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Diplomatie

Paris riposte à l’ultimatum algérien, la crise s’enlise

La France a renvoyé à son tour, ce mardi 15 avril, douze agents algériens et rappelé son ambassadeur, en réponse au renvoi de douze fonctionnaires français en poste à Alger. Une première mesure qui avait été prise en réponse à l’arrestation en France d’un agent consulaire algérien. Les perspectives d’une normalisation s’éloignent.
Emmanuel Macron à l'Elysée le 14 avril 2025. (Gonzalo Fuentes/REUTERS)
publié le 15 avril 2025 à 18h57

A la colère d’Alger, l’Elysée rétorque sa «consternation». Quarante-huit heures après l’ultimatum adressé par l’Algérie à la France, lui notifiant dimanche le renvoi de douze fonctionnaires, Paris a répliqué dans les mêmes proportions mardi 15 avril : douze agents «servant dans le réseau consulaire et diplomatique algérien en France» vont être expulsés de l’Hexagone, a annoncé la présidence de la République dans un communiqué publié dans la soirée. L’ambassadeur de France à Alger, Stéphane Romatet, va également être rappelé en France. Du jamais-vu de mémoire d’un ancien diplomate passé par Alger. Après l’expulsion des agents français, dont les derniers devaient se poser en France mardi soir, Paris a dénoncé une décision «qui méconnaît les règles élémentaires de nos procédures judiciaires, [qui] est injustifiée et incompréhensible». Le régime algérien est accusé par le gouvernement français d’endosser «la responsabilité d’une dégradation brutale» de la relation bilatérale. «Les autorités algériennes ont fait le choix de l’escalade», a accusé le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, mardi soir sur TF1.

Séquestration, en avril 2024, de l’opposant au régime algérien Amir Boukhors

Après huit mois de relations exécrables entre les deux capitales, et un semblant de réchauffement amorcé fin mars après un échange téléphonique entre Emmanuel Macron et son homologue algérien, Abdelmadjid Tebboune, suivi dimanche 6 avril d’un déplacement de Jean-Noël Barrot à Alger, les perspectives d’une normalisation s’éloignent. Entre les deux pays, la tension s’est cristallisée ce week-end après l’arrestation, vendredi 11 avril en France, de trois hommes, dont un employé de l’un des consulats d’Algérie en France. Tous ont été mis en examen pour arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire, en relation avec une entreprise terroriste, selon le Parquet national antiterroriste (Pnat). Ils sont soupçonnés d’être liés à la séquestration, en avril 2024, de l’opposant au régime algérien Amir Boukhors, un influenceur surnommé Amir DZ, très influent sur les réseaux sociaux comme TikTok. Un enlèvement jugé «avéré» par le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau. La diplomatie algérienne, de son côté, a torpillé un «acte indigne», «conséquence de l’attitude négative, affligeante et constante du ministre de l’Intérieur français vis-à-vis de l’Algérie».

Tenant d’une ligne dure face à Alger depuis sa nomination à Beauvau, l’ancien patron des sénateurs LR s’est retrouvé la cible des autorités algériennes, l’accusant de «barbouzeries à des fins purement personnelles». «Je prône la fermeté depuis des mois, s’est targué de son côté Retailleau sur CNews mardi soir. Je l’ai d’abord prônée seul dans le désert, puis le gouvernement en a fait sa ligne.» Pourtant écarté de l’éruptif dossier algérien, qu’il a mêlé à sa campagne interne pour la présidence des Républicains (LR), au profit du Quai d’Orsay, Retailleau s’est félicité sans fard de l’expulsion de diplomates algériens, en visant le pouvoir algérien. «Trop souvent le régime a profité de nos faiblesses, a-t-il déroulé sur la chaîne de Vincent Bolloré. La France a été pour lui une sorte de bouc émissaire. Il est inacceptable, inadmissible que la France soit un terrain de jeu pour les services algériens.»

«L’exécutif n’y est pour rien mais les Algériens n’imaginent pas qu’il soit indépendant»

Les efforts de réchauffement diplomatiques risquent désormais de sérieusement patiner. «C’est l’escalade du côté algérien, relève Laurent Lhardit, député (PS) des Bouches-du-Rhône et président du groupe d’amitié France-Algérie à l’Assemblée. Je pensais qu’on allait vers un apaisement. C’est regrettable.» Après cette nouvelle crispation, la France entend désormais «défendr [e] ses intérêts et continuer d’exiger de l’Algérie qu’elle respecte pleinement ses obligations à son égard», indique le communiqué de l’Elysée. Sur X, le patron du Quai, Jean-Noël Barrot, a lui aussi imputé «l’escalade» diplomatique à Alger : «Nous répliquons comme annoncé. […] Le dialogue, toujours, mais pas à sens unique.» Invité ce mardi matin sur France 2, le ministre des Affaires étrangères avait affirmé que son collègue de l’Intérieur «n’a rien à voir» avec l’affaire judiciaire liée à l’influenceur Amir DZ, et insisté sur l’indépendance de la justice française. «Les Algériens tentent de jouer sur la solidarité au sein de notre gouvernement», avance un député LR, membre de la commission des Affaires étrangères. «L’exécutif n’y est pour rien mais les Algériens n’imaginent pas qu’il soit indépendant», avançait également lundi un ancien haut cadre du renseignement, connaisseur de l’Algérie. Tranchant, le communiqué de la présidence française n’évoque pas, en revanche, la situation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, incarcéré en Algérie après sa condamnation à cinq ans de prison. Vendredi, Emmanuel Macron se disait pourtant «confiant» sur sa libération prochaine, plaidant toujours, selon Barrot, «pour un geste d’humanité».