse révoltée !», crie Emma Chevalier, secrétaire nationale des jeunes écolos, pendant que certains dans le public scandent «Anti-anti-anticapitaliste !» Colère qui s’entend aussi fort dans les discours de Mélissa Camara, et de Sandrine Rousseau qui expire de soulagement en revenant à son siège. Le deuil douloureux de Michèle Rivasi en fil rouge est contrasté par le DJ-set endiablé de Sônge et les éclats de rire sur les leçons de twerk de performeuses de booty therapy. Et puis, avec une heure de retard, vient la douceur de Marie Toussaint. Et là, la salle s’éteint. De faibles applaudissements, l’attaché de presse qui fait signe d’accélérer. Ça ne prend pas vraiment. Et ce qui me reste, c’est l’image de cette autre jeune femme, joyeuse, forte, vraie, qui dansait un peu plus tôt. Parce que ce qu’ont à apporter les femmes au monde politique, ce n’est pas que de la douceur. Cha Gonzalez


Paris, le 10 décembre

Ce dimanche soir, c’est le discours de clôture des 75 ans de la Déclaration universelle des droits de l’Homme par le président de la République au Musée de l’Homme. Comme de coutume, tout est organisé au millimètre. Les photographes sont sur une estrade face au pupitre avec en arrière plan la Tour Eiffel et un bandeau lumineux «Droits humains 75 ans». Le décor est planté. Le discours fini, Macron descend du podium et entame discussions et poignées de mains. Le Président en rockstar, remonte sur son podium et organise une séance de selfies visiblement improvisée au vu de l’agitation des services de communication et de sécurité. Tout le monde se presse pour avoir sa photo. Sur mon estrade, je continue à prendre des images. Macron m’aperçoit et pose avec ses fans. Je repense à un rappeur dans un quartier que j’ai photographié, entouré de ses fans, faisant des selfies… Une personne de l’équipe de com me demande de ne pas faire de photos au moment où il descendra du podium à la fin de cette séquence où 500 images ont dû être prises avec des téléphones, comme pour reprendre le contrôle sur cette séquence. Cyril Zannettacci


Paris, le 11 décembre

Assemblée nationale, projet de loi relatif à l’immigration. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur prend la parole avant qu’une motion de rejet préalable déposée par les écologistes soit soumise au vote des députés. L’hémicycle est encore clairsemé. Le ministre parle une vingtaine de minutes depuis la tribune : «Qui a peur du débat ? Ne pas parler d’immigration aujourd’hui, refuser le débat, c’est refuser ce que demandent les Français…» C’est au tour des rapporteurs de prendre la parole, les députes LR quittent l’hémicycle pour se réunir. Le député écologiste Benjamin Lucas monte à la tribune pour défendre la motion de rejet.

Darmanin lui répond, depuis le banc des ministres. Son ton n’est plus le même : a-t-il déjà compris que son texte sera rejeté ? : «Monsieur Lucas, j’ai bien vu votre compromission au parti de Marine Le Pen. Quelle que soit cette motion de rejet, plus aucune leçon de morale, plus aucune leçon d’humanisme… vous vous êtes compromis…» Chaque groupe va avoir deux minutes pour expliquer son vote. Près de nous, les photographes, deux attachées parlementaires commencent à faire les comptes sur les possibles votes. Edwige Diaz prend la parole pour le RN, inaudible et interrompue lorsqu’elle annonce on le comprendra plus tard que le Rassemblement national vote pour la motion. Olivier Marleix fait de même pour LR. La motion de rejet est adoptée. Et là dans un même élan, Nupes et RN exultent, demandant d’une même voix la démission du ministre. Albert Facelly


Rennes, le 14 décembre

14 décembre, à Rennes, où Jean-Luc Mélenchon a choisi de réaliser un «meeting pour la paix», façon de répondre aux critiques qui l’assaillent de part et d’autre depuis le 7 octobre dernier. Le leader insoumis n’a pas donné de meeting dans la capitale bretonne depuis plusieurs années, et je me doute que sa visite est attendue. La file d’attente s’étire vite jusqu’à la route, et il est clair que tout le monde ne pourra pas rentrer. À croire que LFI se voit moins populaire qu’elle ne l’est ici. La salle est rapidement pleine, du monde reste tout de même à l’extérieur où l’ancien candidat à la présidentielle viendra les saluer.

Parfois, le plus intéressant ne se situe pas forcément sur scène. Après plus d’une heure de meeting, je décide de retourner voir ce qu’il reste des spectateurs à l’extérieur. Ils sont encore nombreux. Je repère un petit groupe de jeunes militants qui suivent le discours du tribun avec attention, le regard sérieux. Ils me font penser à beaucoup de leurs camarades que j’ai pu croiser en manifestation ou ailleurs. Ils ressemblent bien à une partie de cette jeunesse, diverse, «créolisée» et qui vote Insoumis. L’une d’entre eux a le regard de ceux qui semblent décidés à vouloir voir le monde changer. «Salut, je peux faire votre portrait ? C’est pour Libération L’un refuse, pas de problème. Une accepte. Tant mieux pour moi, c’est elle que je voulais. Je la remercie et lui dis de continuer à regarder l’écran géant visible depuis l’extérieur. J’attends quelques secondes qu’elle se reconcentre sur le discours que l’on entend à travers le haut-parleur avant de déclencher. Je repars, respectueux de la ténacité des jeunes militants qui ne craignent ni la fraîcheur du soir, ni la pluie, me disant que je serais probablement reparti à leur place. Quentin Vernault


Calais, le 15 décembre

Cette visite de Darmanin à Calais vendredi 15 décembre allait donner dans le symbole de la politique migratoire, tandis qu’un exilé mourait le matin même dans une tentative de traversée. Le comité d’anti-accueil des associations engagées auprès des exilés fut vite repoussé hors de la vue du ministre. Lors d’une visite de ministre, les journalistes sont toujours parqués dans des coins exigus, c’est anti-presse et bien commode. La remise de médailles aux forces de l’ordre arrive, mais je savais que ces images n’auraient pas d’intérêt. Trop protocolaire, avec de beaux rangs bien trop droits, anti-désordre. Avec nos énormes badges presse, on n’est pas discrets mais je me faufile derrière les photographes officiels, l’air de rien. Darmanin serre des mains. Bof. Arrive la démonstration du drone. C’est l’œil de la place Beauvau sur le littoral du Pas-de-Calais. Lorsque la petite machine s’envole vers le ciel dans ce bruit inquiétant et familier d’essaim d’abeilles en furie, on pense aux scores électoraux de Le Pen qui s’envolent eux aussi. Darmanin justifiera ses nouvelles mesures, notamment, par la volonté de barrer la route au RN. Ce sera mon image. Stéphane Dubromel