Il a coiffé au poteau les maires de Washington, de Mexico, de Melbourne, de Bogota… Philippe Rio, 47 ans, vient d’être élu meilleur maire du monde. Une performance forcément exceptionnelle pour ce communiste qui dirige Grigny, ville populaire d’Essonne, depuis 2012. Grigny est classée comme la commune la plus pauvre de France par l’Observatoire des inégalités.
Philippe Rio est récompensé pour son action dans «la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale», pour son volontarisme en matière «d’éducation et de culture», et pour son investissement dans «les énergies renouvelables», explique la City Mayors Foundation, un groupe de réflexion international sur la gouvernance à l’échelle des villes, qui remet cette distinction tous les deux ans.
Le maire PCF est aussi salué pour le travail qu’il a accompli pendant la crise sanitaire : des distributions de colis alimentaires et d’ordinateurs aux élèves qui en avaient besoin ont été organisées. Récemment, la commune a mis en place 21 mesures sociales, dont la gratuité des petits-déjeuners dans les écoles maternelles, beaucoup d’élèves se rendant en classe le ventre vide. Ian Brossat, porte-parole du PCF et adjoint de la maire de Paris Anne Hidalgo, ne tarit pas d’éloges à l’égard de son camarade : «Philippe incarne le meilleur du communisme municipal. Il a des valeurs très fortes et le souci de les ancrer dans le réel. Il contribue réellement à changer la vie des gens.»
«Une grande fierté pour les quartiers populaires»
S’il a le sourire face à cette récompense purement honorifique, Philippe Rio garde les pieds sur terre. «Il faut rester humble. La situation de la ville est très compliquée. On prend cette distinction comme une friandise qui récompense notre travail et forcément, ça donne la pêche pour relever tous les défis qui se posent à nous», explique l’édile à Libération. Chômage, misère, violences : la ville de 30 000 habitants concentre les difficultés. Certains quartiers sont parfois la cible de mortiers d’artifice, encore récemment, au début du mois.
Mais pour le maire, pas question de baisser les bras. «On me dit souvent que je suis fou d’être maire de cette ville. Une image négative nous colle à la peau. On est les boucs émissaires d’un débat politicien qui voudrait mettre de côté les habitants des quartiers populaires», déclare Philippe Rio. Pour Ian Brossat, cette reconnaissance internationale est «une grande fierté pour les quartiers populaires, au-delà de Grigny, car cela permet d’en parler autrement que par le prisme des chaînes d’information en continu».
«Incompris, snobé, méprisé»
En 2015, le maire de Grigny remettait à François Hollande, alors président de la République, son Manifeste de la République pour tous, coécrit avec des élus et des habitants. L’aventure, lancée au lendemain des attentats terroristes, ambitionnait de «faire revenir la République dans les quartiers populaires». Une aspiration toujours vraie en 2021. «Nous avions dit au chef de l’Etat qu’il fallait nous écouter, nous, élus locaux, de différentes tendances politiques. Nous sommes les oubliés. Pourquoi on est toujours obligés de gueuler ?», s’exclame Rio. Il regrette que les élus des quartiers populaires soient «bien souvent incompris, parfois snobés et méprisés par les élites du pays». Les responsables politiques nationaux défilent pourtant à Grigny. En janvier 2021, c’était au tour du Premier ministre Jean Castex, accompagné d’une brochette de ministres, de s’y rendre pour présenter un grand plan pour les quartiers populaires.
Malgré la meilleure volonté du monde, l’élu communiste se heurte à une difficulté majeure : «Je ne peux pas changer la ville du jour au lendemain». Il y a trop à faire. Alors, par où commencer ? «Lutter contre la pauvreté, ça veut dire investir dans la santé, dans l’éducation, dans l’emploi, dans l’habitat, dans la formation…», égrène-t-il. Son prix est un «coup de projecteur» sur sa commune qui «fait du bien» mais la lucidité prévaut : «On va continuer à manger des cailloux».