Il a été quatre fois élu député et autant de fois maire, et le voilà devant le tribunal correctionnel. Jean-Christophe Lagarde est convoqué ce lundi 3 octobre au tribunal judiciaire de Paris pour y être jugé pour «détournement de fonds publics». A ses côtés sur le banc des prévenus sera assise une femme : Monique Escolier-Lavail, l’une de ses anciennes assistantes parlementaires… mais aussi sa propre belle-mère. Elle est poursuivie pour «recel de détournement de fonds publics». Serait-ce le début de la fin d’un système dont celui qui est toujours président de l’UDI, parfois surnommé comme le «Balkany du 93», était l’épicentre – un système bâti et entretenu dans un chapelet de villes de cette Seine-Saint-Denis arrachée à la gauche, de Drancy à Bobigny ?
Cette affaire, audiencée à l’issue d’une enquête préliminaire menée par le Parquet national financier (PNF), n’est pas le dossier du siècle, mais elle relève du symbole : il s’agit du premier procès visant l’ancien député, une procédure qui pourrait être suivie par d’autres, peut-être plus lourdes d’enjeux financiers. Le PNF dirige encore deux autres enquêtes préliminaires susceptibles de le viser : l’une concerne la gestion de la commune de Bobigny (alors dirigée par des proches de Lagarde), suite à un rapport de la Chambre régionale des comptes, et l’autre se penche sur d’éventuels détournements de fonds au sein de l’Office HLM de la même localité. Jean-Christophe Lagarde pourrait également être suspecté d’être intervenu – mais il n’est pas mis en examen à ce stade – dans la publication dans le Point de fausses informations mettant en cause le couple Raquel Garrido-Alexis Corbière. Sollicité, son avocat, Yvon Goutal, n’a pas souhaité répondre à Libé.
Une assistante jamais présente à Paris
A l’origine du dossier jugé lundi, c’est un opposant local, Hacène Chibane, qui saisit la justice en 2017, après l’accession d’Aude Lagarde, sa femme, au fauteuil de maire de Drancy. Dans sa plainte, il s’interroge alors sur les activités et les nombreux mandats de la nouvelle maire, qui fut une vraie cumularde : longtemps assistante parlementaire (de 2002 à 2014) de son mari, elle a également rempli les fonctions d’adjointe au maire, de conseillère régionale puis départementale, tout en étant un temps vice-présidente de l’agglomération Drancy-Le Bourget-Dugny – ces titres se cumulant, se chevauchant ou se succédant. Deux autres assistants parlementaires du député Lagarde étaient également visés dans la plainte.
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L’enquête menée par la police sous la houlette du PNF s’est intéressée aux 18 assistants qui se sont succédé au fil des ans à ses côtés à l’Assemblée, et c’est pour un cas distinct de ceux dénoncés par l’opposant qu’il est finalement poursuivi en justice. Après avoir épluché les situations de chacun et la réalité des fonctions exercées, les enquêteurs ont découvert que Monique Escolier-Lavail, la mère d’Aude Lagarde, avait été employée entre avril 2009 et août 2010 par l’Assemblée. Ils acquièrent la certitude qu’habitant dans l’Aude (Tarn), l’intéressée ne se rendait jamais à Paris, et n’avait aucun contact avec le reste de l’équipe à l’Assemblée.
Surtout, l’enquête n’a semble-t-il pas trouvé trace d’un quelconque travail. Cheffe d’entreprise retraitée, la dame était, selon nos informations, chargée de rédiger, pour le compte de son gendre de député, un livre sur les difficultés administratives et fiscales des patrons de PME, et devait effectuer des recherches en source ouverte sur le sujet. En contrepartie, elle a reçu un salaire de 2 000 euros brut par mois, soit quelque 1 800 euros net. En tout, c’est environ 40 000 euros qui lui ont été versés par l’Assemblée nationale. De l’argent public.
Ordinateur frappé par la foudre
Le fameux livre semble ne plus exister à ce stade, s’il a seulement été matérialisé un jour. Aucun document n’a été déniché en perquisition, en février 2019, autant sous forme de papier que dans les ordinateurs ou que dans les autres supports informatiques saisis par les policiers. Les policiers n’ont pas retrouvé non plus d’échanges entre l’équipe du député et un éventuel éditeur, qui auraient pu attester de l’existence de ce projet. Monique Escolier-Lavail a assuré qu’elle en avait détenu une copie de travail dans son ordinateur, mais celui-ci a été frappé par la foudre quelques années plus tard, anéantissant ainsi le fruit d’un labeur de quelque quinze mois… Quant à Lagarde, il n’en disposait aucun double au moment de l’enquête. Il assure avoir eu en mains dans le passé une copie du manuscrit, mais il l’aurait jetée depuis.
L’enquête préliminaire, dont le contenu a été remis à la défense au printemps 2021, a en tout cas écarté les soupçons d’emploi fictif qui pesaient sur Aude Lagarde ainsi que sur une autre assistante de l’ancien député, qui avait à trois ou quatre reprises servi de nounou aux enfants du couple et était suspectée d’être rémunérée sur fonds publics pour servir uniquement de garde d’enfants. Cette dernière était, ont estimé les policiers, une vraie collaboratrice parlementaire.
L’Assemblée nationale, qui a reçu un «avis à victime» émis par le PNF, s’est portée partie civile, confirme à Libé son avocat Yves Claisse. Et à côté de la bataille judiciaire, où il risque dix ans d’emprisonnement tout de même, Jean-Christophe Lagarde est confronté à la justice administrative : le tribunal administratif de Montreuil a annulé il y a quelques semaines son élection comme adjoint au conseil municipal de Drancy. Le «Balkany du 93» semble perdre de sa superbe.