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Embarras

«Je n’ai plus envie d’être associée à cette marque» : au Superchargeur Tesla de Thiais, l’image de Musk désoriente les propriétaires

Premier soutien de Donald Trump, le milliardaire est devenu une figure politique majeure, clivante au point que ses positions radicales nuisent à l’image de la marque Tesla. Consommateurs et chauffeurs de VTC sont partagés sur la position à adopter.
Si les modèles électriques qui tiennent la distance sont désormais accessibles à une partie des classes moyennes, une grande majorité des Français ne peut pas encore acheter ou louer sur une longue durée une voiture électrique permettant de traverser le pays (David Richard/Libération)
publié le 7 février 2025 à 20h47

Sur le parking de l’immense centre commercial de Thiais (Val-de-Marne), à 10 km au sud de Paris, plusieurs dizaines de voitures Tesla sont en train d’être rechargées. Des chauffeurs en profitent pour s’assoupir dans leurs véhicules, passer des coups de fil ou faire leurs courses. Michaël s’apprête à rentrer chez lui, à Rennes. Avant de s’aventurer sur les routes bretonnes, le quadragénaire s’assure de faire le plein d’électricité. Propriétaire de voitures Tesla depuis cinq ans, il a longtemps été conquis par la marque, au point de devenir un fidèle. Lorsque l’informaticien a de nouveau remplacé son véhicule il y a trois mois, il s’est naturellement dirigé vers ces berlines. Mais une ombre noircit désormais le tableau. «La personnalité d’Elon Musk pose question, soutient Michaël. Il a des positions de plus en plus affirmées et radicales. Tesla participe à sa puissance économique donc si je devais changer de voiture, j’y réfléchirai à deux fois, car ses idées comptent aussi.»

Pour le Breton, comme pour de nombreux propriétaires de Tesla, le nom du PDG de la marque, Elon Musk, est sujet à controverse. L’homme de main de Donald Trump est une figure à part entière de la politique réactionnaire du président américain. Ses multiples prises de position radicales, assorties à son salut nazi lors de l’investiture de Donald Trump le 20 janvier 2025, lui coûtent le désamour de certains détenteurs de Tesla. Les ventes se sont effondrées en Europe, notamment de -63 % en France. A ce jour, il est impossible de savoir si les appréhensions vis-à-vis du milliardaire en sont la raison. Toujours est-il que plusieurs personnes ont équipé leurs voitures d’autocollants floqués «je l’ai acheté avant qu’on sache qu’Elon était fou». Et des propriétaires de Tesla seraient prêts à aller plus loin : sur environ 400 personnes interrogées par l’émission de télévision néerlandaise EenVandaag, 30 % affirment souhaiter revendre leur véhicule.

A quelques places de parking de Michaël, Chloé fait partie des admiratrices de la marque de Musk. L’Orléanaise de 26 ans n’a possédé que des Tesla. Mais cela pourrait bientôt évoluer. «Elon Musk est une raison pour laquelle je n’achèterai pas une nouvelle Tesla, indique-t-elle. Je ne cautionne pas son comportement, donc je n’ai plus envie d’être associée à cette marque.» Pas question pour autant de mettre un autocollant à l’arrière de son véhicule, car même si «c’est une bonne idée, ce n’est pas très esthétique».

«Faire la part des choses»

Sur le parking de Thiais, Rodrigue bichonne son nouveau joujou. Un modèle récent de Tesla qu’il s’est procuré il y a tout juste un mois. Le quinquagénaire ne cache pas son enthousiasme face à sa nouvelle acquisition : «C’est une voiture fiable, qui a fait ses preuves, avec une facilité d’utilisation phénoménale !» Le steward concède en revanche : «Ce n’est pas du tout mon copain Elon Musk et ça m’embête de lui filer de l’argent. J’ai même critiqué ma femme qui avait acheté une Tesla avant moi.» Mais, au milieu de ce paradoxe, il s’est «laissé séduire…» «On ne sait pas produire cette qualité-là en France», dit-il.

D’autres séparent encore plus l’«œuvre» de l’«artiste». Liliane a longtemps hésité à se procurer une Tesla. Même si elle admire la marque américaine, elle a opté pour une Fiat électrique. L’informaticienne en est en revanche convaincue : le milliardaire et la marque américaine sont deux entités différentes : «Il faut faire la part des choses entre Elon Musk et Tesla. Les ingénieurs de l’entreprise font un travail considérable et ils ne pensent pas forcément comme le milliardaire». «Je ne comprends pas les dégradations sur les Tesla, alors que les propriétaires de ces voitures ne sont pas responsables des propos d’Elon Musk», regrette-t-elle, en référence aux récents actes de vandalisme visant la marque. A Miami, une quarantaine de Cybertrucks ont été recouverts le 23 janvier des mots «Fuck Elon». Le 2 février, à La Haye (Pays-Bas), la vitrine d’une salle d’exposition de voitures Tesla a été taguée de slogans hostiles et de croix gammées. Quelques jours plus tôt, une image d’Elon Musk faisant son salut nazi a été projetée sur l’usine Tesla de Berlin, accompagnée du mot «Heil», pour former l’expression «Heil Tesla», en référence au salut hitlérien.

Le Superchargeur de Thiais étant proche de l’aéroport d’Orly, beaucoup de chauffeurs VTC rechargent ici. Comme Ernest, qui a récemment troqué sa Mercedes pour une voiture de la marque d’Elon Musk. Casquette multicolore vissée sur la tête, il revient du centre commercial avec une enceinte dernier cri. Après l’avoir glissée dans le coffre de son véhicule électrique qui lui sert d’outil de travail, il assure : «C’est fiable, il n’y a pas d’entretien et c’est très avantageux car les coûts de recharge sont beaucoup moins importants que sur des voitures thermiques.» Parmi ses collègues, ils sont nombreux à tenir le même discours. «On est là pour faire des bénéfices, pas pour perdre de l’argent, confirme un confrère d’Ernest. Moi, j’ai une Tesla pour ses avantages, pas par rapport à Musk.» Jusqu’au jour où ses clients refuseront de monter dedans ?