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Privilèges or not privilèges

Le pass sanitaire sera bien appliqué à l’Assemblée... sauf pour entrer dans l’hémicycle

La pandémie de Covid-19 en Francedossier
Un amendement de députés LREM visant à instaurer le pass sanitaire au Palais Bourbon a été rejeté en commission. De quoi alimenter la suspicion et la colère des anti-pass.
Dans le Palais Bourbon. (Marc Chaumeil/Libération)
publié le 22 juillet 2021 à 12h36
(mis à jour le 22 juillet 2021 à 19h18)

Certains y voient un nouveau «deux poids deux mesures». D’autres rétorquent «constitutionnalité». Alors que la majorité peine à faire voter sereinement à l’Assemblée nationale le projet de loi prévoyant vaccination obligatoire des soignants et extension du pass sanitaire en France, La République en marche doit faire face à une nouvelle polémique. Depuis mercredi, pour entrer dans un musée ou un cinéma, on doit présenter son pass. Ce qui ne se fait pas sans réticences parfois. Et pour l’Assemblée nationale, où se côtoient chaque jour près de 1 351 fonctionnaires, 577 députés et plusieurs centaines de collaborateurs ? Une exemption pure et simple ?

Mercredi, une cinquantaine de parlementaires LREM, à l’initiative de la députée du Loiret Stéphanie Rist, déposaient un amendement, en commission, visant à instaurer un pass sanitaires pour les élus voulant entrer dans l’enceinte du Palais Bourbon. Les auteurs du texte rappelaient : «L’Assemblée nationale étant un lieu de brassage de centaines de personnes venant de régions différentes, c’est un lieu particulièrement sensible à la contamination.» Ils estimaient que l’accès à la chambre basse pouvait «également être subordonné à la présentation des documents […] sur décision du président de l’Assemblée». Au-delà de l’aspect sanitaire, se joue aussi une question d’exemplarité vis-à-vis des Français, les élus étant régulièrement taxés de privilégiés. Mais finalement, tard dans la nuit de mardi à mercredi, l’amendement est rejeté…

Problème de «constitutionnalité»

Il n’en fallait pas plus pour que les opposants au pass sanitaire s’emparent de l’information, accusant les députés de s’exonérer de l’effort collectif réclamé aux Français. Du côté de la présidence de l’Assemblée, on évoque alors un problème constitutionnel. Pour son président Richard Ferrand, la mise en place d’une telle mesure pourrait effectivement porter atteinte au principe de «libre exercice du mandat parlementaire» de députés qui, faute de vaccination à jour ou de test négatif, seraient alors empêcher d’accéder à l’hémicycle.

Apparemment désireux de couper l’herbe sous le pied des militants anti-pass qui continuent de se mobiliser, Ferrand publie alors un communiqué dans la foulée. Sauf qu’il est passablement flou. «Contrairement à des informations erronées qui circulent, la Présidence de l’Assemblée nationale rappelle que dès l’adoption de la loi relative à la gestion de la crise sanitaire, celle-ci sera évidemment appliquée à l’Assemblée nationale dans le respect des missions parlementaires», peut-on y lire.

On croit donc comprendre que le pass sanitaire s’appliquera à l’ensemble des fonctionnaires et aux parlementaires mais uniquement dans les lieux qui ne sont pas nécessaires à l’exécution de leur mandat. Comme la buvette, entre autres. Il ne sera, en revanche, pas réclamé pour accéder à l’hémicycle ou dans les salles des commissions. «Imaginez si certains députés sont empêchés de voter, cela pose un vrai problème démocratique», insiste un collaborateur de la majorité présidentielle.

Côté extrême droite, les attaques n’ont pas tardé. «Richard Ferrand a refusé le pass sanitaire pour accéder à l’Assemblée nationale. Eh oui, tout ça c’est pour les gueux !» a réagi le président des Patriotes, Florian Philippot, qui participe à toutes les manifestations contre la vaccination obligatoire et le pass depuis plusieurs jours. «Ferrand ne veut pas d’un pass sanitaire à l’Assemblée nationale, comme si les députés, en plus de leur immunité parlementaire, avaient une immunité sanitaire ! Avec Ferrand, le virus est populaire, pas parlementaire !» a de son côté réagi le député européen RN Gilbert Collard.

Jeudi après-midi, lors de l’examen du projet de loi dans l’hémicycle, plusieurs députés LREM ont retenté leur chance en déposant des amendements semblable à celui retoqué en commission. «Nous ne pouvons pas demander à nos concitoyens des choses que nous ne nous appliquerions pas en premier lieu a nous même» a déclaré la députée macroniste de Haute-Vienne Sophie Beaudoin-Hubière à l’origine d’un amendement prévoyant la mise en place d’un pass sanitaire pour le Parlement, les conseils régionaux et départementaux. «Si l’un d’entre nous était atteint du virus Ebola, quand j’entends M. le ministre, cela voudrait dire qu’on ne pourrait pas lui demander de ne pas venir» s’est de son côté, étonné le député de l’Indre François Jolivet. Comme en commission la veille, lesdits amendements ont tous été rejetés. «Nul ne peut empêcher, par exemple, un parlementaire de voter un budget, c’est le fondement même de cette fameuse immunité parlementaire […] le risque d’inconstitutionnalité est élevé» a rappelé le ministre de la Santé Olivier Véran reprenant l’argumentaire de Richard Ferrand. Le locataire de l’avenue de Ségur a tout de même reconnu que «dans l’absolu», l’idée d’instaurer un tel pass «ne le choque pas».

Mise à jour : ajout du dernier paragraphe sur les amendements déposés jeudi après-midi.