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Justice

Crèches : la ministre Aurore Bergé visée par une enquête pour faux témoignage

Sous serment, la ministre avait nié tout lien personnel avec une lobbyiste des crèches privées. Mais des informations dans le dernier livre de Victor Castanet pointent vers une collusion entre les deux femmes.
Aurore Berge à l'Élysée, le 3 janvier 2025. (Benoit Tessier/REUTERS)
publié le 31 janvier 2025 à 14h54
(mis à jour le 31 janvier 2025 à 15h49)

Le procureur général auprès de la Cour de cassation Rémy Heitz a annoncé ce vendredi 31 janvier l’ouverture d’une information judiciaire à la Cour de justice de la République (CJR) pour faux témoignage contre Aurore Bergé, l’actuelle ministre déléguée à l’Egalité entre les femmes et les hommes, qui avait récusé tout lien personnel avec une lobbyiste des crèches privées.

«Ces investigations, lancées mardi 28 janvier, font suite à un signalement émanant du bureau de l’Assemblée nationale après des déclarations faites sous serment devant une commission d’enquête parlementaire le 30 avril 2024», précise dans un communiqué Rémy Heitz, qui exerce les fonctions de ministère public à la CJR.

«Nous prenons acte de l’ouverture d’une instruction qui est la suite naturelle de la saisine de la CJR», a réagi Jade Dousselin, avocate d’Aurore Bergé. La ministre «répondra évidemment à toutes les demandes qu’aura cette dernière pour mener à bien son instruction», a-t-elle ajouté.

Le 23 janvier, la commission des requêtes de la CJR, qui filtre les plaintes et signalements, «a émis un avis favorable à la saisine de la commission d’instruction de cette Cour pour instruire contre Aurore Bergé, en sa qualité de ministre, du chef de faux témoignage», précise le procureur général. Auditionnée par une commission d’enquête sur le modèle économique des crèches le 30 avril, Aurore Bergé, alors ministre en charge de l’Egalité, avait affirmé sous serment n’avoir aucun «lien personnel, intime ou amical, ni d’accointances» avec la déléguée générale de la Fédération française des entreprises de crèches (FFEC), Elsa Hervy.

Un «pacte de non-agression»

Or, dans son livre enquête paru début septembre «Les Ogres» (Flammarion) sur les dérives de certains groupes privés de crèches, le journaliste d’investigation Victor Castanet évoque un «pacte de non-agression» qui aurait été conclu entre Aurore Bergé, à l’époque où elle était ministre des Familles (juillet 2023-janvier 2024) et Elsa Hervy. Aurore Bergé, alors députée Ensemble pour la République (EPR), avait rejeté les accusations et porté plainte en diffamation contre Victor Castanet. En réponse, le journaliste avait rendu publics des documents attestant selon lui d’«une entente entre Aurore Bergé et Elsa Hervy». L’un de ces documents est un courriel adressé le 8 août 2023 par la ministre à sa directrice de cabinet, où elle dit à propos d’Elsa Hervy : «C’est surtout une copine :) Elle sera très aidante avec moi».

L’ancienne ministre avait alors déposé une plainte pour le vol de sa correspondance et une enquête est en cours depuis le 22 octobre à Paris. De leur côté, des députés de gauche avaient demandé que le bureau de l’Assemblée nationale engage une procédure contre Aurore Bergé.

Cette commission d’instruction, composé de trois magistrats et douze parlementaires, agit comme un juge d’instruction et va donc enquêter. En droit, le «faux témoignage» est sanctionné jusqu’à «cinq ans d’emprisonnement et de 75000 euros d’amende».

Depuis 1993, huit ministres et deux secrétaires d’Etat ont été jugés par la CJR

La CJR est la seule juridiction habilitée à poursuivre et juger les membres du gouvernement pour des infractions commises dans l’exercice de leurs fonctions. Depuis sa création en 1993, cette instance a prononcé un jugement à l’encontre de huit ministres et deux secrétaires d’État. En 1999, la CJR a condamné «pour manquement à une obligation de sécurité ou de prudence», tout en le dispensant de peine, Edmond Hervé, secrétaire d’État à la Santé, dans l’affaire du sang contaminé.

En 2004, la Cour a condamné, après une instruction de dix ans, Michel Gillibert, secrétaire d’État aux handicapés entre 1988 et 1993, «coupable d’escroquerie au préjudice de l’État», à trois ans d’emprisonnement avec sursis et 20 000 euros d’amende ainsi qu’à cinq ans d’interdiction des droits de vote et d’éligibilité.

En avril 2010, la Cour a condamné Charles Pasqua, ministre de l’intérieur à l’époque des faits, à un an de prison avec sursis pour complicité d’abus de biens sociaux et de recel dans l’affaire des détournements de fonds au préjudice de la Sofremi, société d’exportation de matériel de police dépendant du ministère. En juin 2018, l’ancien garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas, soupçonné d’avoir transmis des informations confidentielles au député des Hauts-de-Seine Thierry Solère sur une enquête pénale le concernant, a été mis en examen pour «violation du secret professionnel».

Le 30 septembre 2019, c’est l’ancien garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas qui est condamné à un mois de prison avec sursis et à une amende de 5 000 euros. En mars 2021, la CJR a condamné à une peine de prison de deux ans avec sursis et à 100 000 euros d’amende l’ancien ministre des Armées François Léotard pour complicité et recel d’abus de biens sociaux dans l’affaire du financement occulte de la campagne présidentielle d’Édouard Balladur.