Les bras croisés sur son siège, Laurent Wauquiez grimace. Le chef de file de la droite à l’Assemblée vient de perdre ce mardi soir un (petit) morceau d’influence dans les instances stratégiques du Palais-Bourbon. Deux semaines après l’élection de l’insoumise Aurélie Trouvé à la présidence de la commission des affaires économiques, l’écologiste Jérémie Iordanoff a été élu vice-président de l’Assemblée, dépassant de 14 petites voix la candidate LR Virginie Duby-Muller. «C’est la défaite du socle commun», a trompeté le député de l’Isère salle des Quatre-Colonnes, constatant les «divisions» de la coalition soutenant Michel Barnier. A ses côtés, la présidente du groupe écologiste, Cyrielle Chatelain, a salué la «victoire de l’union du Nouveau Front populaire. Quand on est unis, on peut remporter des choses dans cette Assemblée.»
La succession d’Annie Genevard (Les Républicains), nommée ministre de l’Agriculture, a une nouvelle fois mis les nerfs du bloc central à vif. En théorie, la répartition des postes stratégiques avait fait l’objet d’un deal global entre Gabriel Attal, patron du groupe Ensemble pour la République (EPR), et Laurent Wauquiez, chef de file des députés Droite républicaine (ex-LR). En pratique, l’accord, qui a fonctionné cet été, a pris un coup dans l’aile début octobre, après l’élection surprise d’Aurélie Trouvé à la tête de la commission des affaires économiques, laissée vacante par l’entrée d’Antoine Armand au gouvernement.
«C’est 100 % la faute du Modem»
La brouille s’est rejouée pour la vice-présidence. Le bloc central savait que, divisé, il prendrait le risque de laisser filer le fauteuil d’Annie Genevard au Nouveau Front populaire. Laurent Wauquiez voulait que le siège reste dans le giron LR. Pour ça, il avait besoin de toutes les voix du bloc central. Les groupes EPR et Horizons ont joué le jeu, se rangeant derrière la candidate LR et ne présentant pas de candidat. Le Modem, de son côté, a joué sa carte personnelle en présentant son propre candidat, Christophe Blanchet. Le président du groupe, Marc Fesneau, s’estimait lésé après la répartition estivale des postes : son groupe dispose d’une seule présidence de commission, et est absent du bureau de l’Assemblée.
Au premier tour du scrutin, en milieu d’après-midi, chaque camp s’est donc compté. Le candidat du Modem a récolté 69 voix. Le groupe comptant 33 députés, des élus macronistes, ou Horizons, n’ont pas soutenu le deal Attal-Wauquiez. La candidate LR, Virginie Duby-Muller, a engrangé 127 voix, puisant donc au-delà de son groupe (47 têtes). Le candidat RN, Yoann Gillet, a fait le plein de son groupe, plus des voix de celui d’Eric Ciotti, allié de Marine Le Pen. Jérémie Iordanoff, lui, a récolté 156 voix. Un cinquième candidat, le député de Guadeloupe Olivier Serva (Liot), a recueilli 29 voix. Faute de majorité au second tour, un troisième tour a départagé les candidats. Côté Modem, Blanchet s’est retiré. Mais les voix bayrouistes ne se sont pas entièrement reportées sur Duby-Muller… «Il y a des voix qui viennent du Modem, ou ailleurs», a reconnu Iordanoff après sa victoire. «Il y a forcément des gens du socle commun qui ont voté NFP, calcule un député LR. Reste à savoir si c’est Horizons, LR, Modem ou EPR.»
Les troupes du bloc central savaient le scrutin risqué pour elles. En réunion de groupe ce mardi matin, Gabriel Attal avait appelé ses ouailles à voter pour la candidate LR. «Je sais que c’est difficile», avait-il convenu devant eux, se remémorant l’épisode de la commission des affaires économiques. La présidente de l’Assemblée, Yaël Braun-Pivet, a elle aussi pris la parole, appelant les députés EPR à la responsabilité, alors que le bloc central est déjà minoritaire au bureau de l’Assemblée. «C’est 100 % la faute du Modem, râlait après le vote un conseiller du groupe. Jusqu’au bout, Gabriel [Attal] a tenté de dissuader [Christophe] Blanchet. Sa candidature ne servait à rien. Il n’avait pas de garanties.»
«Erosion dans le socle commun»
Signe des crispations au sein du «socle commun», des émissaires EPR ont même tenté de savoir si les centristes du Modem avaient dealé en secret avec Marine Le Pen… Quelques minutes avant le vote, les cadres du groupe ont, eux, tenté de battre le rappel, sachant que le scrutin se jouerait à une poignée de voix. «Les amis, ça va être hyper serré au troisième tour, on compte sur vous», écrivait le député Mathieu Lefèvre, quand l’ancien Premier ministre, Gabriel Attal, appelait à voter Duby-Muller «afin d’éviter de creuser l’écart de la majorité NFP au bureau». «Nos partenaires n’ont pas mobilisé», tique-t-on seulement au sein du groupe LR. De son côté, Duby-Muller pointe la «remobilisation du NFP» et une «érosion dans le socle commun».
Ce nouvel épisode devrait laisser encore quelques traces dans l’alliance soutenant le gouvernement. Chaque camp accusant l’autre de fragiliser la coalition. «Gabriel Attal est dans une logique hégémonique», a dénoncé Wauquiez lundi auprès de l’AFP. Le député de Haute-Loire a aussi pointé le «deal» scellé selon lui entre le RN et EPR pour deux commissions. «Pour ceux qui sont des pourfendeurs de la bête noire, j’avoue que j’ai connu mieux en termes d’éthique politique», a-t-il griffé. Un échange musclé l’a opposé lundi soir au chef de file du Modem à l’Assemblée, Marc Fesneau, en marge d’une réception au ministère des Relations avec le Parlement, comme l’a rapporté Politico. «Ce n’était pas tendu, rapporte un participant, c’était les tontons flingueurs !» Ambiance.