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Assemblée nationale

Fin de vie : les députés se prononcent pour la création d’une «aide à mourir»

Les élus de la Chambre basse votaient en première lecture ce mardi 27 mai sur les deux volets législatifs d’une des réformes majeures du second quinquennat d’Emmanuel Macron. La proposition de loi sur les soins palliatifs est adoptée à l’unanimité.
A l'issue du vote sur le «droit à l’aide à mourir», à l'Assemblée, ce mardi 27 mai 2025. (Albert Facelly/Libération)
publié le 27 mai 2025 à 18h41
(mis à jour le 27 mai 2025 à 21h30)

La première étape de l’une des plus importantes réformes sociétales de la décennie a été franchie, ce mardi 27 mai, sous des applaudissements à travers les bancs de l’Assemblée. Les députés ont adopté en première lecture, par 305 voix pour et 199 contre, la création d’une aide à mourir à la française. Les débats s’annonçaient virulents, ils ont été étonnamment sereins ; le vote aurait pu être serré, alors qu’aucune consigne de vote n’était donnée, il s’est dégagé une large majorité. Olivier Falorni, rapporteur général du texte sur l’aide à mourir et fervent défenseur depuis plus d’une décennie, est resté calme dans ses remerciements, mais on a senti une pointe d’émotion. La veille, il reconnaissait auprès de Libé encore «quelques doutes». Désormais dissipés.

Bien plus consensuelle, la loi sur l’accompagnement et les soins palliatifs, portée par Annie Vidal, a aussi été adoptée. A l’unanimité. Les deux volets de l’évolution législative sur la fin de vie, scindée en deux comme souhaité par François Bayrou, ont donc passé la première lecture de la Chambre basse.

100 heures de débat et 2 000 amendements

Après près de 100 heures de prises de paroles (réparties sur deux semaines, pour les deux textes), il y en a eu encore deux de plus pour achever les débats. A nouveau, leur «qualité» a été saluée. Bien loin de la joute oratoire violente et pernicieuse attendue. «L’Assemblée nationale s’est élevée à la hauteur des enjeux», a tenu à souligner la présidente, Yaël Braun-Pivet, en préambule.

Puis les représentants des différents groupes ont défilé à la tribune, dans une ambiance tout aussi solennelle. Les orateurs, qu’ils soient pour ou contre, ont développé les mêmes visions défendues depuis le 12 mai, date de début d’examen des textes.

Sur les soins palliatifs, l’unanimité du vote était bien prévisible. Chaque parlementaire a loué l’extrême nécessité de cette loi, censée être le socle législatif de la stratégie décennale de 1,1 milliard d’euros sur dix ans présentée par le gouvernement en avril 2024. Aujourd’hui encore, seule la moitié des personnes susceptibles de bénéficier d’une prise en charge palliative y a effectivement accès et dix-neuf départements ne disposent toujours pas d’unité spécifique.

Pour y répondre, le texte prévoit notamment un droit opposable aux soins palliatifs et la création de «maisons d’accompagnement et de soins palliatifs». Une programmation pluriannuelle devra déterminer, avant fin 2025 puis tous les cinq ans, la trajectoire de développement de l’offre de ces soins. A gauche, on n’a pas manqué de ramener les principes au concret. Le député Yannick Monnet a donc appelé à «réinvestir dans une politique de santé publique» et «bousculer l’austérité». Rendez-vous est donné au prochain vote du budget de la Sécu.

Des divisions jusqu’au bout sur l’aide à mourir

Mais sur l’aide à mourir, les mêmes divisions ont à nouveau éclaté dans l’hémicycle. Les uns ont décrit leur volonté de voter pour cette «mesure d’exception», «ultime recours» pour «sortir de l’impasse» de souffrance qui ne peuvent plus être soulagées et laisser le choix de sa mort. D’autres ont une fois de plus dénoncé une «mort programmée», «porte ouverte aux dérives», préjudiciable «aux plus vulnérables».

