Après les excuses, la démission. Le président d’Ebra, plus grand groupe de presse régionale de France (qui couvre tout l’est du pays avec l’Est républicain, le Progrès ou les Dernières nouvelles d’Alsace), Philippe Carli, a présenté ce mardi 28 janvier sa démission des fonctions qu’il occupait depuis 2017. «Crédit mutuel Alliance fédérale prend acte de la démission de M. Philippe Carli», déclare dans un communiqué de presse la banque qui détient le groupe de médias, saluant une «décision responsable qui doit permettre aux rédactions du groupe Ebra de retrouver leur sérénité dans un contexte économique qui reste difficile pour le secteur».
Philippe Carli se trouvait dans la tourmente depuis plusieurs jours après que des dizaines de «likes» validant des comptes et des messages d’extrême droite avaient été exhumés sur le réseau social LinkedIn. Notamment une mention «j’aime» apposée à une publication d’un compte intitulé le «Renouveau patriote» annonçant la liste des personnalités d’extrême droite françaises présentes à l’investiture de Donald Trump à Washington lundi 20 janvier. Mediapart a ensuite révélé que Philippe Carli n’en était pas à son coup d’essai. En effet, comme l’a montré le site d’investigation, le dirigeant avait apposé un «like» sur de nombreuses autres publications émanant de comptes et personnalités d’extrême droite, comme l’eurodéputée Reconquête Sarah Knafo ou son collègue du RN Matthieu Valet, ancien policier.
Pratique «rapide» et «maladroite» des réseaux sociaux
Dans un communiqué le 23 janvier, le Syndicat national des journalistes (SNJ) avait révélé certains de ces «likes» LinkedIn. «Qu’un patron témoigne de ses opinions avec ses “likes”, sur un réseau social ouvert à la consultation publique de tous ses membres, pourquoi pas ?» écrivait le syndicat, mais en ajoutant qu’il était «bien plus problématique» qu’il le fasse «en tant que dirigeant du plus grand groupe de presse quotidienne régionale de France», dans la mesure «où sa notoriété et ses responsabilités engagent indéniablement les rédactions, dont les lignes éditoriales sont réputées être indépendantes et apolitiques». Philippe Carli avait fini par reconnaître dimanche une pratique «rapide» et «maladroite» des réseaux sociaux. Il avait d’abord affirmé que son compte LinkedIn était géré par une autre personne, avant de finalement changer de version. «Ce n’est pas ce que je suis en tant qu’homme et dirigeant d’un groupe de presse indépendant», avait-il ajouté.
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Pas suffisant pour les syndicats du groupe de presse : lundi, la CGT a réclamé le départ du président d’Ebra. «Nous, élus Filpac-CGT, condamnons fermement la proximité affichée de Philippe Carli avec des figures d’extrême droite et demandons à notre actionnaire, le Crédit mutuel, banque mutualiste, dont les valeurs sont la liberté, la solidarité, la démocratie et l’indépendance, d’en tirer toutes les conséquences», indique le communiqué syndical. Avant d’obtenir, donc, gain de cause ce mardi. Contacté, Eric Barbier, délégué syndical SNJ de l’Est républicain, estime que la démission était devenue inévitable : «La situation l’imposait. Il fallait qu’une décision soit prise, cette affaire affectait directement l’intégrité des lignes éditoriales de nos titres. On ne peut pas demander une impartialité à ses journalistes et afficher autant ses idées politiques avec son compte professionnel de patron de presse.»
Un nouveau plan d’économies en préparation
Philippe Carli a pris la parole dans un communiqué ce mardi, sans faire mention de l’affaires des likes Linkedin. Il explique ainsi avoir démissionné «dans l’intérêt du groupe Ebra» : «Le groupe a aujourd’hui besoin d’une nouvelle impulsion pour accompagner les évolutions à venir et répondre aux mutations du secteur», écrit-il. Arrivé il y a sept ans à la direction d’Ebra, en provenance du groupe Amaury (l’Equipe, le Parisien), Philippe Carli, ingénieur de formation et ancien PDG de Siemens France, avait mené une profonde transformation des neuf journaux régionaux en engageant le départ de plusieurs centaines de salariés, pour imposer une nouvelle stratégie numérique. En 2022, Ebra avait aussi racheté le groupe Humanoïd, qui détient les sites Numérama et Madmoizelle. Les derniers résultats de l’entreprise semblaient plus que mitigés, le groupe affichant des ventes de journaux en recul de 8 % et un déficit de 17 millions d’euros sur l’année 2023, pour un chiffre d’affaires aux alentours des 500 millions d’euros. Un nouveau plan d’économies était en préparation et devait être présenté en mars par Philippe Carli.
Cette affaire de likes a-t-elle précipité une situation déjà rendue fragile par ces mauvais résultats économiques ? Le Crédit mutuel, dans son communiqué, a tenu à réaffirmer son «attachement aux principes éditoriaux formulés par les rédactions et la direction du groupe Ebra autour de la défense de la vérité des faits, de l’indépendance et du refus de toute pression éditoriale, ainsi que son choix d’assurer le pluralisme des opinions et des points de vue, et enfin le refus de toute forme de discrimination».
Mise à jour à 17 h 15 avec davantage d’éléments.