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Non-renouvellement de l’agrément d’Anticor : «Nos actions contre la corruption agacent profondément le gouvernement»

L’association anticorruption espérait le renouvellement de son agrément, qui lui permet notamment de se porter partie civile, depuis son retrait au mois de juin. Le ministère des Affaires étrangères, chargé du dossier, n’a pas exaucé son vœu.
Le dossier d'Anticor a atterri entre les mains de Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, ici le 22 novembre à Paris. (Andrea Savorani Neri /NurPhoto. AFP)
publié le 27 décembre 2023 à 8h45
(mis à jour le 27 décembre 2023 à 12h22)

C’est un «cadeau de Noël pour les corrupteurs», se désole l’avocat d’Anticor, Me Vincent Brengarth. L’association anticorruption attendait ces derniers jours une réponse à sa demande d’agrément, qui lui permet d’agir en justice dans les affaires de corruption et d’atteinte à la probité présumées, notamment en cas d’inaction du parquet. Mais l’absence de mention de cet agrément au Journal officiel avant la date butoir, à minuit dans la nuit de mardi à mercredi 27 décembre, équivaut à un rejet de la demande par le ministère des Affaires étrangères, chargé du dossier. Une «décision implicite de refus», comme le confirme à l’AFP une source au ministère. La ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, avait hérité du dossier après le déport d’Elisabeth Borne pour éviter tout conflit d’intérêts, celle-ci étant impliquée dans deux procédures avec Anticor.

«Cette décision ne nous surprend pas malheureusement, car nous sommes bien conscients que nos actions contre la corruption agacent profondément le gouvernement», a réagi Elise Van Beneden, présidente du bureau de l’ONG, auprès de l’AFP. Ce refus implicite «intervient après une instruction de six mois durant laquelle aucun dysfonctionnement ne nous a été reproché par le gouvernement et alors même que la Première ministre a considéré en octobre qu’Anticor remplissait toutes les conditions pour être agréée», a-t-elle ajouté. Elle annonce vouloir «contester cette décision devant la justice administrative», tout en étant «d’une certaine manière soulagée de pouvoir enfin démontrer que l’association remplit bien tous les critères pour être agréée, à l’abri des considérations politiques du gouvernement».

L’association qui lutte pour rétablir l’éthique dans le monde politique a été créée par le juge Eric Halphen et la militante Séverine Tessier en 2002, au lendemain d’une élection présidentielle marquée par une forte abstention et la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour. Elle est impliquée ces derniers temps dans plus de 160 procédures, dont l’attribution du Mondial de football au Qatar, l’enquête pour prise illégale d’intérêts visant le secrétaire général de l’Elysée, Alexis Kohler, ou encore celle contre le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, devant la Cour de justice de la République.

«La lutte contre la corruption doit être une priorité»

Depuis 2015, elle faisait partie des rares organisations (avec Transparency France et Sherpa) agréées par le ministère de la Justice pour se porter partie civile dans des dossiers de lutte contre de la corruption. Renouvelable tous les trois ans, cet agrément lui avait été de nouveau accordé en avril 2021, par le Premier ministre de l’époque, Jean Castex – déjà, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, avait dû se déporter pour éviter tout conflit d’intérêts. La décision favorable avait été précédée par de longues tergiversations, que l’organisation attribuait à ses plaintes contre plusieurs membres ou proches du gouvernement. Mais en juin, Anticor s’est vu retirer son agrément par le tribunal administratif de Paris.

La juridiction avait été saisie par deux membres dissidents de l’association. Ceux-ci estimaient la procédure de renouvellement de l’agrément irrégulière, et remettaient notamment en cause le «caractère désintéressé et indépendant» de l’association. Au centre de l’affaire surtout : le manque de transparence autour d’un don de 64 000 euros de l’homme d’affaires Hervé Vinciguerra, dont l’identité n’avait pas été dévoilée en interne. Après l’annulation de cet agrément, Anticor avait fait appel de cette décision auprès de la cour administrative d’appel de Paris, et déposé une nouvelle demande d’agrément auprès de Matignon. L’appel ayant confirmé, en novembre, l’annulation de l’agrément, Anticor espérait que Catherine Colonna aurait «à cœur de préserver l’action citoyenne contre la corruption car elle est essentielle», comme l’écrivait l’association sur X (ex-Twitter) lundi 25 décembre. C’est raté.

Plusieurs personnalités se sont émues de la décision, mercredi, sur X. «La France sombre en ne protégeant pas les associations qui agissent contre les délits de probité», écrit ainsi le député insoumis Ugo Bernalicis. Le socialiste Arthur Delaporte a, de son côté, interpellé la ministre Catherine Colonna : «Avez-vous une explication à donner à ce refus de renouvellement d’agrément ? La lutte contre la corruption doit être une priorité et, j’en suis sûr, vous en convenez. Il est donc urgent qu’Anticor puisse poursuivre son travail !» «La lutte contre la corruption doit constituer une priorité et nécessite une tolérance zéro, a appuyé François Molins, ancien procureur général près la Cour de cassation. Il serait plus sain pour notre démocratie que ce ne soit pas le gouvernement qui statue sur les demandes d’agrément mais une autorité administrative indépendante comme la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.»

Outre la perte de son droit d’agrément, Anticor fait face ces derniers mois à d’autres soucis internes : les dérives de plusieurs référents locaux de l’association, accusés d’abus de pouvoir pouvant aller jusqu’à la tentative de chantage.

Mise à jour à midi avec l’ajout de réactions politiques.