C’est une nouvelle péripétie dans un feuilleton administratif et politique complexe en cours depuis plusieurs années. Saisi par l’association de lutte contre la corruption Anticor, le tribunal administratif de Paris juge finalement illégale ce lundi 14 avril, la décision du gouvernement, qui dans un premier temps, avait refusé de lui renouveler son agrément. Une victoire symbolique, puisque Gabriel Attal (alors Premier ministre démissionnaire) s’était finalement résolu à le lui rendre le 5 septembre 2024. Mis en place en 2013 après l’affaire Cahuzac, dans le cadre des lois de moralisation de la vie publique et de lutte contre la corruption, ce dispositif permettait à Anticor de se porter partie civile, c’est-à-dire de saisir un juge d’instruction indépendant, même si la plainte a été classée par le parquet. Depuis sa création en 2002, l’association est impliquée dans plus de 160 dossiers, dont plusieurs visant des ministres ou collaborateurs d’Emmanuel Macron.
Valide pendant trois ans, l’agrément avait d’abord été renouvelé une première fois en 2018 par la ministre de la Justice de l’époque, Nicole Belloubet. Mais en 2020, son successeur Eric Dupond-Moretti ne pouvait pas se prononcer sur son cas, étant lui-même l’objet de poursuites déclenchées par Anticor. L’examen du dossier avait donc été transmis au Premier ministre Jean Castex, qui avait opté pour un renouvellement le 2 avril 2021. Sauf que deux dissidents de l’association, qui traversait alors d’importants remous internes mettant en cause son mode de gouvernance, avaient décidé d’attaquer en justice le choix de Matignon. Une première décision du tribunal administratif de Paris du 23 juin 2023 leur avait donné gain de cause, en annulant l’arrêté de Jean Castex de 2021.
«L’association remplissait toutes les conditions»
Aussitôt, l’association avait annoncé faire appel de ce jugement, et déposé un dossier pour obtenir un nouvel agrément auprès de Matignon. Mais le 16 novembre 2023, la cour administrative d’appel de Paris avait confirmé l’annulation. L’exécutif avait aussi laissé la requête lettre morte. Après l’absence de réponse du Quai d’Orsay, qui avait récupéré la responsabilité de l’arbitrage, Anticor avait officiellement perdu son agrément fin 2023. Le procureur général honoraire près la Cour de cassation, François Molins, avait alors critiqué le rôle décisif confié à l’exécutif, estimant qu’«il serait plus sain pour notre démocratie que ce ne soit pas le gouvernement qui statue sur les demandes d’agrément, mais une autorité administrative indépendante comme la HATVP».
Saisi d’un recours par l’association Anticor, le tribunal administratif de Paris juge aujourd’hui que ce refus était illégal. «L’association remplissait, à la date du 26 décembre 2023, toutes les conditions lui permettant de se voir délivrer cet agrément, indique-t-il. En particulier, contrairement à ce que soutenait le gouvernement en défense, le tribunal considère que les nouveaux statuts adoptés par l’association le 26 mars 2022 garantissaient le caractère désintéressé et indépendant de ses activités et qu’aucun élément ne permettait de considérer que son fonctionnement n’était pas conforme à ces statuts».
«Le refus de renouveler l’agrément d’Anticor, avant qu’il ne soit finalement renouvelé, est à juste titre sanctionné par le tribunal administratif, a réagi l’avocat de l’association Me Vincent Brengarth. Cette décision confirme le rôle essentiel d’Anticor à l’heure où la justice anticorruption est malmenée de toutes parts».