C’est fait, Donald Trump est officiellement le 47e président des Etats-Unis. A Washington, lundi soir, des milliers de ses fans étaient réunis à la Capital One Arena pour un grand meeting célébrant l’événement. Sur scène, pendant des heures, les soutiens du magnat qui a retrouvé la Maison Blanche se sont succédé lorsque s’est présenté au micro le principal d’entre eux, Elon Musk. Là, après quelques pas de danses croquignolesques et un très court mot de remerciement, le patron de SpaceX s’est soudain frappé la poitrine de sa main droite avant de tendre le bras vers la foule. Un geste, répété une seconde fois, qui a été évidemment interprété comme un salut nazi. L’émoi est planétaire. Musk a réussi son coup.
L’homme le plus riche du monde n’en est pas à son coup d’essai. «Elon Musk connaît ce geste, rappelle Pierre Mourier, doctorant à l’université Lyon-II et spécialiste de l’alt-right américaine. Pas plus tard qu’il y a quelques semaines, par exemple, il postait sur X une image d’un empereur romain effectuant ce “salut” devant une foule de soldats en rang», faisant déjà scandale. C’était fin décembre, lorsque le patron de Tesla avait ainsi renommé son compte personnel sur X (ex-Twitter, plateforme qu’il dirige), fort de plus de 210 millions d’abonnés, et changé sa photo de profil pour afficher un «Pepe the frog». Un personnage devenu symbole des suprémacistes, complotistes et autres antisémites sur le Web, et pour l’occasion vêtu en centurion romain. Autre exemple récent, rappelle le chercheur, quand, mi-octobre à Butler (Pennsylvanie), Musk a déclaré «je ne suis pas seulement Maga [«Make America Great Again», le slogan de Donald Trump, ndlr] mais Dark Maga». Soit la frange radicale des trumpistes qui estiment qu’en 2016 leur champion était encore trop tendre et qu’il doit revenir encore plus «méchant»…
«Saturer l’espace pour occuper le centre des débats»
«C’est un des nombreux exemples de son utilisation d’un pseudo-humour corrosif qui cherche à choquer pour faire avancer son agenda politique», souligne Pierre Mourier, selon qui le message du milliardaire pourrait se résumer à : «Je suis réac car c’est subversif.» Une stratégie de la provocation, aussi, et à tous les étages. Dès ce mardi matin, Elon Musk a réagi au scandale provoqué par son geste en dénonçant les «coups tordus» de ses adversaires : «L’attaque “tout le monde est Hitler” est tellement dépassée», a-t-il ironisé.
«Son objectif est d’attirer les projecteurs et de saturer l’espace pour occuper le centre des débats, que les autres soient contraints de se positionner à partir de ses déclarations et à n’exister qu’à travers lui, en somme», décrypte Pierre Mourier. Une manœuvre d’autant plus efficace quand on est à la tête d’un puissant réseau social. Il dispose par ailleurs d’un certain recul sur la première élection de Donald Trump : «Elon Musk a vu la “chute” de l’alt-right de l’époque, frappée notamment par la modération des réseaux sociaux, le deplatforming [bannir certains comptes, ndlr] et ses divers échecs stratégiques», précise le chercheur.
Avec ses références extrêmes droitières, qui peuvent paraître pointues, l’objectif d’Elon Musk est de s’adresser aux jeunes hommes blancs de 18-35 ans pour leur dire : «Je suis comme vous, je veux abattre le système», analyse Pierre Mourier. Elon Musk a beau se défendre d’avoir voulu s’adresser aux plus extrémistes, pour les néonazis américains il n’y a aucun débat sur le sens de son geste : c’est bien un salut hitlérien.
Des masculinistes aux «crypto bros»
Selon le chercheur, depuis cette campagne présidentielle américaine, «on assiste à une grande conjonction de nombreuses chapelles états-uniennes, des suprémacistes aux crypto bros [internautes se proclamant spécialistes des cryptomonnaies, ndlr], en passant par les masculinistes et bien d’autres». Serait-ce une union opportuniste autour de l’idéologie libertarienne ? Pas pour Pierre Mourier, qui souligne l’absence de réelle doctrine commune entre Trump, Musk et ces «nombreuses chapelles».
«A mon sens, il s’agit plus d’une jonction autour de la réaction, une sorte de retour de bâton contre le progressisme qui se fait autour du fantasme d’un ordre ancien idéalisé, que ce soit sur les questions d’ordre social, de racisme, de classisme, etc.» Et de conclure : «La force de ce discours, c’est qu’il traverse les strates, les différents électorats. Son ADN politique est polymorphe et plastique, ce qui permet de cumuler des voix et in fine de gagner des élections. Steve Bannon l’avait théorisé, et avant lui Roy Cohn, qui est un des mentors de Trump : il faut lancer un tapis de bombes, attaquer en permanence et avancer. C’est une guerre de mouvement.» En quelque sorte une réécriture modernisée d’un des aphorismes de Mao («De défaite en défaite, jusqu’à la victoire»), qui donne désormais : «De polémique en polémique, jusqu’à la victoire.»