Après avoir évité la bombe budgétaire, François Bayrou est désormais en opération déminage pour éviter de sauter sur l’affaire Bétharram. Sous pression des oppositions depuis plusieurs jours car accusé d’avoir menti dans ce dossier, le Premier ministre a rencontré le collectif des victimes de violences au collège-lycée Notre-Dame-de-Bétharram ce samedi 15 février à Pau (Pyrénées-Atlantiques).
A la sortie d’une réunion de plus de trois heures dans la mairie de la ville béarnaise dont il est encore maire, François Bayrou s’est longuement défendu dans une conférence de presse. Les représentants des victimes présents dans son dos, comme en soutien, le chef du gouvernement a avancé quelques mesures, reprenant la majorité des demandes des victimes. Il s’est ensuite justifié en détail - de façon plus ou moins claire - sur plusieurs points qui lui sont reprochés.
Il a surtout répété à plusieurs reprises «ne pas avoir été au courant» des accusations de violences sexuelles, un «continent inconnu», selon lui… tout en soutenant avoir commandé un rapport d’inspection sur l’établissement en 1996, et en reconnaissant avoir rencontré en 1998 un juge - «mon voisin» - chargé d’une plainte d’un élève. «J’ai fait tout ce que je devais faire quand j’étais ministre» de l’Education, a-t-il martelé, avant de mettre en cause ses successeurs : «Depuis que j’ai quitté le ministère en 1997, il y a eu nombre de ministres de l’Education et de la Justice, aux opinions différentes. Et l’affaire est quand même restée sous les radars», a-t-il fait remarquer.
Interview
François Bayrou encore rejeté les accusations de mensonge et assuré avoir dit «les mots de la vérité» devant l’Assemblée nationale en début de semaine.
Le locataire de Matignon, qui a affirmé «ne suivre en aucune manière en des considérations politiciennes», semble pouvoir tabler sur le soutien des représentants des victimes de Bétharram. Leur porte-parole, Alain Esquerre, a parlé d’un «jour historique» et d’une «immense victoire» après sa réunion avec le Premier ministre. De quoi espérer pour ce dernier une accalmie dans cette crise qui menace de se transformer en affaire d’Etat, avant de repasser sur le gril d’une motion de censure la semaine prochaine.
«Bayrou a menti. La démonstration est faite par lui-même»
La gauche n’a toutefois pas manqué de relevé les contradictions dans cette conférence de presse du chef du gouvernement. «Mardi dernier à l’Assemblee nationale, François Bayrou a déclaré n’avoir ‘‘jamais été informé’’ de violences à Bétharram. Aujourd’hui à Pau il dit avoir commandé et reçu un rapport sur ces violences en 1996. Bayrou a menti. La démonstration est faite par lui-même», a pointé l’insoumis Paul Vannier, qui appelle dans la foulée à sa démission.
La France insoumise met la pression depuis plusieurs jours sur le locataire de Matignon, en demandant à la ministre de l’Education Elisabeth Borne de «diligenter une mission de l’Inspection générale» ainsi que la création d’une commission d’enquête parlementaire sur le contrôle des établissements scolaires privés sera examinée mercredi. Ils ont aussi saisi la justice pour «non-dénonciation» de mauvais traitements ou d’agressions sexuelles sur mineurs.
Les communistes ont pour leur part dénoncé ce samedi «le silence et l’inaction des institutions», dont «la Conférence des évêques de France et la direction de l’enseignement catholique». Mais ils ont aussi estimé que cette réception des victimes par François Bayrou «ne peut suffire». «Il ne peut échapper à l’exigence de justice et de vérité […] Il doit dire de manière claire les informations portées à sa connaissance», a exhorté le PCF. Quant aux écologistes, leur groupe à l’Assemblée avait demandé vendredi l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire pour faire la «lumière» sur les violences commises au sein du lycée et l’absence de traitement des signalements.
Au comptoir de Chez Pol
Sans même attendre la réunion entre son chef de gouvernement et les victimes, le ministre de la Justice Gérald Darmanin avait d’ores et déjà annoncé ce samedi matin depuis Aix-en-Provence une «augmentation des moyens de tous les parquets, dont celui de Pau», et ce, «grâce à l’adoption du budget». Celui qui annonce à demi-mot sa candidature pour la présidentielle 2027 dénonce la récupération politique de cette affaire, estimant que François Bayrou subit «un procès tout à fait politicien».
Le ministre des Relations avec le Parlement, Patrick Mignola, avait accusé vendredi La France insoumise de monter l’affaire en épingle «en mélangeant les dates et en expliquant que, puisqu’il aurait pu savoir plus tard, il devait savoir avant».
L’entretien avec les victimes se tient quelques jours avant une motion de censure spontanée des socialistes pour dénoncer la «trumpisation» du gouvernement Bayrou, à la suite de ses propos sur la «submersion migratoire». Si insoumis, écologistes et communistes devraient la voter, le RN menace d’y ajouter ses voix pour faire tomber le palois en difficulté.
«Renforcer les contrôles» des établissements privés
Le parquet de Pau mène l’enquête depuis un an sur plus d’une centaine de plaintes visant des violences physiques, agressions sexuelles et viols qui auraient été commis au collège-lycée Notre-Dame-de-Bétharram entre les années 1970 et 1990.
En dépit des révélations de la presse, François avait affirmé mardi qu’il n’avait «jamais à cette époque, été averti […] des faits qui ont donné lieu à des plaintes ou à des signalements». Le lendemain, il a «récusé» tout mensonge, parlant de «polémiques artificielles».
Le ministère de l’Education nationale, qui n’a «à ce stade» pas retrouvé de traces de contrôle de cet établissement dans le passé malgré de nombreuses plaintes, a ordonné vendredi soir au rectorat de Bordeaux de mener une inspection de Betharram. Dans un communiqué, le ministère «rappelle qu’une circulaire datant de juin 2024 demande aux recteurs de renforcer les contrôles» des établissements privés sous contrat «dans le cadre d’une stratégie pluriannuelle», adoptée après un rapport parlementaire sur le financement public, qui pointait l’opacité du dispositif.
Mise à jour : à 16h47, avec l’ajout des déclarations de François Bayrou à la sortie de la réunion avec les représentants de victimes, ainsi que celles de LFI et du PCF.