L’Assemblée nationale a approuvé ce lundi 2 juin une proposition de loi de Gabriel Attal «élevant Alfred Dreyfus au rang de général de brigade», un «acte de réparation» visant à parachever sa réhabilitation, 130 ans après sa condamnation. Le texte a été adopté à l’unanimité en première lecture à l’unanimité, comme la semaine dernière en commission de la Défense.
«Promouvoir aujourd’hui Alfred Dreyfus au rang de général de brigade constituerait un acte de réparation, une reconnaissance de ses mérites et un hommage rendu à son engagement républicain», souligne le député des Hauts-de-Seine et président de Renaissance dans l’exposé des motifs du texte. Et ce dans un contexte où «l’antisémitisme qui frappa Alfred Dreyfus n’appartient pas à un passé révolu», et où la «République doit sans cesse réaffirmer sa vigilance, sa fermeté, son engagement absolu contre toutes les formes de discrimination», relève-t-il.
Une revalorisation déjà demandée par Dreyfus
En 1894, le capitaine Alfred Dreyfus est condamné pour trahison et contraint à l’exil sur l’île du Diable en Guyane, sur la base de fausses accusations alimentées par un antisémitisme très ancré dans la société française de la fin du XIXe siècle. En 1906, un arrêt de la Cour de cassation l’innocente, entraînant de fait sa réintégration dans l’armée. Dans la foulée, une loi le nomme chef d’escadron (commandant), avec effet le jour de la promulgation de la loi.
Une «injustice» car «la réintroduction du capitaine Dreyfus au grade de chef d’escadron ne correspond pas à une reconstitution de carrière complète», souligne le rapporteur de la proposition de loi, le député du Bas-Rhin Charles Sitzenstuhl (Renaissance). Alfred Dreyfus demandera lui-même à voir sa carrière revalorisée, sans obtenir gain de cause, et quittera l’armée en 1907 − avant de servir à nouveau pendant la Grande Guerre.
Un hommage national en 2006
La question de la réhabilitation pleine et entière d’Alfred Dreyfus «a été longtemps occultée et ignorée, en dehors de sa famille et des spécialistes de l’Affaire», note Charles Sitzenstuhl. Un pas est franchi en 2006, lors d’un hommage de la nation en son honneur : le président Chirac reconnaît alors que «justice [ne lui] a pas complètement été rendue», et qu’il n’a pu «[bénéficier] de la reconstitution de carrière à laquelle il avait pourtant droit». La ministre des Armées Florence Parly l’évoque à son tour en 2019. Deux ans plus tard, Emmanuel Macron estime qu’il revient «sans doute à l’institution militaire, dans un dialogue avec les représentants du peuple français», de nommer Dreyfus général à titre posthume.
Plusieurs initiatives parlementaires ont également été prises ces dernières années, par la droite à l’Assemblée et au Sénat, et plus récemment par le sénateur PS Patrick Kanner, en écho à une tribune mi-avril du premier président de la Cour des comptes Pierre Moscovici, de l’ex-secrétaire général de l’Elysée Frédéric Salat-Baroux et du président de la maison Zola-Musée Dreyfus Louis Gauthier. Son petit-fils, Charles Dreyfus, a fait aussi de sa vie un combat pour la mémoire de son aïeul.
Unanimité en commission
Mercredi dernier en commission, tous les orateurs des groupes ont joint leur voix pour soutenir la mesure. «Dans un contexte de montée de l’antisémitisme, cette réparation posthume rappelle à toute la nation l’urgence de la défense de ses principes et l’importance de son unité», a plaidé le député RN Thierry Tesson, dont le parti n’a de cesse de donner des gages de son engagement contre l’antisémitisme. Le député LFI Gabriel Amard a de son côté fustigé le «double discours du RN», où «les propos et comportements antisémites foisonnent encore» selon lui. «C’est dans ma famille que l’on descend des dreyfusards, pas dans la vôtre», a-t-il lancé, en invitant à ne pas utiliser la lutte contre l’antisémitisme comme un «outil de disqualification» politique.
En conclusion des débats, Charles Sitzenstuhl s’est déclaré favorable à titre personnel à l’entrée au Panthéon d’Alfred Dreyfus, estimant que le vote de la proposition de loi «[renforcerait] la dynamique» en ce sens. Interrogé sur cette hypothèse, l’entourage du président de la République a affirmé dimanche que sa «préoccupation» était «à ce stade, de faire vivre les valeurs du dreyfusisme, combat toujours d’actualité pour la vérité et la justice, contre l’antisémitisme et l’arbitraire».
Mise à jour à 17 h 45 avec l’adoption du texte à l’unanimité.