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Citoyenneté

Les conseils de développement, rare outil de démocratie locale, menacés par une proposition de loi

Sous prétexte de «souplesse», un amendement voté en juin au Sénat permet aux préfets d’autoriser les intercommunalités à se passer de conseils de développement. Un coup de rabot sur la démocratie participative, à moins d’un an des municipales.
Début juin, le Sénat a adopté un amendement gouvernemental autorisant les préfets à dispenser les intercommunalités de plus de 50 000 habitants de créer un conseil de développement. (Magali Cohen/Hans Lucas. AFP)
par Karl Pasquet
publié le 12 août 2025 à 16h53

Discrètement mais sûrement, le Sénat a infligé, au début du mois de juin, un sérieux revers à l’un des rares espaces institutionnels où les citoyens peuvent peser sur les choix locaux. Dans le cadre d’une proposition de loi sur le pouvoir préfectoral, les sénateurs ont adopté un amendement gouvernemental autorisant les préfets à dispenser les intercommunalités de plus de 50 000 habitants de créer un conseil de développement (Codev). Le texte de loi, ainsi modifié, a été voté en première lecture et doit désormais être examiné par l’Assemblée nationale.

Ces conseils, institués par la loi Voynet en 1999, sont des instances consultatives composées de citoyens, d’acteurs associatifs, économiques et sociaux. Leur mission : dialoguer avec les élus, débattre, proposer, parfois s’auto-saisir de sujets qui concernent le territoire. Qu’il s’agisse de logement, de mobilité, d’aménagement ou de transition écologique, ils peuvent intervenir en amont et en aval des décisions. Il en existe aujourd’hui 346 en France, dont 132 sont regroupés au sein de la Coordination nationale des conseils de développement (CNCD). Jusqu’ici, leur création était une obligation légale pour les intercommunalités de plus de 50 000 habitants.

«Une conception minimaliste de la participation citoyenne»

Pour l’exécutif, cette obligation «uniforme» ne reflète pas toujours «la diversité des situations locales» et peut être «inadaptée lorsqu’elle précède une dynamique territoriale encore en construction». L’amendement, assure le gouvernement, vise à «redonner de la souplesse et des marges de manœuvre aux élus», en leur permettant de s’appuyer sur d’autres formes de concertation déjà existantes. «Cette dérogation ne remet pas en cause le principe de participation citoyenne, mais reconnaît la nécessité d’adapter les formes de concertation aux réalités locales et à la maturité des coopérations intercommunales», justifie le gouvernement, qui ajoute vouloir laisser «la possibilité [pour l’intercommunalité concernée] de créer ultérieurement un conseil de développement, si elle estime que les conditions sont réunies pour le faire fonctionner utilement».

Sauf que du côté des défenseurs de la démocratie participative, le signal est clair : on recule. «Les conseils de développement sont composés de citoyens qui s’engagent bénévolement, aux côtés des élus, pour l’intérêt général, dans la durée. Leur existence ne peut pas dépendre d’un contexte politique ou d’un arbitrage préfectoral», rappellent dans un communiqué publié le 16 juin les coprésidents de la CNCD, Christine Azankpo et Bruno Arbouet.

Maxence Guillaud, membre du Codev de la Métropole européenne de Lille et membre du collectif d’animation nationale de la Gauche républicaine et socialiste, dénonce «un amendement qui officialise une conception minimaliste de la participation citoyenne» et «offre aux élus réticents une porte de sortie pour évacuer certaines contestations organisées». Car si les Codev ne sont pas parfaits – budgets souvent maigres (12 800 € en moyenne), composition parfois peu représentative, avis rarement suivis d’effet – ils sont, lorsqu’ils fonctionnent, de véritables laboratoires de démocratie locale : ateliers de coconstruction, débats contradictoires, propositions alternatives.

Avant même ce vote, 58 intercommunalités et 33 pôles ruraux ne respectaient pas l’obligation légale de créer un Codev. En 2019 déjà, la loi Engagement et Proximité avait relevé le seuil d’obligation de 20 000 à 50 000 habitants, excluant de nombreuses petites communautés. Ce nouvel assouplissement risque de réduire encore leur présence sur le territoire. Pour de nombreux observateurs de la vie locale, cette décision s’inscrit dans une série de signaux négatifs envoyés à la société civile organisée : à l’heure où la défiance envers les élus atteint un sommet, affaiblir un des rares espaces où les habitants peuvent dialoguer directement avec les décideurs revient à creuser un peu plus le fossé démocratique.

«Refaire du lien entre citoyens et institutions»

Le texte doit maintenant passer entre les mains des députés. Les représentants des Codev réclament la suppression pure et simple de l’article 4 ter et le maintien de l’obligation légale dans toutes les intercommunalités concernées. Ils plaident aussi pour un renforcement du dispositif : budgets garantis, plus grande diversité sociale, tirage au sort pour élargir la participation.

Et Maxence Guillaud de prévenir : «A l’heure des fractures territoriales et de la défiance politique, affaiblir les Conseils de développement revient à priver la démocratie locale d’un rare outil de reconquête. Ces espaces peuvent redevenir des lieux où l’on refait du lien entre citoyens et institutions, à condition de leur donner les moyens d’exister.»

A quelques mois des municipales de 2026, l’enjeu est clair : préserver ces lieux où la parole citoyenne peut influencer l’action publique, ou les laisser s’éteindre, doucement, sous couvert de souplesse administrative.