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Assemblée nationale

Rejet de la loi immigration : Darmanin a remis sa démission à Macron, qui l’a refusée

Une majorité hétéroclite de députés, de la gauche au RN en passant par LR, a voté, ce lundi 11 décembre, une «motion de rejet», stoppant net l’examen du projet de loi défendu par le ministre de l’Intérieur et empêchant tout débat dans l’hémicycle.
Gérald Darmanin à l'Assemblée nationale le 11 décembre 2023. (Albert Facelly/Libération)
publié le 11 décembre 2023 à 17h44
(mis à jour le 11 décembre 2023 à 20h18)

Une énorme claque pour le ministre de l’Intérieur. Le projet de loi sur l’immigration, maintes fois repoussé et qui devait être le gros morceau de cette fin d’année politique, est rejeté avant même l’examen du premier article. Une motion de rejet défendue par les écologistes, a été adoptée par les députés, à 270 voix contre 265. Cela laisse désormais au gouvernement le choix entre plusieurs options : retirer le texte, le renvoyer au Sénat pour une deuxième lecture, ou convoquer une commission mixte paritaire pour tenter de trouver un texte de compromis entre député et sénateurs.

A la suite de cette Bérézina, Gérald Darmanin a été convoqué ce lundi soir à l’Elysée. «De retour de Toulouse où il était en déplacement, le président de la République va s’entretenir avec le ministre de l’Intérieur», a annoncé l’entourage d’Emmanuel Macron. Lors de leur discussion, le ministre de l’Intérieur a proposé sa démission, «refusée» par le Président, a fait savoir l’Elysée. Emmanuel Macron a aussi demandé à Elisabeth Borne et Gérald Darmanin des propositions pour lever le «blocage» dans l’hémicycle.

Ensuite sur le plateau du 20 heures de TF1, le ministre de l’Intérieur a reconnu «un échec», estimant «normal» de présenter sa démission au Président. Mais il a vite enchaîné, en ciblant «l’alliance entre LFI et RN, ralliée par les LR», une «alliance des contraires» qui a «fait tomber le texte du gouvernement pour des raisons de politicaillerie».

Pour la suite, Gérald Darmanin a martelé que le projet de loi immigration «va continuer son chemin». Une «réunion avec la Première ministre ce lundi soir» permettra de trancher entre «les trois options» possibles pour l’avenir du texte, avec une réponse exigée par Emmanuel Macron «pour demain [mardi]». «Tant que je serais ministre de l’Intérieur, je prendrai mes responsabilités», a encore affirmé Gérald Darmanin, qui a toutefois botté en touche au sujet d’une éventuelle dissolution de l’Assemblée nationale.

«Arithmétiquement, on a perdu»

Coalisées alors qu’elles sont diamétralement opposées sur la question, la gauche d’un côté – écologistes, communistes, insoumis et socialistes – et droite et extrême droite de l’autre ont préféré se passer de deux semaines de longs débats avant la pause de Noël. «Nous demandons maintenant au gouvernement de retirer cette loi», s’est empressée de réclamer Mathilde Panot, la présidente du groupe la France insoumise à la sortie de l’hémicycle, pointant «une crise de pouvoir». «Darmanin a dompté les groupuscules macronistes. Mais pas l’Assemblée nationale, a posté sur X (anciennement Twitter) le leader de son mouvement, Jean-Luc Mélenchon. Ça sent le bout du chemin pour sa loi et donc pour lui.» Dans un autre message, il en remet une couche : «C’est surtout la macronie qui a fini par exaspérer toutes les oppositions. L’arrogant Darmanin a braqué tout le monde. Le début de la fin est commencé.»

Salle des Quatre-Colonnes à l’Assemblée, devant caméras et micro, le président de LR Eric Ciotti a justifié le choix de rejeter ce projet de loi. S’il a voté la motion de rejet, c’est, explique-t-il, «pour que les débats se poursuivent sur une base beaucoup plus crédible». «Nous voulons un texte qui réponde aux vrais défis», a-t-il ajouté, souhaitant un retour à la version du texte issue du Sénat et «un engagement très clair pour une réforme constitutionnelle». Avant lui, Marine Le Pen a qualifié ce vote de «désaveu extrêmement puissant, un désaveu du «en même temps»». «A force d’utiliser le 49.3, la majorité avait oublié qu’elle ne l’était pas majoritaire», a affirmé la présidente des députés d’extrême droite, précisant qu’elle allait déposer «dès demain» une proposition de loi qu’elle espère «transpartisane» pour «permettre et faciliter les expulsions des délinquants étrangers».

Pas «la fin de ce texte»

Dimanche après-midi, Gérald Darmanin préparait déjà les esprits à cette défaite : «C’est vrai qu’arithmétiquement, j’ai perdu, disait-il aux journalistes. Mais la politique, c’est d’abord de la dynamique. On verra bien.» Darmanin voit bien : le «compromis» qu’il promettait à Emmanuel Macron et Elisabeth Borne depuis des mois n’a jamais existé. Se montrant encore dimanche «très ouvert pour construire un texte de fermeté avec les LR» et assurant qu’il était prêt à répondre aux «quatre demandes» de la droite – un débat annuel sur la politique migratoire au Parlement, le retour d’un «délit de séjour irrégulier», des engagements sur la réforme de l’aide médicale d’Etat ou encore une «modification» de l’article déjà réécrit sur les régularisations dans les métiers en tension – l’ancien porte-parole de Nicolas Sarkozy voit ses anciens camarades lui infliger une défaite politique.

Le président de LR avait annoncé la couleur dimanche dans le Parisien : «Nous déciderons lundi de notre position. Mais seul le texte sorti du Sénat, et uniquement celui-ci, nous convient. L’adoption d’une motion de rejet aboutirait à débattre à nouveau sur le texte du Sénat.» A Beauvau, on prévenait dimanche que ce vote ne marquait pas «la fin de ce texte», rappelant qu’en bout de course, il y aurait une «commission mixte paritaire» au sein de laquelle un «compromis» serait à nouveau proposé à la droite, notamment sénatoriale. Matignon pourra au moins se consoler sur une chose : Elisabeth Borne n’aura pas eu à sortir un 21e 49.3 pour faire adopter le texte de Darmanin. En tout cas, pas tout de suite.

Mise à jour : à 20 h 18, avec l’ajout des déclarations de Gérald Darmanin au 20 heures de TF1.