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Mémoire

Guerre d’Algérie : face aux rapatriés, Emmanuel Macron reconnaît deux «massacres» en 1962 et avance dans la réconciliation des mémoires

Guerre d'Algérie (1954-1962), un conflit historiquedossier
Lors d’une réception organisée ce mercredi à l’Elysée, en présence de représentants de rapatriés de la guerre d’Algérie, Emmanuel Macron a reconnu le massacre «impardonnable» de la rue d’Isly, à Alger, le 26 mars 1962 et a appelé à reconnaître le massacre d’Oran, en juillet. Deux gestes marquant une nouvelle étape du chantier de réconciliation des mémoires engagé par le chef de l’Etat.
Emmanuel Macron, devant les représentants de rapatriés d'Algérie, ce mercredi à l'Elysée. (Ludovic Marin/AFP)
publié le 26 janvier 2022 à 17h32
(mis à jour le 26 janvier 2022 à 17h51)

«L’histoire des rapatriés d’Algérie est donc celle de la France.» Devant un parterre de représentants de rapatriés, de personnalités ayant connu cet «exil» de l’après-guerre, de maires de grandes villes, Emmanuel Macron a prononcé un discours attendu. «J’ai souhaité que vos voix puissent être rassemblées pour transmettre cette mémoire, pour dire l’attachement de la France aux rapatriés et à leurs familles», a déclaré le chef de l’Etat, qui a souhaité livrer «quelques mots officiels et pesés sur ce que vous avez vécu, sur ce que nous avons vécu.»

«La réconciliation est un chemin difficile mais noble», a dit Danièle Michel-Chich, peu avant le discours d’Emmanuel Macron. Le 30 septembre 1956, sa jambe fut arrachée dans l’attentat du Milk-Bar, un glacier réputé de la rue d’Isly, à Alger. Une victime, parmi tant d’autres, des années de guerre. C’est dans cette même rue que, le 26 mars 1962, des dizaines de pieds-noirs, arborant le drapeau tricolore lors d’une manifestation, furent tués par des soldats français. Cette fusillade sonna le glas des illusions pour ceux qui allaient quitter dans la panique leur Algérie natale. «Soixante ans après, la France reconnaît cette tragédie, a solennellement exprimé Emmanuel Macron. Ce massacre est impardonnable pour la République.»

Dans cet été 1962 brûlant, marqué par une «surenchère atroce d’insécurité», un «cycle infernal de vengeance», plusieurs centaines de milliers de pieds-noirs quittent l’Algérie. Un «arrachement», a dit Emmanuel Macron. A Oran, le 5 juillet - près de trois mois après la signature des accords d’Evian -, près de 700 Européens sont enlevés, torturés, tués. «Ce massacre, lui aussi, doit être regardé en face» et «reconnu», a formulé le locataire de l’Elysée. «Les mots justes, attendus, ont été prononcés», souffle un proche d’Emmanuel Macron peu après le discours.

«Insupportable sentiment d’abandon»

Dans la salle des fêtes de l’Elysée, ce mercredi, le chef de l’Etat n’a pas été interrompu, comme il l’avait été le 20 septembre, lors d’une réception de harkis, ces supplétifs de l’armée française en Algérie auxquels il avait demandé «pardon.» Les maires de Nice, Montpellier et Béziers - Christian Estrosi, Michaël Delafosse et Robert Ménard -, trois villes où les «pieds-noirs» et leurs descendants sont présents, sont venus écouter le chef de l’Etat. «Aujourd’hui, j’ai entendu des mots que je n’avais jamais entendu, glisse Ménard à la fin du discours. Il a eu raison de dire tout ça.»

La parole adressée ce mercredi par le chef de l’Etat aux représentants de rapatriés vaut également réparation. En février 2017, en pleine campagne présidentielle, le candidat Macron avait provoqué un tollé en qualifiant la colonisation en Algérie de «crime contre l’humanité». Ce mercredi, Emmanuel Macron a donc voulu recoudre les plaies. «L’exode de 1962 est une page tragique de notre histoire nationale», a-t-il ainsi adressé aux rapatriés. Convoquant Albert Camus, Emmanuel Macron a, dans un discours lyrique, raconté cette histoire «méconnue», celle d’un «exil» suivi d’un «insupportable sentiment d’abandon.» «Souvent, vous n’avez été ni compris, ni acceptés» en métropole a-t-il encore assuré. «Vous ne l’avez pas oublié. Ni vos enfants, ni vos petits enfants.»

Chez les rapatriés présents ce jour-là à l’Elysée, les mots du Président ont été accueillis favorablement. «C’était nécessaire de prononcer ce discours, glisse ainsi Agnès Aziza, fille de pieds-noirs et présidente d’une association œuvrant à la préservation des cimetières européens en Algérie. Mettre des mots, ça apaise.» Jean-Félix Vallat, président de la Maison des agriculteurs et des Français d’Afrique du Nord (Mafa), l’une des plus vieilles associations de défense des rapatriés, ajoute : «Ce discours vient un peu tard. Mais il ouvre le chemin à un rééquilibrage mémoriel nécessaire.»

«Une mémoire apaisée»

Avec ce geste fort, le chef de l’Etat poursuit son travail visant à «construire à terme une mémoire apaisée, partagée», selon l’expression d’un conseiller du chef de l’Etat. «Des Français entre eux ne peuvent pas passer leur temps à s’ignorer, se dénier, ne pas cohabiter de manière apaisée, y compris sur le plan mémoriel», ajoute cette même source. Après avoir reconnu la responsabilité de l’armée française dans la mort du militant communiste Maurice Audin et de l’avocat Ali Boumendjel, puis reconnu les «crimes inexcusables» commis lors de la manifestation du 17 octobre 1961, Emmanuel Macron a effectué un geste à l’égard des harkis, en septembre, en leur demandant, ainsi qu’à leurs descendants, «pardon». Après ces différentes initiatives, le temps était venu, soufflait-on à l’Elysée, d’un «rééquilibrage mémoriel» tourné vers les pieds-noirs.

Une réponse aux attaques venant de la droite et de l’extrême droit, qui fustigent la «repentance» dont ferait preuve le chef de l’Etat dans ce chantier mémoriel. Dans l’entourage du Président, on écarte pourtant tout séquençage mémoriel et arrière-pensées électoralistes. «Si certains esprits chagrins, considèrent que convaincre, c’est être électoraliste, grand bien leur fasse, balaie un conseiller élyséen. Cette accusation ne nous empêchera pas de continuer.»

Reste qu’à l’approche de l’élection présidentielle, le chef de l’Etat cherche à éviter tout embrasement sur ce sujet sensible. La commémoration des accords d’Evian, le 19 mars 1962, qui marquèrent la fin de la guerre et ouvrirent la voie à l’indépendance, occupe les esprits. L’entourage du chef de l’Etat cherche à «préserver la dignité de l’anniversaire», alors que la date interviendra trois semaines avant le premier tour, et que les opposants du chef de l’Etat - Marine Le Pen, Eric Zemmour et Valérie Pécresse en tête - l’attendront au tournant. Pour cet événement, Emmanuel Macron sera, selon son entourage, présent «d’une façon ou d’une autre.» Reste à trouver, comme pour chacun des gestes mémoriels entrepris par Emmanuel Macron, les mots justes.