«Il n’est pas question d’inciter qui que ce soit, d’obliger les soignants, de donner un permis de tuer, a insisté le socialiste Stéphane Delautrette, également co-rapporteur de la loi, prévoyant déjà les arguments de ses adversaires. Avis partagé par Agnès Firmin Le Bodo, ancienne ministre et députée Horizons, pour qui ce texte «n’ouvre pas une liberté sans garde-fou, il propose un chemin balisé, exigeant, réfléchi.» Elle s’appuie, comme les autres défenseurs de l’aide à mourir, sur les cinq critères d’éligibilité, cumulatifs : être âgé d’au moins 18 ans ; français ou résident stable et régulier ; atteint d’une «affection grave et incurable» qui «engage le pronostic vital en phase avancée» ou «terminale» ; «présenter une souffrance physique ou psychologique constante» – sachant qu’une «souffrance psychologique seule» ne sera pas suffisante ; «être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée».

Et si le texte adopté ce jour par les députés est très proche de la version sortie de commission, l’élue de Seine-Maritime a salué quelques-unes de ses rares modifications : la notion de «phase avancée» clarifiée, avec la définition de la Haute autorité de Santé («l’entrée dans un processus irréversible marqué par l’aggravation de l’état de santé de la personne malade qui affecte sa qualité de vie»). La collégialité de la décision renforcée : le médecin devra réunir a minima un spécialiste de la pathologie, un soignant impliqué dans le traitement du malade et lui-même. Il devra prendre une décision dans les quinze jours suivant la demande du patient, lequel aura ensuite minimum deux jours pour la confirmer.

Vers un examen à l’automne au Sénat

Autant de garanties censées maintenir un «équilibre», principe martelé par Olivier Falorni ces dernières semaines. Quitte à décevoir y compris dans le camp des défenseurs. Ce que certains orateurs de gauche n’ont pas manqué d’évoquer. Comme son collègue socialiste Stéphane Delautrette ou l’insoumise Elise Leboucher, Marie-Noël Battistel «regrette» que le «libre choix du mode d’administration de la substance létale» n’ait pas été conservé – le malade devra se l’administrer lui-même, et non le médecin ou infirmier qui sera obligatoirement à ses côtés, sauf s’il est physiquement incapable de le faire. Il y a aussi les «directives anticipées», «pas pleinement reconnues» dans le texte pour demander à mourir, au risque «d’exclure certains malades atteints de [pathologies] neurodégénératives».

Mais quand les parlementaires favorables à l’aide à mourir s’attachent à décrire un cadre «strict», les autres continuent d’alerter sur ses dangers. Et déplorent de ne pas avoir été entendus. Aussi Vincent Trébuchet (UDR) a dénoncé la «constance [de la Commission et du gouvernement] à rejeter» leurs arguments contraires, l’écoute insuffisante de paroles pointant les «dérives [rapportées] à l’international», les alertes «des malades et personnes handicapées, qui demain seront éligibles et en ont peur». «Nous avons été collectivement incapables d’apporter des garde-fous de bon sens !»

Dans un hémicycle de plus en plus rempli à mesure que le moment des deux votes solennels se rapprochait, les murmures ont été un peu plus forts ; des protestations ont même couvert les mots très critiques de la ciottiste Hanane Mansouri. Le Républicain Philippe Juvin, l’un des opposants les plus fermes à l’aide à mourir, a été le dernier à s’exprimer. Et à faire retentir sa colère. «On nous dit qu’il s’agit d’une loi sur la fin de vie ; c’est faux, on peut vivre des années [avec ces critères] !» a-t-il d’abord lancé, s’attachant à répondre, point par point, aux garanties avancées, sous les objections de nombreux autres parlementaires. «Vous dites, on ne forcera personne ; c’est vrai, mais quand on est pauvres et seuls, la liberté de choix est faussée et je crains que ce texte ne pousse des personnes vulnérables vers la porte de sortie.» Le médecin quitte la tribune sous des applaudissements retentissants à droite. Mais sa voix aura beau avoir percé dans l’Assemblée, elle a visiblement été minoritaire.

La large majorité obtenue pour la création d’un droit à l’aide à mourir ne doit pas dissimuler le long chemin encore à parcourir. Après la Chambre basse, vient la Chambre haute. Et le Sénat, où la droite est largement majoritaire, augure une lecture plus serrée. Gare à l’enlisement, a prévenu Emmanuel Macron, qui tient à une adoption définitive avant la fin de son quinquennat. «La loi Veil a été votée en trois mois, on ne serait pas capable de voter celle sur l’aide à mourir en deux ans ? a renchéri lundi Olivier Falorni auprès de Libé. Ce serait un terrible aveu d’impuissance.» Début de réponse cet automne.

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