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Libération
Nouvelle coupe

Gel des dépenses de communication : avec «Etat efficace», Lecornu prolonge la croisade de la droite contre les agences

Dans le cadre de la mission créée par le Premier ministre le 19 septembre, les crédits alloués aux campagnes d’information des ministères doivent être suspendus jusqu’à la fin de l’année, avec un objectif de les réduire de 20 % en 2026.

Sébastien Lecornu visite un département de santé le 13 septembre à Mâcon (Saône-et-Loire). (Jeff Pachoud/AFP)
Publié le 23/09/2025 à 19h11, mis à jour le 23/09/2025 à 19h35

Toujours pas de gouvernement à l’horizon, ni même d’ébauche de budget, mais déjà des pistes d’économies pour réduire le déficit public. Alors que les discussions se poursuivent entre les différentes formations politiques – sans La France insoumise – et le nouveau locataire de Matignon, pour tenter de faire voter les projets de loi de finances pour 2026, Sébastien Lecornu a fait savoir mardi 23 septembre qu’il avait «décidé de suspendre, à compter de ce jour et jusqu’à la fin de l’année 2025, l’engagement de toute nouvelle dépense de communication par les ministères, les opérateurs et agences de l’Etat».

Seules exceptions à cette chasse : les campagnes de santé publique, de recrutement de la fonction publique et les projets «déjà engagés, ayant fait l’objet de contrats signés». «Une revue générale des dépenses de communication de l’Etat, des agences et des opérateurs a été lancée par la mission “Etat efficacedans le cadre de la préparation du budget 2026», font savoir les services de Matignon, en affichant un objectif de «réduction de 20 % des dépenses de communication en 2026, par rapport au niveau de 2025».

Un recours excessif aux cabinets de conseil

En 2024, ces dépenses de communication se seraient élevées à 440 millions d’euros, et leur gel pour la fin de l’année représenterait donc une économie d’au moins 50 millions d’euros, selon Matignon. Cette circulaire concerne les ministères, les opérateurs de l’Etat, ainsi que le Service d’information du gouvernement (SIG), chargé des campagnes de communication interministérielles, et dont le fonctionnement a fait l’objet de plusieurs critiques ces dernières années. En janvier 2024, un rapport de la Cour des comptes épinglait notamment cette autorité administrative placée sous l’autorité du Premier ministre pour son recours excessif aux cabinets de conseil. Et en mars 2022, le Monde avait fait état de la façon dont les budgets du SIG en matière de commandes de sondages avaient explosé au cours du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, pour passer de 1,4 million en 2017 à 1,9 million en 2018, 3,3 millions en 2019, et 2,6 millions en 2020.

La «mission Etat Efficace» à l’origine de cette annonce, dont les contours restent pour l’heure relativement flous, a été créée le 19 septembre, et confiée à deux hauts fonctionnaires spécialistes des questions budgétaires, Pierre-Mathieu Duhamel et Denis Morin, placés sous la houlette directe de Matignon. Proche de LR, le premier a notamment exercé, entre 1987 et 1988, comme conseiller d’Alain Juppé au ministère du Budget, puis d’Edouard Balladur au ministère de l’Economie, avant d’être directeur du Budget à Bercy entre 2002 et 2006, lors du deuxième quinquennat de Jacques Chirac. Venu des cabinets socialistes sous Mitterrand puis Jospin, Denis Morin, président honoraire de la Cour des comptes, est un spécialiste des questions sociales. Il a lui aussi été à la tête de la direction du Budget au ministère de l’Economie sous François Hollande, entre 2013 et 2017.

