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Libération
«Boussole»

Inquiet pour «la souveraineté», le Conseil d’Etat livre une «boîte à outils» à l’usage des gouvernants

Formation à la citoyenneté, renforcement du SNU et des liens avec l’armée, relocalisation de la production des biens essentiels… La plus haute autorité administrative a élaboré «dix propositions» pour consolider la souveraineté du pays ébranlée par les crises et le retour de la guerre.
Le Conseil d'Etat appelle notamment à «conforter l’esprit de défense» des jeunes Français en resserrant les liens avec l’armée via le service national universel (SNU) et la Garde nationale. (Pat Batard/Hans Lucas. AFP)
publié le 11 septembre 2024 à 18h45

La souveraineté, à la fois idéal régalien et condition sine qua non de l’existence de l’Etat-nation, connaît un «retour de flamme» qui n’a pas échappé au Conseil d’Etat : la plus haute juridiction administrative française a décidé d’y consacrer son étude annuelle 2024, un pavé de 591 pages «portant un titre court pour une lecture très longue», s’est amusé son vice-président Didier-Roland Tabuteau, en présentant mercredi 11 septembre à la presse le rapport qui sera remis au Président de la République le soir-même, à l’occasion de la rentrée du Conseil d’Etat. «Un travail d’un an» que l’instance indépendante voit comme «une boîte à outils», avec des propositions susceptibles d’aider Emmanuel Macron, et surtout ses successeurs, «à fixer un nouveau cap de long terme pour renforcer la souveraineté du pays sous tous ses aspects».

La souveraineté nationale ? Elle figure «pleine et entière» à l’article 3 de la Constitution. L’autorité indépendante en livre cette définition résumée, bien connue des étudiants de Sciences Po : «La liberté pour le peuple, qui l’exerce par ses représentants, de choisir son destin.» Ou plus concrètement le fait pour un Etat «d’avoir le dernier mot» pour la faire valoir sur son territoire, rappelle Martine de Boisdeffre, la présidente de la section du rapport et des études de l’instance. L’actuel chef de l’Etat a fait de la souveraineté un grand marqueur de son second quinquennat depuis la pandémie de Covid et le retour de la guerre en Europe, qui ont mis à nu les vulnérabilités du pays dans plusieurs secteurs vitaux : médicaments, énergie, industrie, défense.

«Signal d’alerte»

Macron n’avait d’ailleurs que ce mot à la bouche mardi, en inaugurant la nouvelle usine de vaccins et de biomédicaments de Sanofi à Neuville-sur-Saône (Rhône-Alpes). Cette «usine du futur», promise en pleine crise sanitaire, «sert notre besoin d’innovation, de prévention, de souveraineté», s’est-il félicité. Le Président a eu le même discours quand il a annoncé fin mai le rachat définitif des turbines nucléaires Arabelle à l’Américain General Electric, qui avait mis la main dessus en rachetant Alstom en 2015. Une opération imprudemment avalisée par un certain… Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie. Le réveil a été tout aussi brutal lorsque Sanofi, qui a beaucoup taillé dans sa recherche dans l’indifférence des gouvernements successifs, s’est avéré incapable d’élaborer dans les temps un vaccin contre le Covid. Ou encore au moment de la chute du géant informatique Atos face au défi de l’intelligence artificielle.

Mais le Conseil d’Etat préfère regarder vers l’avenir et a tenté de livrer «une doctrine de souveraineté» clés en mains à l’usage de nos gouvernants, pour ne pas répéter les erreurs du passé. Bien que glorifiée dans le discours politique, la souveraineté nationale est de plus en plus contestée, si ce n’est menacée de toutes parts par les désordres du monde : «l’agression russe contre l’Ukraine a montré qu’elle pouvait être violée du jour au lendemain, et la crise énergétique a été un signal d’alerte sur la dépendance énergétique de la France et de l’Europe», a rappelé le rapporteur général en charge des études, de la prospective et de la coopération, Fabien Raynaud. Notre souveraineté est aussi remise en cause par les géants du numérique, ces GAFAM dont la capitalisation cumulée est deux fois supérieure au PIB de l’Allemagne, par le niveau de la dette publique détenue à moitié par des créanciers étrangers, par les réseaux mafieux et terroristes… et plus grave encore, par le défi climatique planétaire et la crise de la représentation démocratique partout en Europe. Le rapport des citoyens à l’Union Européenne, emprunt de défiance depuis le référendum de 2005 chez nous et le Brexit chez nos voisins britanniques, est lui aussi problématique.

«Conforter l’esprit de défense» des jeunes Français

Alors que faire pour «renforcer notre souveraineté sur le temps long» ? Le Conseil d’Etat livre «dix propositions» plus ou moins concrètes, qui ont vocation à «servir de boussole dans tous les secteurs stratégiques concernés», a expliqué la rapporteure générale adjointe, Mélanie Villiers. Au menu notamment : «renforcer la formation à la citoyenneté pour permettre un exercice plein de la souveraineté» ; «repenser la démocratie directe» en développant la pratique référendaire ; «conforter l’esprit de défense» des jeunes Français en resserrant les liens avec l’armée via le service national universel et la Garde nationale ; «définir une doctrine de souveraineté» et «cartographier les dépendances et besoins» avec tous les moyens de l’Etat pour diversifier les approvisionnements, stocker les ressources ou relocaliser la production ; «améliorer le respect du principe de subsidiarité» vis-à-vis de l’Union européenne pour avoir le dernier mot quand les intérêts souverains de la France sont en jeu ; ou encore renforcer les compétences scientifiques et techniques du pays…

Le tout «à Constitution et traités constants», a pris soin de préciser Didier-Roland Tabuteau, qui fait confiance «au génie» français : «Nous sommes tous acteurs de la souveraineté nationale», a-t-il rappelé. Enfin certains plus que d’autres, à commencer par Emmanuel Macron et son nouveau Premier ministre, Michel Barnier, dont on ne sait s’ils auront devant eux «le temps long». Si l’un et l’autre sont encore à l’Elysée et Matignon dans un an, ils trouveront sur leur bureau une nouvelle étude du Conseil d’Etat en forme de suite, consacrée à «l’Etat stratège».