Ce qu’il y a de bien avec les règles écrites, c’est qu’elles fixent un cadre commun pour vivre en société. Notre Constitution, nos lois, les différents règlements… Ce qu’il y a de bien, aussi, avec les règles non écrites, en particulier en politique, c’est qu’elles créent de la confiance. Or, en matière d’exemplarité, on a du mal à s’y retrouver avec Emmanuel Macron. «Y’a pas une règle qui pourrait convenir à chaque spécificité de ces cas, a ramé mardi matin sur France 2 la nouvelle porte-parole du gouvernement, Olivia Grégoire, tentant d’expliquer le maintien de Damien Abad au gouvernement malgré des accusations de viols présumés, par deux femmes. Ce sont des situations différentes, les raisons pour lesquelles la justice a été saisie sont différentes et donc y’a pas une règle du jeu, qui plus est ça n’est pas un jeu.»
C’est vrai que, en la matière, les règles ont beaucoup bougé avec l’arrivée de Macron à l’Elysée. Depuis les gouvernements de Pierre Bérégovoy et celui d’Edouard Balladur, la pratique voulait qu’un ministre mis en examen démissionne. Les raisons étaient plutôt saines : le gouvernement se protégeait là d’éventuelles accusations de «protection» de l’un des siens, voire de «collusion» avec le ministre de la Justice qui a autorité sur le parquet ; le ou la ministre concernée pouvait se consacrer à sa défense.
Règle bien plus laxiste
Le chef de l’Etat a commencé son premier quinquennat avec un degré d’exemplarité élevé. Dès le départ, il a choisi en 2017 d’écarter plusieurs ministres – et non des moindres – avant même une mise en examen : les Modem François Bayrou, Sylvie Goulard et Marielle de Sarnez avaient quitté leurs fonctions alors qu’ils étaient visés par une simple enquête judiciaire ouverte contre leur parti dans l’affaire des assistants parlementaires au Parlement européen. Sous la pression médiatique, le ministre de la Transition écologique, François de Rugy, avait, lui, été lâché en juillet 2019 après des révélations sur des dîners lorsqu’il était président de l’Assemblée, avec des homards au menu. La justice n’y a jamais rien trouvé à redire. Mais la France, à l’époque, est secouée par le mouvement des gilets jaunes. L’exemplarité est indispensable pour renouer la confiance profondément entamée avec les classes moyennes et populaires.
Interview
Après De Rugy, Macron a pourtant fixé une règle bien plus laxiste : un ministre ne démissionne que s’il est «condamné» par la justice. «Ça n’est pas à un gouvernement de condamner à la place de la justice», a ainsi répété ce mardi matin Olivia Grégoire. Pourquoi cette «jurisprudence Macron» ? Parce que les enquêtes et les mises en examen se sont accumulées, certes sur des plans différents : Olivier Dussopt, visé par une enquête du Parquet national financier (PNF) pour «prise illégale d’intérêts» et «corruption» pour une histoire de lithographies offertes par un opérateur d’eau avant d’obtenir un contrat avec sa commune ; Gérald Darmanin accusé de viol (le parquet a requis un non-lieu en janvier) ; Sébastien Lecornu, lui aussi visé par le PNF pour prise illégale d’intérêts présumée lorsqu’il était président du conseil départemental de l’Eure ; Olivier Véran, qui fait l’objet d’une instruction menée par la cour de justice de la République pour les décisions prises durant la crise Covid ; Eric Dupond-Moretti mis en examen pour «prise illégale d’intérêts» pour avoir, selon les plaintes déposées contre lui par l’Union syndicale des magistrats, le syndicat de la magistrature et l’association Anticor, profité de sa situation de ministre pour régler certains comptes contre des magistrats avec lesquels il avait eu des contentieux en tant qu’avocat. Ces cinq ministres ont été reconduits dans le gouvernement Borne. Les deux premiers ont même été promus au Travail et aux Armées. Darmanin est toujours le patron des policiers et Dupond-Moretti, celui des procureurs.
Comme un boulet
Le seul à avoir dû démissionner depuis la mise en place tacite de cette «jurisprudence Macron» est Alain Griset, ministre des petites entreprises sous le gouvernement Castex, condamné en décembre à six mois de prison avec sursis pour avoir omis de déclarer plus de 170 000 euros de participations financières dans sa déclaration d’intérêt.
Alors oui, Damien Abad n’est pas mis en examen. Il a droit à la présomption d’innocence. Aucune enquête n’a, pour l’instant, été ouverte contre lui et il rappelle qu’une plainte a été retirée en 2012 et qu’une autre a été classée sans suite en 2017 pour des faits qui remontent à 2010 et 2011. Mais nous sommes, là, non pas sur un terrain uniquement juridique, mais surtout politique. Son maintien au gouvernement plombe d’emblée l’action de la Première ministre, Elisabeth Borne, obligée de se traîner cette histoire comme un boulet dès sa première semaine à Matignon. Elle qui a rendu hommage aux «petites filles» lors de la passation avec Jean Castex, qui souhaitait mettre en avant l’insertion des femmes dans le monde du travail dès son premier déplacement, la nomination de femmes à des postes clés (Affaires étrangères, Santé, Transition écologique et énergétique…) doit composer avec le risque de nouvelles révélations sur un homme accusé de viol, ex-LR qui n’apporte aucun «plus» à la macronie.
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A moins que la nouvelle cheffe du gouvernement en profite pour changer les règles de Macron: «Je peux vous assurer que s’il y a des nouveaux éléments, si la justice est à nouveau saisie, on tirera toutes les conséquences de sa décision», a-t-elle déclaré dimanche, au lendemain des révélations de Mediapart, préparant, là, tous les ingrédients pour une toute nouvelle «jurisprudence Borne».