Jamais dans son histoire le Monde n’avait vu un de ses journalistes être interdit d’une manifestation politique. Pas même dans un meeting ou une université d’été du Front puis du Rassemblement national. Jeudi 21 août, la direction de La France insoumise (LFI) a confirmé son choix – assumé et préparé depuis des mois – de ne pas accréditer Olivier Pérou, l’un des deux reporters du journal du soir chargé du suivi de la gauche, pour ses «Amfis» qui se déroulent jusqu’à dimanche à Châteauneuf-sur-Isère (Drôme). Dans une lettre ouverte adressée au coordinateur national de LFI, Manuel Bompard, une partie des journalistes accrédités pour l’événement – dont celui de Libération – partagent leur «stupéfaction» et leur «indignation». «Nous déplorons ce choix qui constitue une atteinte grave à la liberté de la presse, écrivent les douze rédacteurs qui couvrent la rentrée insoumise. Il n’est pas acceptable qu’un parti politique choisisse ses journalistes.»
— Sacha Nelken (@SachaNelken) August 22, 2025
Plusieurs sociétés de journalistes ont aussi protesté. Celle de LCI a dénoncé des «méthodes […] pas acceptables», celle de BFM TV une «atteinte grave à la liberté de la presse», celle de Marianne une «atteinte flagrante à la liberté d’informer», celle de Mediapart une «entrave à la liberté de la presse» et celle du Parisien a rappelé qu’un «parti politique n’a pas à choisir ses journalistes». En début de soirées, 30 SDJ - dont celle de Libération - ont apporté leur soutien à Olivier Pérou dans un communiqué commun et qualifié cette interdiction de «coup de semonce pour toute notre profession». «D’autres médias que Le Monde ont déjà subi des exclusions de ce type, qui ont longtemps été l’apanage des formations d’extrême droite. Il s’agit d’une atteinte grave au droit d’informer, qui s’inscrit dans un contexte préoccupant de recul de la liberté de la presse, même dans les démocraties», écrivent-ils, «exige[ant] que notre confrère Olivier Pérou puisse assister aux universités d’été de LFI».
La veille, le directeur de la publication du Monde, Jérôme Fenoglio avait rappelé que, jusqu’ici, «aucune formation, quel que soit son bord politique, n’avait jusqu’à présent prononcé une telle mesure d’éviction contre un de nos journalistes à l’occasion d’un événement de ce type». Dans une réaction à l’AFP, les dirigeants de LFI avaient eux, justifié ce choix inédit s’estimant «lourdement diffamés» – sans avoir pourtant jamais déposé la moindre plainte en ce sens – par l’enquête qu’Olivier Pérou a cosignée avec Charlotte Belaïch de Libération, dans le livre la Meute, enquête sur La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon (éditions Flammarion).
La gauche très timide
Sur les réseaux sociaux, plusieurs responsables politiques ont fait part ce vendredi 22 août de leur soutien au journaliste. Dans un communiqué, le parti Renaissance estime que «LFI copie les méthodes autoritaires du RN» et dénonce un «naufrage absolu». «Interdire à des journalistes de travailler en toute liberté et en toute indépendance, c’est s’attaquer à un pilier de notre démocratie», écrit le parti dirigé par Gabriel Attal.
Mais à gauche – où si une telle atteinte avait eu lieu à l’extrême droite, tous seraient vent debout – les réactions ont tardé, visiblement pour éviter de donner de l’importance à une nouvelle polémique des voisins insoumis. Pour ce qui est des patrons de partis, Marine Tondelier a été la première à prendre son téléphone pour poster sur X une énumération : «Liberté de la presse. Partout. Tout le temps. Simple. Elémentaire. Vital pour nos démocraties.» La secrétaire nationale des Ecologistes a précisé plus tard auprès des journalistes qu’il lui avait «semblé nécessaire […] de rappeler ce qui devrait être évident pour tout le monde et en particulier dans notre camp politique», manifestant le «soutien» des écologistes «à celles et ceux qui ont subi, subissent et subiront ce genre de pratique. D’où qu’elle vienne.» Riposte immédiate des insoumis par l’intermédiaire du député du Val-d’Oise, Paul Vannier : «Tondelier applaudit donc la publication de fausses informations, l’absence de contradictoire, les atteintes multiples à la vie privée, l’animalisation de la principale force d’opposition de gauche. Une curieuse conception du rôle de la presse mais puisque c’est l’occasion de taper LFI pour lancer sa campagne présidentielle...»
Pourtant - c’est elle qui insiste dessus – «jamais hostile à LFI», l’ancienne challenger de Tondelier pour le parti, Karima Delli, s’est faite plus dure à l’encontre de ces «partenaires». «Il faut que mes amis de LFI se réveillent ! alerte l’ancienne députée européenne écolo. On ne combattra pas les injustices en reproduisant certaines dérives démocratiques. Le soutien à la liberté d’expression ne peut pas être à géométrie variable. On ne peut pas faire de tri sélectif avec des journalistes, selon que l’on apprécie ou pas ce qu’ils écrivent sur vous.»
«Pour LFI : un journaliste ne doit pas écrire librement»
Côté socialiste, Olivier Faure a fini par se mouiller. « La liberté de la presse n’est pas négociable. On ne lutte pas contre les fascistes en faisant reculer la démocratie, a-t-il écrit sur X. Un livre, un article, un éditorial, un média peut être contesté. Mais interdire l’accès à un journaliste, c’est inédit par une formation de gauche et c’est tout simplement inacceptable." L’eurodéputé Pierre Jouvet, secrétaire général du PS, a expliqué «partager l’indignation de la profession». «Parfois les journalistes dérangent, révèlent des faits que certains auraient préféré dissimuler. En aucun cas cela ne justifie de les bannir d’un événement, a tweeté de son côté le président des socialistes au Sénat, Patrick Kanner. Quand on est attaché à la démocratie, on ne trie pas les “bons” et les “mauvais” journalistes.» «Pour LFI, c’est simple : un journaliste ne doit pas écrire librement, a complété sa camarade sénatrice de Paris, Marie-Pierre de La Gontrie. Si un doute persistait sur le livre la Meute d’Olivier Pérou son bannissement par LFI est un aveu.»
Son collègue, le sénateur Rachid Temal a de son côté rappelé que «la gauche démocratique fait de la liberté de la presse une des valeurs de toute démocratie» et également dénoncé «le traitement infligé à Charlotte Belaïch», elle aussi entravée dans son travail à Libération. Le sénateur communiste de Paris, Ian Brossat, s’exaspère d’ailleurs du paradoxe que soulève le sujet : «Le combat qu’on livre avec l’extrême droite porte notamment sur la préservation des libertés et on ne peut pas à la fois dénoncer les politiques liberticides de Donald Trump et laisser libre cours à des pratiques qui contreviennent à ce principe.»
Ancienne proche de Jean-Luc Mélenchon, cadre historique de LFI avant d’être purgée, Raquel Garrido a, elle, estimé que «si Olivier Pérou est aujourd’hui ciblé, c’est parce que la vérité fait mal» et pointé le fait que cette «éviction est une pure vengeance et aussi, au passage, un avertissement aux autres journalistes». Avec la presse comme avec les autres formations politiques de gauche, tout est question, chez les mélenchonistes, de rapport de force.
Mise à jour samedi 23 août à 12 h 25 avec la réaction d’Olivier Faure.