Aurélien Rousseau fait ses cartons. Cinq mois après avoir pris le relais de François Braun à la tête du ministère de la Santé, l’ancien directeur de cabinet d’Elisabeth Borne à Matignon met à exécution la menace brandie mardi 19 décembre au soir en cas d’adoption du projet de loi immigration par l’Assemblée nationale. «Cela touche aux murs porteurs», a-t-il confié au Monde, estimant qu’il lui était «cliniquement impossible d’expliquer ce texte». Il sera remplacé, «en intérim», par Agnès Firmin Le Bodo, actuellement chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé.
Depuis plusieurs semaines, Aurélien Rousseau bataillait pour dissuader l’exécutif d’accéder à la volonté des sénateurs LR de supprimer l’aide médicale d’Etat (AME), ouverte aux sans-papiers en situation irrégulière en simple aide médicale d’urgence. Question de conviction personnelle pour l’ex-collaborateur de Bertrand Delanoë, ancien maire PS de Paris. Façon aussi d’adresser un message de soutien à ces soignants qui ont fait savoir leur intention de «désobéir» et de «soigner gratuitement» les étrangers si l’AME venait à disparaître. Le ministre est conscient du danger sous-jacent : une suppression de l’AME pourrait mettre en surtension des services hospitaliers déjà sur la corde raide. «Si on renvoie tout sur l’hôpital, on va faire une erreur énorme», avait-il alerté.
Le retrait in extremis de la mesure du projet de loi ne l’avait que peu réconforté. Le courrier adressé le 18 décembre par Borne au président du Sénat, Gérard Larcher, ne laissait pas de place au doute : «J’ai demandé aux ministres concernés de préparer les évolutions réglementaires ou législatives qui permettront d’engager une réforme de l’AME», avait indiqué la Première ministre, promettant d’aboutir «en début d’année 2024». Pour Rousseau, la tempête restait donc à venir.
Dérapage des dépenses de santé
Le ministre a compris qu’il n’était pas si simple de faire entrer le système de santé dans «le temps des preuves», comme il l’avait promis lors de sa prise de fonction. Face au dérapage des dépenses de santé, l’Etat a modifié ses priorités : dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024, l’impératif de retour à l’équilibre des finances publiques a pris le pas sur la nécessité d’investir dans un système de santé éreinté par la crise Covid.
Interview
Au locataire de l’Avenue de Ségur d’avaler les couleuvres. D’abord, le doublement des franchises médicales sur les boîtes de médicaments et les consultations, voulu par Bercy. De cette mesure contraire au principe de solidarité, Rousseau ne veut pas. Néanmoins, après avoir obtenu que les plafonds annuels ne soient pas modifiés, il amorce un repli, faisant valoir mi-novembre que le reste à charge ne serait pour «les assurés sociaux en général» que de 17 euros. Sans s’y tromper : la polémique est à venir. D’ordre réglementaire, la mesure ne peut aboutir qu’au terme des discussions engagées par Bercy avec les acteurs de la santé. «Cela va prendre quatre à six mois», avait-il confié à Libération.
«En conflit de loyauté»
Privé de marges de manœuvre financière, Rousseau mise sur la communication pour réinsuffler la «confiance». Actée dans la foulée de son investiture, la pérennisation de la revalorisation des gardes de nuit des soignants devrait aider à recruter et sortir l’hôpital de la nasse. «On va rouvrir 3 000 à 4 000 lits d’ici la fin de l’année», s’emballe-t-il même le 29 novembre. Au grand désarroi de son cabinet, incapable de justifier un triplement des projections communiquées aux députés de la commission des affaires sociales. Las ! Pour réconforter des hospitaliers sous tension avec le retour des épidémies hivernales, l’ancien directeur de l’agence régionale de santé d’Ile-de-France n’a d’autre choix que l’effet de manche.
Devant l’ampleur du défi sanitaire, Rousseau a tenté le pas de côté. Très vite, la «prévention» devient sa «priorité». Mais là encore, les irritants s’accumulent : l’insuffisance des commandes de doses de Beyfortus entrave la campagne de vaccination des bébés contre la bronchiolite ; proposée à tous les élèves de 5e, la vaccination contre le papillomavirus n’atteint que 10 % de sa cible, loin de l’objectif de 30 %. Son programme national de lutte contre le tabagisme est éclipsé par les protestations des addictologues et des associations face au refus obstiné de l’Elysée d’accorder un soutien officiel au «Dry January»…
Etre condamné à l’impuissance est une chose. Devoir piétiner ses valeurs, une autre. «Rousseau est un haut fonctionnaire engagé qui n’a jamais eu pour ambition de faire une carrière politique, au contraire de Clément Beaune ou Gabriel Attal, commente un proche. Même s’il est en conflit de loyauté et que c’est difficile, il est libre.» De sauver l’honneur.
Mise à jour à 18 h 25 avec plus d’éléments sur le parcours d’Aurélien Rousseau.