Si le discours d’Emmanuel Macron à la conférence des ambassadeurs, lundi 6 janvier, se voulait diplomatique, c’est raté. Après avoir accusé Elon Musk de soutenir «une nouvelle internationale réactionnaire», le président français s’est mis plusieurs pays africains à dos. «Je crois qu’on a oublié de nous dire merci», a-t-il lancé, pointant du doigt «l’ingratitude» de certains dirigeants du continent quant à l’intervention de la France contre le terrorisme au Sahel. Ce mardi 7 janvier, le président tchadien a affirmé que Macron «se trompe d’époque». «Je voudrais exprimer mon indignation vis-à-vis des propos récemment tenus par le président Macron qui frisent le mépris envers l’Afrique et les Africains», a fustigé Mahamat Idriss Déby Itno dans un discours prononcé au palais présidentiel lors d’une série de vœux et publié sur la page Facebook de la présidence. «Les dirigeants français doivent apprendre à respecter le peuple africain», avait rapidement réagi lundi son ministre des Affaires étrangères tchadien, Abderaman Koulamallah, dans un communiqué lu à la télévision nationale. Rappelant le rôle de l’Afrique et du Tchad aux côtés de la France dans les deux guerres mondiales, il a vivement critiqué l’«attitude méprisante à l’égard de l’Afrique et des Africains».
Diplomatie
Après avoir été contrainte de retirer ses troupes du Mali, du Burkina Faso et du Niger en 2022 et 2023, présentes sur place depuis le début des opérations Serval en 2013, la France a évacué un premier contingent de soldat du Tchad en décembre après la suspension surprise de la coopération entre les deux pays. «En soixante ans de présence, […] la contribution française a souvent été limitée à des intérêts stratégiques propres, sans véritable impact durable pour le développement du peuple tchadien», a critiqué Abderaman Koulamallah, intimant à Macron de se concentrer plutôt sur «la résolution des problèmes qui préoccupent le peuple français».
«Pays libre, indépendant et souverain»
Dan la foulée de la réaction du Tchad, le Sénégal, partenaire historique de la France depuis la fin de la colonisation en 1958, n’a pas non plus mâché ses mots. Dans une publication du X, Ousmane Sonko a rejeté l’affirmation d’Emmanuel Macron selon laquelle la France aurait choisi de partir du Sahel. «Aucune discussion ou négociation n’a eu lieu à ce jour et la décision prise par le Sénégal découle de sa seule volonté, en tant que pays libre, indépendant et souverain», a ainsi affirmé le Premier ministre sénégalais, estimant que «la France n’a ni la capacité ni la légitimité pour assurer à l’Afrique sa sécurité et sa souveraineté». «Elle a souvent contribué à déstabiliser certains pays africains comme la Libye avec des conséquences désastreuses notées sur la stabilité et la sécurité du Sahel», a-t-il taclé au passage, avant de rappeler le rôle majeur des tirailleurs sénégalais, «quelquefois mobilisés de force, maltraités et finalement trahis» par la France, lors de la seconde guerre mondiale. Le 28 novembre, Emmanuel Macron avait lui-même reconnu, dans une lettre au président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, le «massacre» de soldats africains à Thiaroye, près de Dakar, en décembre 1944.
Le Président Emanuel Macron a affirmé aujourd’hui que le départ annoncé des bases françaises aurait été négocié entre les pays africains qui l’ont décrété et la France.
— Ousmane Sonko (@SonkoOfficiel) January 6, 2025
Il poursuit en estimant que c’est par simple commodité et par politesse que la France a consenti la primeur… pic.twitter.com/kNrBtkEGE0
Mais ces propos n’ont pas fait réagir que les dirigeants africains. En France, plusieurs voix politiques se sont offusquées de ce discours, notamment à La France insoumise. Dans un communiqué, le parti du Nouveau Front populaire a estimé que «ces propos relèvent d’un aveuglement et d’un paternalisme néocolonial tout bonnement intolérables», s’opposant aux «ingérences militaires» de la France.
Même ton pour les représentants du parti. «La désinvolture et les paroles non maîtrisées aggravent les relations internationales de notre pays», a réagi le leader insoumis Jean-Luc Mélenchon sur X, alors que l’élu LFI Antoine Léaument a critiqué le «ton moralisateur et colonial» pris par le chef de l’Etat. «A titre personnel, je me sens particulièrement humilié et blessé par les propos du président de la République», s’est ému le député LFI de Seine-Saint-Denis, Aly Diouara, sur X, comparant ce discours d’Emmanuel Macron à celui de Nicolas Sarkozy à Dakar en 2007. A l’époque, le président français avait estimé que «l’homme africain [n’était] pas assez entré dans l’histoire» et avait contribué à la dégradation de l’image de la France en Afrique. Pour l’heure, le reste de la classe politique n’a pas réagi.
Mis à jour à 14 h 24 avec la réaction du président tchadien.