La guerre éclate en Ukraine et la gauche règle ses comptes en France, ne perdant jamais une occasion de faire la démonstration de sa division. Qu’il s’agisse de la manifestation d’un syndicat de police, du débat sur le nucléaire ou de la laïcité, la règle est la même : on creuse des tranchées entre les familles politiques. L’attaque de Poutine a une nouvelle fois déplié le nuancier de positions à gauche. Premier regard sur la situation ? Les positions se ressemblent. Tous les candidats à la présidentielle dénoncent la guerre contre l’Ukraine.
Le communiste Fabien Roussel ? «Nous condamnons cette grave décision dont les conséquences peuvent être incontrôlables.» La socialiste Anne Hidalgo ? «Nous devons agir fermement devant cet acte injustifié et criminel.» L’insoumis Jean-Luc Mélenchon ? «La Russie agresse l’Ukraine. Une initiative de pure violence manifestant une volonté de puissance sans mesure.» L’écologiste Yannick Jadot ? «Une agression sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale contre un pays européen, contre une démocratie.» L’ancienne garde des Sceaux Christiane Taubira ? «Ce n’est plus une agression, une attaque, une violation de frontières, c’est la guerre.»
Réactions
La divergence est ailleurs. Mardi soir, alors que l’offensive russe se faisait sentir, le candidat d’Europe Ecologie-Les Verts (EE-LV) participait à un rassemblement «en solidarité avec le peuple ukrainien» devant l’ambassade de Russie à Paris. Un classique. Les Verts ont toujours été opposés à l’autoritarisme de Vladimir Poutine. Il y avait un ou deux socialistes à leurs côtés. Mais pas un seul insoumis ou communiste à l’horizon. Sandra Regol, secrétaire nationale adjointe d’EE-LV, explique : «C’est un désaccord profond et ancien qu’on a avec Jean-Luc Mélenchon mais on ne le surjoue pas. C’est à notre corps défendant, on préférerait qu’il vienne vers nos positions.»
Mélenchon se réaligne
Jean-Luc Mélenchon revient souvent dans les discussions. Logique : il répète depuis des années que les Etats-Unis et l’Otan mettent la pression sur la Russie. Une position qui lui a valu des critiques en provenance de la gauche socialiste et écologiste mais aussi du gouvernement. L’entrée en guerre de Vladimir Poutine a bousculé les choses. Désormais, Jean-Luc Mélenchon pointe du doigt le Russe comme les autres. Jean-Luc Mélenchon regarde souvent en arrière pour parler du présent. Aujourd’hui, «l’histoire du Vieux Continent bascule» à cause de la Russie, qui prend la «responsabilité d’un recul terrible de l’histoire» en créant le danger immédiat d’un conflit «généralisé qui menace toute l’humanité», écrit-il dans un communiqué.
Certains applaudissent ses paroles ; d’autres lui rappellent ses mots dans le passé. C’est le cas de la candidate socialiste. Lors d’une conférence de presse, Anne Hidalgo a déclaré : «Certains oublient de condamner l’agression de Vladimir Poutine et lui trouvent des excuses. Le Pen, Zemmour, Mélenchon, renversent les rôles. Il faut dénoncer ces discours qui n’ont que pour but de transformer des agresseurs en agressés.» Le député, ex-LREM, Aurélien Taché, qui soutient le candidat écologiste, a peu goûté l’attaque : «Mettre Jean-Luc Mélenchon sur le même plan que Zemmour et Le Pen est indigne. L’un est motivé par des considérations géopolitiques, les autres par des convergences idéologiques.»
Retournement
La réelle différence entre les gauches ? Elles ne lisent pas le monde de la même manière. Jean-Luc Mélenchon défend le «non-alignement» de la France. Il déplore la «toute puissance» américaine et par extension la participation de la France à l’Otan, qu’il considère comme un outil au service des Etats-Unis. Une approche qui ressemble à celle du candidat communiste, Fabien Roussel, qui parle de «la responsabilité collective de tous ceux qui ont nourri le feu de la confrontation aux portes de la Russie en laissant entendre que l’Ukraine pouvait intégrer l’Otan», tout en affirmant que «le président russe s’enfonce dans l’ultranationalisme». A l’inverse, pas question pour les écologistes et les socialistes de sortir de l’Otan ou de rompre avec les Etats-Unis.
Fermeté et pacifisme
De cette différence de lecture découle un choix : agir ou pas. Pour Anne Hidalgo et Yannick Jadot, il faut une réaction ferme. «Notre fermeté́ et notre solidarité́ doivent immédiatement se traduire par des livraisons d’armes pour que les Ukrainiens puissent se défendre et par des sanctions d’une ampleur exceptionnelle contre Poutine et ses complices, en les bannissant de la communauté́ internationale», préconise ainsi l’écologiste. De l’autre côté, Fabien Roussel juge que «la France ne peut pas prendre part à ce conflit, ni directement, ni indirectement par l’intermédiaire de livraisons d’armes».
Projection
Pareil pour Jean-Luc Mélenchon qui ajoute : «Il faut obtenir un cessez-le-feu, demander le retrait des troupes russes et entamer une discussion autour des conditions de sécurité des Russes et les nôtres.» Interrogé sur les divergences à gauche, un écologiste se lamentait en ne lâchant pas du regard le scrutin à venir : «Je ne sais pas si ça va avoir un effet dans le débat de la campagne. La politique étrangère est rarement un sujet et, de toute façon, en ce moment, les gens se foutent de tout.» Vraiment ? Même lorsque la guerre est au pied de la porte ?