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La «préférence nationale», une vieille idée

Le Pen-Zemmour : la course de Front à la Présidentielledossier
Aujourd’hui brandies par l’extrême droite, du Rassemblement national à Eric Zemmour, ces théories, dont le but serait de privilégier les nationaux aux étrangers, ont traversé tous les courants politiques depuis la IIIe République.
Jean-Marie Le Pen, en janvier 1987. (MICHEL CLEMENT/AFP)
publié le 16 décembre 2021 à 15h55

Les temps de crise suscitent des réponses qui se veulent simples, claires comme de l’eau de roche. Après le premier choc pétrolier en 1973, le chômage de masse commence à s’installer en France. Entre 1974 et 1976, le nombre de demandeurs d’emploi dépasse le million. A la veille des législatives de mars 1978, une affiche fleurit sur les murs des villes : «Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop ! La France et les Français d’abord !» Editée par le Front national de Jean-Marie Le Pen, elle connaît un franc succès. Les fédérations frontistes en commandent au siège à tour de bras.

Effet de contagion à gauche

Surtout cette affiche marque l’irruption dans le discours lepéniste d’une idée clé du programme frontiste, celle de «préférence nationale». Une mesure qui vise à réserver les emplois aux nationaux mais également les prestations sociales ou encore l’attribution des logements sociaux. Jean-Marie Le Pen résumera lui-même ce qui allait s’imposer comme la thématique phare des campagnes du FN par cette formule restée célèbre : «Je préfère mes filles à mes nièces, mes nièces à mes cousines, mes cousines à mes voisines, mes voisines à des inconnus.» Ripolinée en «priorité nationale» par le Rassemblement national de Marine Le Pen ou rebaptisée «solidarité nationale» dans sa version zemmourienne, cette notion est appelée à connaître un certain succès pendant la prochaine campagne présidentielle.

Même la gauche, par effet de contagion, n’a pas été insensible à cette équation entre immigration et chômage. Dans les années 80, le secrétaire général du PCF, Georges Marchais, déclarait qu’en raison «de la présence en France de près de quatre millions et demi de travailleurs immigrés et de membres de leurs familles, la poursuite de l’immigration pose aujourd’hui de graves problèmes. Il faut stopper l’immigration officielle et clandestine. Il faut arrêter l’immigration, sous peine de jeter de nouveaux travailleurs au chômage». Il pointait également du doigt une immigration qui empêchait les familles françaises d’avoir accès aux HLM et pesait d’un poids trop élevé sur le budget des communes les plus populaires. A la même époque, en décembre 1980, le maire communiste de Vitry-sur-Seine, fait détruire à coups de bulldozers un foyer de travailleurs immigrés avant de les déclarer «persona non grata» sur le territoire de la commune.

«Métèques» italiens, juifs et espagnols

L’idée n’est pas neuve. Suite au krach de Wall Street en 1929, la France entre à son tour dans la crise en 1930. Entre 1931 et 1932, le chômage explose. il passe de 2 % à 15 % des travailleurs du secteur industriel. La pression sociale s’accentue. Les ligues d’extrême droite déjà très active s’en prennent à ces étrangers qui «viennent manger le pain des Français». Sont particulièrement visés ceux qu’ils désignent comme des «métèques» italiens, juifs ou espagnols. Ils constituent alors le gros de la main-d’œuvre étrangère en France.

Le 10 août 1932 paraît au Journal officiel la loi de «protection de la main-d’œuvre nationale en temps de crise». Promulguée sous le gouvernement d’Edouard Herriot par un ministre du Travail, Albert Dalimier, membre du Parti républicain, radical et radical-socialiste, elle a d’abord été élaborée sous la présidence du Conseil de Pierre Laval, alors adhérent à la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO) avant de finir comme chef du gouvernement du régime de Vichy. Et défendue devant les députés par le ministre du Travail, Adolphe Landry, économiste de formation, proche du socialisme éthique et également rad-soc. La loi n’est pas franchement d’inspiration de droite. Elle fut votée à une large majorité. Une partie de socialistes et l’ensemble des communistes ont toutefois choisi de s’abstenir.

«Proportion de travailleurs étrangers»

Cette loi protectionniste prévoit notamment que dans les services publics concédés, là où l’Etat et les collectivités territoriales sont les donneurs d’ordre mais font exécuter les tâches par des entreprises, la proportion de travailleurs étrangers ne pourra y dépasser les 5 %.

L’article 2 stipule qu’en ce qui concerne «les entreprises, privées, industrielles ou commerciales, des décrets pourront fixer la proportion de travailleurs étrangers qui pourront y être employés». Les premiers décrets imposant des maxima dans certaines branches paraissent dès le printemps 1933. Le premier secteur touché est celui de la culture, musiciens, techniciens et artistes de spectacle. Une réaction face à au grand nombre d’artistes d’origine juive, dénoncée par l’extrême droite, et qui viendrait menacer la culture française. Protection nationale ou préférence nationale peuvent vite virer à l’épuration…