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Libération
Dans le rétro

Gouvernements éphémères : comme un air de déjà-vu des IIIe et IVe Républiques

Trois cabinets sont mort-nés sous les précédents régimes réputés pour leur instabilité. Tous auront toutefois duré plus longtemps que les quatorze heures de celui de Lecornu.

Henri Queuille (l'homme blanc de plus de 50 ans, cravate noire, au centre) et son gouvernement, en 1950. Avant Sébastien Lecornu, le radical-socialiste détenait le record de brièveté : il avait tenu deux jours à Matignon, du 2 au 4 juillet. (AFP)
ParArthur Louis
Journaliste - Actu
Publié le 06/10/2025 à 16h53, mis à jour le 08/10/2025 à 22h21

L’événement devait montrer toute la solidité et la constance de la Ve République. Le 4 septembre 1958, dans une mise en scène aussi grandiose que solennelle, Charles de Gaulle présentait à la foule parisienne son projet de Constitution censé rompre avec «[l’]inconsistance et [l’]instabilité» des IIIe et IVe Républiques. Six décennies plus tard, l’histoire donne tort au Général. Même les – très – éphémères gouvernements de ces régimes auront tenu plus longtemps que le premier gouvernement Lecornu, tombé ce lundi 6 octobre au lendemain de sa nomination. Trois mois d’existence pour l’équipe de Michel Barnier, même pas neuf pour celle de François Bayrou et quatorze heures pour le dernier en date : l’enchaînement fait remonter le parfum des Républiques sous lesquelles la valse des ministres était monnaie courante.

Comme pour Sébastien Lecornu, membre du gouvernement depuis 2017 et indéboulonnable ministre des Armées pendant plus de trois ans, l’expérience d’Henri Queuille (qui se qualifiait lui-même de «vieil homme politique, habitué à connaître les imperfections des individus et des peuples») devait être un atout. Mais ce dernier, qui avait pourtant été présent au gouvernement de 1924 et 1940 et qui avait passé huit ans au ministère de l’Agriculture, gardait jusque-là le record de brièveté gouvernementale. En 1950, sous la IVe République (1946-1958), malgré son profil expérimenté, le radical-socialiste devenu Premier ministre avait formé une équipe qui n’avait survécu que deux jours. Investi par les députés le 2 juillet, il avait été renversé par ces mêmes représentants dès le 4 juillet, en raison d’un revirement des socialistes qui ressemble fort à celui des Républicains ce lundi.

Démission d’un président de droite

En tout, la IVe République, paralysée par le «régime désastreux des partis» selon de Gaulle, aura connu 24 gouvernements en onze ans. Mais avant elle, des cabinets ont connu un sort similaire sous la IIIe République, qui a pour sa part vu 104 gouvernements se succéder durant de 1870 à 1940. Le 19 juillet 1926, Edouard Herriot, radical-socialiste lui aussi, prend la tête du gouvernement, après avoir fait chuter celui d’Aristide Briand, auquel il refusait les pleins pouvoirs financiers pour enrayer la chute du franc. Mais le cabinet Herriot ne durera que deux jours et tombera le 21 juillet, faute de majorité à la Chambre des députés. Cet épisode sonne le glas du Cartel des gauches (SFIO, radicaux-socialistes, républicains-socialistes, gauche radicale), coalition qui avait pris le contrôle de la Chambre en mai 1924.

Cette même année justement, peu après la victoire du Cartel, un autre gouvernement n’a survécu que deux jours. Là encore l’histoire se confond avec le présent : un bloc de gauche arrivé en tête aux législatives, un Président entêté et un gouvernement de droite démissionné pour mieux être reconduit.

Car malgré la victoire du Cartel, qui dispose d’une majorité fragile, le président de droite Alexandre Millerand va au bras de fer en chargeant le 8 juin 1924 un homme venu de son camp, Frédéric François-Marsal, de former un gouvernement. Ce dernier est composé le même jour avec une majorité des ministres sortants. Ce choix ne pardonne pas : il est renversé dès le 10 juin par la Chambre et Millerand démissionne le lendemain.

Pour l’heure, aucun carton n’a été fait à Elysée ce lundi. Sébastien Lecornu, lui, a accepté de se réessayer à former un gouvernement à la demande d’Emmanuel Macron. Comme le général de Gaulle l’avait demandé à Georges Pompidou, lequel avait été renversé par une motion de censure. La comparaison s’arrête là, Georges Pompidou bénéficiant alors d’une confortable majorité née d’élections favorables au camp gaulliste.