C’est un petit manuel de résistance contre le nuage obscur qui menace à nouveau nos démocraties fatiguées. Un diagnostic clinique pour identifier les racines du mal qui gagne les esprits et infiltre tous les corps de la société. Cet opuscule d’une centaine de pages, organisé en 95 points comme autant de symptômes, pose les mots justes pour démasquer et combattre ce fascisme dont la promesse est rendue «raisonnable» par ses complices d’aujourd’hui et de demain. Résolument ancré à gauche, ami et compagnon de route des regrettés François Geze et Eric Hazan, ancien pilote de La Découverte et du Seuil, l’éditeur Hugues Jallon publie le Temps des salauds – Comment le fascisme devient réel, aux éditions Divergences.
Un nouveau pavé dans le marigot de l’extrême droite – après Collaborations de Laurent Mauduit – en cette rentrée qui voit le RN de Le Pen et Bardella imposer toujours plus ses thématiques identitaires et racistes dans un débat public trumpisé par le réseau X de Musk et les médias de Bolloré. Le fascisme ? «Ça commence avec les fous, ça se réalise grâce aux salauds et ça continue à cause des cons», pose François Jallon, en citant cette sentence anonyme et éternellement pertinente.
«Le salaud sait parfaitement ce qu’il fait»
Les «fous» qui constituent les bataillons minoritaires de l’ultra-droite et «se jettent de tout leur corps» dans la guerre identitaire ne sont rien sans les vrais «salauds» : tous ces députés «modérés» devenus admirateurs d’Elon Musk et Javier Milei ; ces patrons qui comme en 1936 voteraient plutôt Hitler que Front populaire ; ces journalistes qui n’ont plus d’autre boussole que l’air du temps, fut-il fétide ; ces «philosophes» renégats qui vomissent leur haine du «wokisme» et assurent tranquillement que «le RN n’est plus pétainiste» ; tous ces «nouveaux réactionnaires» qui «sentent le vent nouveau» du fascisme ordinaire, égrène Jallon. Tous ceux-là, au contraire des opportunistes, ne sont pas des «cons» : «le salaud, lui, sait parfaitement ce qu’il fait», «il cultive sa différence» aujourd’hui et répondra présent demain pour «accélérer le mouvement».
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L’extrême droite «est en train de comprendre qu’elle a déjà gagné», elle devient «fréquentable» : «Ce n’est plus qu’une question de temps», celui «des salauds», alerte l’auteur dans cet essai lucide et nerveux. La «bataille culturelle» ? Les fascistes usurpateurs de Gramsci semblent l’avoir déjà remportée : «L’enseignement que le fascisme est mort en 1945, que l’extrême droite contemporaine n’est pas fasciste et qu’elle n’est plus vraiment ou plus du tout d’extrême droite s’est peu à peu imposé.» Il a suffi au parti fondé par Jean-Marie Le Pen de faire mine de «prendre ses distances» avec son passé d’ex-collabos, SS et autres tueurs de l’OAS pour se «banaliser». Marine Le Pen et Eric Zemmour sont courtisés jusqu’à l’Elysée : Emmanuel Macron annonçant vouloir rendre hommage à tous «les maréchaux» y compris Pétain, citant Maurras pour flatter «le pays réel», badinant dans les colonnes de Valeurs Actuelles… De quoi décomplexer tous ceux qui sont «là sans y être», comme cet «intellectuel de plateau» prétendument «grand adversaire de l’extrême droite» qui accepte une invitation à la convention de Reconquête.
Pour être du festin
Tous ceux-là, qui n’iront jamais voter LFI pour faire barrage au RN, sortiront un jour de «l’ambiguïté» au prétexte de combattre l’islamisme. C’est pour bientôt, 2027 approche. Et une machinerie infernale est en place pour faire gagner l’extrême droite ou ne pas s’opposer à sa victoire. C’est la nébuleuse médiatique CNews de Bolloré et le projet «Périclès» de Pierre-Edouard Stérin. Et ces milliardaires militants ne sont plus «seuls» : à choisir, le président du Medef, Patrick Martin, ne voit-il pas désormais le RN comme «un risque» plus propice au business que ne le sera le programme de la gauche ?
Mais le meilleur moyen «de rendre le fascisme réel» est de «porter ses coups contre l’antifascisme» : pour Hugues Jallon, l’accusation d’antisémitisme qui frappe indistinctement tout un pan de la gauche depuis les massacres du 7 Octobre commis par le Hamas est un marqueur d’autant plus inquiétant qu’elle «blanchit» à la fois le génocide mené à Gaza par Nétanyahou et l’antisémitisme historique de l’extrême droite. Le fascisme d’ambiance, juge-t-il, est aussi là dans le langage de la «fermeté», du «réarmement» et de la «régénération» brandie avec la droite par la macronie. Et tous les signes sont là du moment de bascule qui verra le pays continuer «à fonctionner», grâce aux «cons» et aux «lâches». Mais le pire c’est bien «le salaud qui sait l’inanité de la promesse fasciste et les drames qu’elle annonce» mais «s’emploiera à la rendre raisonnable» pour être du festin. Il faut lire ce petit précis du fascisme qui vient pour mieux lui barrer la route. Ceux «qui ne savaient pas» n’auront pas d’excuses.