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Libération
Eclair de lucidité

Guerre Hamas-Israël : François Ruffin estime que la parole des insoumis «n’est pas à la hauteur de la gravité des événements»

Conflit israélo-palestiniendossier
Dans un entretien au «Monde», le député se démarque de la direction de LFI en qualifiant le Hamas d’«organisation fanatique, terroriste» et appelle son camp à «mettre des mots forts sur des actes horribles». Il demande aussi à ce que «l’enjeu ne [devienne pas] pour ou contre La France insoumise».
François Ruffin, député de gauche de La France Insoumise (LFI), au nord-est de Paris, le 16 février. 2023. (GEOFFROY VAN DER HASSELT/AFP)
publié le 10 octobre 2023 à 23h06

Voilà une parole à gauche qui devrait plaire aux uns. Tendre un peu plus les autres. Et sûrement aider la gauche à rester unie alors que les attaques terroristes du Hamas dans le sud d’Israël ébranlent sérieusement la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) depuis samedi. Dans un entretien au Monde mis en ligne mardi soir, François Ruffin prend quelques distances avec la direction de son groupe, la France insoumise avant de livrer une position claire : condamnation «sans réserve» des «actes horribles» du Hamas, «organisation fanatique, terroriste» ; critique de la position française «alignée» sur les Etats-Unis «un gouvernement jusqu’au-boutiste en Israël» ; et demande de «paix» et de «cessez-le-feu».

«Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement : samedi, le Hamas a commis des abominations», dit ainsi Ruffin en réponse au fait que sa présidente, Mathilde Panot, a refusé, mardi, de qualifier l’organisation palestinienne de la bande de Gaza de «terroriste». «Pas de pudeur de gazelle, affirme le Picard. On doit mettre des mots forts sur des actes horribles, sinon notre parole est discréditée, moquée, enlisée dans des justifications byzantines, pas à la hauteur de la gravité des événements. Nous ne sommes pas le point de repère politique, diplomatique, moral, que nous devrions être.»

Mélenchon et ses proches plus isolés

Quand son groupe parlementaire ne faisait pas mention de «condamnation» dans son communiqué publié samedi, s’attirant tout de suite des critiques de la Première ministre Elisabeth Borne mais aussi de certains socialistes, Ruffin est bien plus clair : «Je condamne sans réserve les actes du Hamas. C’est une organisation fanatique, terroriste, qui a toujours été l’adversaire des progressistes au Proche-Orient, hostile à tout compromis de paix, qui veut la fin de l’Etat d’Israël.»

Alors que Jean-Luc Mélenchon et ses très proches sont durement critiqués, y compris à gauche, pour leurs réactions, ce nouveau pas de côté risque bien d’isoler les premiers au sein de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes). Et servir certains responsables de cette gauche qui ne veulent pas rompre l’union de la gauche mais n’en peuvent plus des tensions alimentées par le chef de file de LFI depuis l’affaire Quatennens, celle qui concerne Sophia Chikirou, en passant par la tentative de liste unique aux européennes malgré le refus répété des autres forces. «La France insoumise n’est pas un bloc monolithique», rappelait par exemple une autre «frondeuse» de LFI, Clémentine Autain, lundi dans une interview à Libération.

«L’enjeu ne doit pas devenir pour ou contre La France insoumise»

Mais dans cette interview au Monde, l’objectif de Ruffin est aussi de ramener le débat français sur Israël et Gaza à la politique du gouvernement français. «Malgré mes divergences, «l’enjeu ne doit pas devenir pour ou contre La France insoumise, l’exégèse de ses communiqués, souligne-t-il. Ce serait ramener les grands drames du monde à de la petite politicaillerie.» Le député de la Somme critique ainsi la position de Paris, beaucoup trop «muette». «Ce n’est pas rendre service à la société israélienne, aux Français de confession juive, que de s’aligner sur les Etats-Unis, qui s’alignent eux-mêmes sur un gouvernement jusqu’au-boutiste en Israël, fait-il valoir. Le rôle de la France est d’être une corde de rappel, un point d’appui contre la fatalité de l’escalade. Notre levier, c’est la parole écoutée, qui porte, qui entraîne.»

Sur ce point-là, Ruffin est ainsi raccord avec Mélenchon. «On a bel et bien un face-à-face entre «le fanatisme du Hamas» et «une politique israélienne imbécile» [selon les mots de l’historien israélien Elie Barnavi] venant du gouvernement d’extrême droite de Benyamin Nétanyahou, insiste le Picard. Sans un tiers qui s’interpose, une machine infernale est lancée. Or, depuis dix ans, la communauté internationale est aux abonnés absents.» Ruffin répète aussi qu’il s’«associe» au «soutien aux victimes et à la société israélienne» : «Mais le soutien au gouvernement israélien ne doit pas être aveugle, ajoute-t-il. Nous devons poser en permanence comme objectif le cessez-le-feu et la paix. Lundi, dans le communiqué des cinq pays, dont la France, il n’y a pas le mot paix : c’est un gros problème.»

Le Pen «propose, sans ciller, de perpétrer des crimes de guerre»

François Ruffin s’en prend également à Marine Le Pen : «Elle soutient aveuglément un gouvernement d’extrême droite et propose, sans ciller, de perpétrer des crimes de guerre à Gaza. Loin, très loin, de la position historique de la France. Sans que personne ne lui porte la contradiction, c’est sidérant.» Il critique aussi la position du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), mais bien moins violemment que Jean-Luc Mélenchon pour qui le Crif «a isolé et empêché la solidarité des Français avec la volonté de paix et la demande de cessez-le-feu immédiat». «C’est un interlocuteur, oui, répond Ruffin. Qui ne représente pas le pluralisme politique, d’idées, des Français de confession juive. En France aussi, il faut trouver le chemin du dialogue, qui passe par le respect mutuel…»

Le journaliste met aussi en garde contre un «risque d’importation du conflit» en France. «De nombreux Français de confession juive, quand les Israéliens sont menacés, se sentent eux-mêmes menacés. Bon nombre de Français de confession musulmane, quand les Palestiniens sont bombardés, humiliés, se sentent eux-mêmes humiliés, rappelle-t-il. D’où le rôle que nous avons à parler juste, à faire tout notre possible pour la paix, aussi chez nous.» Ça vaut aussi pour la gauche.