Ils seront d’emblée dans le bain. Les députés Renaissance ont été priés d’être tous sur zone, dès ce lundi à 16 heures, pour le début de l’examen du projet de loi sur l’immigration. Les ministres enjoints de reporter leurs sorties pour ne pas distraire les parlementaires. Tous sur le pont. Si la discussion générale, préambule du débat dans l’hémicycle sur un projet de loi, est habituellement dépourvue d’enjeux, il y a cette fois un peu de suspense. L’Assemblée nationale devra d’abord se prononcer sur une motion de rejet préalable, un outil visant à rejeter un texte avant que ses articles ne soient examinés. C’est celle des écologistes qui a été tirée au sort – au grand dam de la droite qui a aussi tenté le coup. Et si, pour le texte de Gérald Darmanin, c’était la fin avant même le commencement ? «C’est vrai qu’arithmétiquement, on a perdu, dit-on au ministère de l’Intérieur. Mais la politique c’est d’abord de la dynamique. On verra bien.»
Les députés LR, très divisés, iront-ils jusqu’à voter avec la gauche pour renvoyer le projet de loi ? Eric Ciotti, président du parti, s’y montre favorable : «Nous déciderons lundi de notre position, a-t-il répondu au Parisien dimanche. Mais seul le texte sorti du Sénat, et uniquement celui-ci, nous convient. L’adoption d’une motion de rejet aboutirait à débattre à nouveau sur le texte du Sénat.» De quoi offrir à Gérald Darmanin une occasion en or pour démontrer que son ancienne famille politique n’est «plus un parti de gouvernement» : «C’est le groupe qui a déposé le plus d’amendements, rappelle-t-on au ministère de l’Intérieur. On a quinze jours pour trouver des accords, la main est largement tendue… Cela voudrait dire que les LR refusent par principe l’idée qu’ils pourraient en discuter.»
Que feront les élus RN sans qui la motion de rejet ne pourrait être adoptée ? Les macronistes, pas tranquilles, se perdent en hypothèses. «Ce serait extrêmement paradoxal qu’ils aient une position d’intérêt général et de construction alors que ce devrait être à LR de l’être», pointe-t-on chez Darmanin. «Si le RN veut faire un coup, c’est maintenant», craint de son côté un député Renaissance. Cheffe de file de Renaissance sur le texte, Marie Guévenoux, estime, elle, que le RN n’aurait «aucun intérêt» à «se priver d’un débat sur l’immigration». La sortie de Marine Le Pen, dimanche est de nature à rassurer Beauvau : «Il y a des arguments pour et des arguments contre. L’argument contre, c’est qu’évidemment nous souhaitons débattre parce que M. Darmanin dit tout et l’inverse de tout», a expliqué la présidente du groupe RN sur Europe 1 et CNews.
Le ministre de l’Intérieur a convié à déjeuner, lundi, les macronistes de la commission des lois : «Je pense qu’il va ensuite nous mettre tous dans un van et nous escorter jusqu’à notre banc !» plaisante l’un d’eux. Que le camp présidentiel «joue à se faire peur» ou encourt vraiment le risque de planter d’entrée son texte le plus important de l’automne, voilà qui donne le ton : «On ne va pas voir le jour pendant deux semaines», résume-t-on au groupe Renaissance.
Le Rubik’s cube du gouvernement
Après deux mois à enquiller les textes budgétaires soldés sans surprise par une série de 49.3, les députés sentent une petite odeur de poudre. «Le débat va être difficile, prédit Charles Sitzenstuhl. Quand on va voir les gus du RN penser si fort au «grand remplacement» de Zemmour… Ils reviennent à leur fonds de commerce historique.» La gauche, elle, refuse de laisser la droite et l’extrême droite préempter la discussion. Quant au gouvernement, il continue de tourner les faces de son Rubik’s Cube : en majorité relative, comment faire passer un texte «de fermeté et d’intégration» dixit Darmanin, en appâtant une partie de la droite, tout en gardant l’intégralité de son camp à bord ?
Après un passage au Sénat, qui a nettement durci le texte, les députés, en commission des lois, se sont efforcés de le rééquilibrer. «On a supprimé beaucoup de choses, sur le droit du sol ou l’aide médicale d’Etat (AME)», résume Stella Dupont (Renaissance). Les macronistes ont réintroduit un dispositif de régularisation des sans-papiers exerçant des métiers «en tension», dans une version réécrite pour convenir aux diverses sensibilités de la majorité. Un nouvel objet irritant a surgi : le délit de séjour irrégulier. La droite sénatoriale tenait à ce dispositif mais les députés l’ont supprimé. En réunion à Matignon la semaine dernière, Darmanin a jugé que cette mesure pourrait l’aider à amadouer des élus LR. L’un d’eux a déjà trouvé un surnom à cet appât : la «sucette Darmanin». De quoi tirailler la majorité : l’aile gauche, dont le président de la commission des lois, Sacha Houlié, n’en veut pas alors que l’aile droite cosigne un amendement pour le rétablir.
Darmanin n’en finit plus de «tendre la main» à la droite
Bref, le camp présidentiel est toujours dans le même pétrin, à compter les voix. Le ministre des Relations avec le Parlement, Franck Riester, l’assure : «On veut aller au vote.» Selon ses calculs, il faudrait décrocher, outre les voix Renaissance, Horizons et Modem, 40 autres voix «pour». A défaut, seulement 20 «pour» et 40 abstentions. Ou, a minima, 80 abstentions. Crédible ? «Si on démontre que le texte est utile, les LR seront enclins à l’accompagner», argue Riester. Darmanin, lui, n’en finit plus de «tendre la main» à la droite. Vendredi, il a même orchestré un déplacement dans les Alpes-Maritimes… le fief ciottiste.
«Je ne vois pas comment il peut faire passer son texte…» tique un député LR, tandis qu’Eric Ciotti a enjoint à ses troupes de ne pas être les «complices de cet échec annoncé». «Le courage n’est pas au rendez-vous de ce projet de loi du gouvernement, seule la communication s’y trouve», enfonce-t-il dans son interview au Parisien. Puisque aucun renfort ne viendra de LFI, du PS et des Ecologistes, le gouvernement cajole les 21 élus du groupe Liot. «Notre soutien, ce n’est pas du tout cuit», prévient une élue de ce petit groupe composite, composé de centristes et d’ultramarins. «Si on votait aujourd’hui ça ne passerait pas. Mais les positions ne sont pas figées, le débat va être décisif», prévoit Marie Guévenoux. «Tant qu’on ne sera pas au moment du scrutin, le doigt sur le bouton, il y aura du suspense», renchérit Sitzenstuhl. Sauf si l’article 49.3 venait dissiper les doutes. «Comme pour les retraites, glisse une députée Liot, ça peut se terminer dans un bureau à cinq ou six personnes, pour savoir si ça passe ou pas.» De quoi transpirer jusqu’à Noël.