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Libération
Décryptage

Enlèvement d’un influenceur, arrestation d’un diplomate, expulsions à l’ambassade de France… Pourquoi ce regain de tensions avec l’Algérie

Alger a annoncé ce lundi l’expulsion de douze agents de l’ambassade de France. Alors que l’heure était à l’apaisement entre les deux pays, «Libé» remonte aux sources de la crise diplomatique depuis le mystérieux enlèvement d’un influenceur en région parisienne, il y a un an.
En août 2022, à Alger, à l'occasion de la visite officielle d'Emmanuel Macron en Algérie. (Ludovic Marin/AFP)
publié le 14 avril 2025 à 12h13
(mis à jour le 14 avril 2025 à 21h58)

La mer paraissait pourtant s’apaiser. Mais la mise en examen de trois personnes, dont un agent du consulat d’Algérie, vendredi dans l’enquête sur l’enlèvement de l’influenceur algérien Amir DZ en région parisienne au printemps 2024 a relancé les tensions entre Paris et Alger. Ce lundi 14 avril, les autorités algériennes ont décidé d’expulser douze agents de l’ambassade de France. Dans la foulée, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a déclaré que «si la décision de renvoyer nos agents était maintenue, nous n’aurons d’autre choix que d’y répondre immédiatement». Libé remonte aux sources de ce regain de tensions diplomatiques, sur fonds de dossier judiciaire tentaculaire.

29 avril 2024 : l’enlèvement mystérieux d’Amir DZ

Amir Boukhors, dit «Amir DZ», 42 ans, est un influenceur de la diaspora algérienne et un fervent opposant au régime d’Abdelmadjid Tebboune. Il est notamment à l’origine de révélations sur des faits de corruption concernant l’armée. Visé par sept mandats d’arrêt algériens, pour des motifs allant du terrorisme à l’escroquerie, il risque la peine de mort dans son pays. C’est la raison pour laquelle la France lui a accordé l’asile politique en octobre 2023 et a toujours refusé de l’extrader. Mais, le 29 avril 2024, Amir DZ est enlevé près de chez lui, dans le Val-de-Marne, par de faux policiers. Il est libéré la nuit suivante sans comprendre qui étaient ses ravisseurs.

11 avril 2025 : mise en examen d’un agent consulaire algérien

Un an plus tard, les relations entre l’Algérie et la France se sont considérablement tendues après que Paris a reconnu, le 31 juillet 2024, la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental – un territoire que se disputent Rabat et les indépendantistes du Front Polisario, soutenus par Alger. Les tensions grimpent encore quand l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal est arrêté à Alger à la mi-novembre, puis quand l’influenceur «Doualemn», expulsé par Paris, est refoulé par Alger début janvier. L’attaque mortelle de Mulhouse, fin février, perpétrée par un ressortissant algérien sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), complique encore la situation.

Alors que l’enquête sur l’enlèvement d’Amir DZ s’oriente vers la piste d’une tentative d’assassinat ratée, quatre personnes sont finalement placées en garde à vue après presque une année d’investigation, le 8 avril 2025. A ce moment-là, l’avocat d’Amir DZ, Me Eric Plouvier, évoque déjà auprès de Libération, «un dossier délicat, dans un entrelacs d’intérêts diplomatiques, d’intérêts de sécurité nationale et d’atteinte grave à la souveraineté française avec l’action présumée des autorités algériennes, cherchant à neutraliser des opposants». Le vendredi 11 avril, le parquet national antiterroriste annonce l’ouverture d’une information judiciaire et le placement en garde à vue de trois personnes pour «participation à une association de malfaiteurs terroriste en vue de la préparation d’un ou de plusieurs crimes d’atteinte aux personnes» et pour «arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire suivi de libération avant le 7e jour et en relation avec une entreprise terroriste». Parmi ces trois personnes mises en examen se trouve un agent consulaire algérien.

A ce moment, les autorités françaises se refusent encore à tout commentaire. Car depuis plusieurs semaines, Alger et Paris avaient décidé de jouer la carte de l’apaisement. Mais la piste suivie par les enquêteurs est celle d’un contrat d’assassinat potentiellement commandité par un membre du consulat d’Algérie. Qui aurait lui-même été «recruté» par un fonctionnaire de Bercy déjà soupçonné d’espionnage au profit d’Alger (et mis en examen en mars). Une assistante sociale de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) aurait également fourni des renseignements sur des opposants au régime algérien.

«L’enlèvement est avéré y compris par un individu qui travaille à Créteil au consulat général d’Algérie», a commenté dimanche le ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau. Il s’est en revanche montré prudent sur une éventuelle ingérence des autorités algériennes. «Le lien avec le pays n’est pas avéré», a-t-il dit, tout en soulignant qu’en tant que «pays souverain», «nous entendons que sur le sol français nos règles soient respectées».

14 avril 2025 : annonce de l’expulsion de 12 agents de l’ambassade française à Alger

Ce lundi, Alger fait part de sa «vive protestation» : «Ce nouveau développement inadmissible et inqualifiable causera un grand dommage aux relations algéro-françaises», avertit le ministère algérien des Affaires étrangères, promettant de «ne pas laisser cette situation sans conséquences». Alger exige la libération «immédiate» de l’agent consulaire arrêté avant d’annoncer ce lundi l’expulsion de 12 agents de l’ambassade française dans la capitale algérienne.

Dans la soirée, Alger a défendu sa décision «souveraine» et a ciblé Bruno Retailleau. Dans un communiqué, le ministère algérien des Affaires étrangères a confirmé que ces 12 personnes avaient été déclarées persona non grata en réponse à l’arrestation en France d’un agent consulaire algérien, un «acte indigne» qui est «la conséquence de l’attitude négative, affligeante et constante du ministre de l’Intérieur français vis-à-vis de l’Algérie».

Le ministre français des Affaire étrangères, Jean-Noël Barrot, dénonce cette «réponse à l’arrestation de trois ressortissants algériens soupçonnés de faits graves sur le territoire national français» : «Je demande aux autorités algériennes de renoncer à ces mesures d’expulsion sans lien avec la procédure judiciaire en cours», a réclamé le chef de la diplomatie française dans une déclaration écrite transmise à des journalistes. Avant d’ajouter que «si la décision de renvoyer nos agents était maintenue, nous n’aurions d’autre choix que d’y répondre immédiatement».

Au vu du «délai de 48 heures» fixé par l’Algérie, «nous n’avons pas le choix» : «Il n’y a pas de marge de négociation. Ils vont devoir quitter l’Algérie», estime un ancien diplomate français joint par Libé. «C’est une pratique non pas courante mais normale», estime la même source, citant par exemple l’expulsion de 47 diplomates soviétiques et leurs familles, décidée en 1983 par François Mitterrand. Une telle décision reste pourtant inédite dans l’histoire diplomatique entre Paris et Alger et pourrait entraîner une riposte immédiate. C’est en tout cas ce que qu’a prôné l’ancien ambassadeur de France à Washington, Gérard Araud, sur X : «L’Algérie expulse douze agents de notre ambassade. Nous devons pratiquer l’exacte réciprocité. C’est le B-A-BA des relations internationales : toujours rendre la gifle reçue. Pas un de plus, pas un de moins. De même grade, de fonctions comparables.»

Mise à jour : à 21h58, avec l’ajout des propos tenus par le ministère algérien des Affaires étrangères dans un communiqué.