La majorité n’aura ni la peau de l’anonymat en ligne, ni celle des VPN. Pour cette fois. En revanche, entre bannissement des cyberharceleurs par les réseaux sociaux et blocage des sites porno accessibles aux mineurs, elle fait bouger quelques lignes dans la régulation du cyberespace. Ce mardi 17 octobre, l’Assemblée nationale a voté en faveur du très controversé projet de loi de régulation de l’espace numérique (SREN) dont le parcours parlementaire n’est pas encore terminé. En dépit des critiques des oppositions, décriant un texte aussi inutile qu’irrespectueux de certaines libertés, voire carrément fourre-tout, la loi a été adoptée à 360 voix pour et 77 contre (124 abstentions) sur 561 votants.
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Cyberharcèlement, arnaques en ligne, protection des mineurs… Le texte brasse un spectre assez élargi de problématiques. Il donne notamment la possibilité à une autorité administrative de bloquer les sites pornographiques n’empêchant pas les mineurs d’accéder à leur contenu ; donne des devoirs de modération aux grandes plateformes de réseaux, sous peine de sanctions pécuniaires ; crée une peine de bannissement des réseaux sociaux pour les cyberharceleurs, y compris pour des provocations à commettre certains délits ; et instaure la possibilité de punir d’une amende les outrages sexistes et sexuels sur internet.
Farandole d’inquiétudes
Surtout, pour la plupart de ses mesures, le projet de loi suscite de fortes inquiétudes quant à la protection des libertés publiques du côté du RN, de la France insoumise mais aussi de certains parlementaires de la majorité. Là où LR et PS, eux, se montrent plutôt satisfaits des discussions. «Il y a eu un taux record d’amendements retenus», se félicite le socialiste Hervé Saulignac. Quelques heures avant le vote, la France insoumise restait quant à elle arrimée à une opposition résolue. «On votera contre. L’équilibre n’a pas été trouvé. Je pense qu’il y a matière à passer des heures à préparer le recours au Conseil constitutionnel», anticipait la députée Ségolène Amiot.
Pour rappel, la farandole d’inquiétudes avait culminé lorsque le rapporteur général du texte, Paul Midy (Renaissance), avait saisi l’occasion pour porter des amendements visant à faire reculer l’anonymat sur Internet. «Oui au pseudonymat, non à l’anonymat», martelait-il en défendant un principe de «plaque d’immatriculation» des Français sur les réseaux. Concrètement, pour créer un compte sur un réseau social, les Français auraient dû passer par l’application «France Identité». De même lors de l’apparition d’un autre amendement visant lui à «interdire à tout utilisateur d’un réseau social de publier, commenter ou interagir en utilisant un réseau privé virtuel». Autrement dit, un VPN, ces logiciels créant un lien direct entre deux ordinateurs distants afin de sécuriser des connexions. Vivement critiquées, ces deux propositions ont fini par être retirées.
Quid de l’UE ?
Le texte voté propose aussi de réglementer le cloud pour permettre davantage de concurrence parmi les fournisseurs d’infrastructure et de services informatiques, ou d’encadrer le lancement à titre expérimental de «Jeux à objets numériques monétisables» (Jonum), à la frontière entre jeux vidéo et jeux d’argent. Enième mesure polémique du texte que plusieurs députés espèrent voir censurée par le Conseil constitutionnel, pointant une rupture d’égalité avec les casinos en ligne. «Le texte régularise une pratique pour laquelle on sait qu’il y a un risque d’addiction énorme», s’alarme par exemple Hervé Saulignac.
Autre point sur lequel des députés souhaitent voir le projet de loi évoluer : celui de la protection des données numériques stratégiques et sensibles.
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Prochaine étape du parcours législatif : une commission mixte paritaire, dont on ignore encore la date. Plusieurs élus aimeraient que les sénateurs durcissent le texte dans une mouture plus proche de celle qu’ils avaient eux-mêmes adoptée, lorsqu’ils tenteront de s’accorder sur une version commune avec les députés.
A voir donc quelles modifications ces ultimes tractations apporteront au texte déjà bien ballotté. Et surtout, quelle réaction l’Union européenne (UE) aura à son égard. Les initiatives du gouvernement sont sous surveillance de la Commission européenne, qui a mis en garde mi-août la France sur la conformité au droit communautaire de deux initiatives législatives récentes, celle concernant les influenceurs et celle visant à instaurer une majorité numérique. Prenant appui sur les règlements européens sur les services numériques et les marchés numériques (DSA et DMA), le projet de loi SREN a pour «fil rouge» la «protection des citoyens, des enfants et des entreprises», avait expliqué le ministre délégué chargé du numérique Jean-Noël Barrot en ouvrant les débats. Reste à savoir si Thierry Breton sera de cet avis.