«Il s’agit surtout de coquilles vides»

Selon les termes employés dans le communiqué, les deux hommes auront à charge «de regrouper, de questionner, et si besoin est de supprimer des structures qui font double emploi dans le même champ de politique publique». Première initiative dévoilée vendredi dernier, la suppression de certaines délégations interministérielles comme celle en charge du coûteux Service national universel (SNU), qui a vocation à devenir «un service militaire volontaire». Mais aussi celle «en charge du suivi des conclusions du Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique», celle dédiée «aux restructurations d’entreprises» dont les missions vont être renvoyées à la direction générale des entreprises du ministère de l’Economie, celle consacrée «à la forêt et au bois», ou encore le poste de délégué interministériel «à l’accompagnement des territoires en transition énergétique».

«Ces premières éliminations ne vont pas changer grand-chose, parce qu’il s’agit surtout de coquilles vides, où il n’y avait déjà plus aucun agent, même si c’est important de faire le ménage», estime la sénatrice LR des Hauts-de-Seine Christine Lavarde, coautrice du rapport de la commission d’enquête du Sénat sur les missions des agences, opérateurs et organismes consultatifs de l’État, rendu le 1er juillet.

«Ce n’est pas la poule aux œufs d’or»

Car cette «mission Etat Efficace», première pierre du ministère Lecornu, semble bien le prolongement d’un combat mené par la droite sénatoriale depuis au moins un an contre les normes et les agences, qui cible prioritairement les structures dédiées à la transition écologique. François Bayrou lui-même avait annoncé le 8 juillet, avant la présentation de ses orientations pour le budget 2026, une réforme de l’administration territoriale, consistant à fusionner et supprimer des opérateurs publics, et à renforcer le pouvoir des préfets pour contourner les normes. Alors que l’élu normand avait promis «des ruptures» lors de sa passation de pouvoir le 10 septembre, c’est donc plutôt une impression de continuité qui domine en la matière.

D’autant que le principe d’une réforme du fonctionnement de l’Etat à base de suppression de «comités Théodule» pour permettre d’économiser des deniers publics, est un véritable serpent de mer à droite, et un chantier sans cesse relancé. C’était déjà le cas par exemple, d’un certain Edouard Philippe à Matignon en 2019, dont la proximité amicale avec Sébastien Lecornu, est de notoriété publique. Ou même d’un Gabriel Attal, lors de sa déclaration de politique générale, à son arrivée comme chef de gouvernement en janvier 2024. Et peu importe, semble-t-il, que les gisements potentiels restent modestes, comme cela a été plusieurs fois démontré, notamment dans le rapport du Sénat du 1er juillet. «Ce n’est pas la poule aux œufs d’or, admettait ainsi Christine Lavarde auprès de Libération. A politique publique inchangée, on peut espérer entre 500 et 550 millions d’économies d’ici trois ans de mise en œuvre.»

Une proposition de loi LR dans les cartons

Selon nos informations, alors que les tractations entre LR et le camp présidentiel sur le budget 2026 s’intensifient ces derniers jours, une proposition de loi des sénateurs de droite sur la suppression des normes et des agences serait déjà dans les tuyaux, déjà entièrement rédigée, et prête à être dégainée. Car si certaines mesures relèvent seulement du pouvoir réglementaire, et peuvent passer par décret, d’autres nécessitent tout de même de changer la loi par un vote du Parlement. Et ne pourront pas être accueillies dans les projets de loi de finances. Il faut donc des textes distincts.

Dans sa note adressée lundi à Matignon pour faire valoir les revendications de la droite, leur chef de file à l’Assemblée Laurent Wauquiez exige en effet de «réduire les dépenses publiques par de véritables économies structurelles, plutôt que par des coups de rabot, notamment sur le train de vie de l’Etat». Et cite en exemple le «non-remplacement de fonctionnaires dans l’administration administrante dès 2026», ou encore la «suppression d’agences inutiles avec un calendrier sérieux de mise en œuvre», ainsi que des «baisses des dépenses de fonctionnement». Des vœux qui semblent en partie exaucés par les premières décisions de Sébastien Lecornu, et que le Rassemblement national ne devrait pas non plus contester.

Mise à jour à 19 h 35 avec des informations complémentaires de Matignon.