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Libération
Seine-Saint-Denis

«Les convictions, ça ne s’achète pas»: à Drancy, Raquel Garrido bat Jean-Christophe Lagarde, au pouvoir depuis vingt ans

L’avocate insoumise s’est imposée dimanche avec 53,5% des voix face au député sortant de la cinquième circonscription de Seine-Saint-Denis, et puissant patron de l’UDI.
Raquel Garrido à Bobigny le 18 mai. (Alain Guilhot/Divergence)
publié le 20 juin 2022 à 1h39

Des textos fébriles, des sourires incrédules, puis une explosion de joie : «L’UDI, c’est fini ! Raquel à l’Assemblée !» Sans attendre les résultats officiels, les militants du Parti communiste, qui a repris la ville à l’UDI aux dernières municipales, ont hurlé leur joie quand l’insoumise Raquel Garrido a revendiqué la victoire sur BFMTV, peu avant 22 heures. Du balcon, son compagnon, le député LFI Alexis Corbière, élu au premier tour dans la circonscription voisine, salue la foule. Des youyous fusent, on se tombe dans les bras, on s’embrasse, on pleure. «Historique» : la candidate de la Nupes a éliminé dimanche Jean-Christophe Lagarde, le député depuis vingt ans de la 5e circonscription de Seine-Saint-Denis et puissant patron de l’UDI.

Selon des résultats définitifs, 53,5 % des suffrages se sont portés sur elle, contre 46,5 % pour l’ancien maire de Drancy, sur fond d’abstention record : plus des deux tiers des électeurs ne se sont pas déplacés. A Bobigny, la candidate de la gauche unie a fait un carton : elle a réuni plus de 71 % des voix. «Une page se tourne définitivement et je souhaite bonne chance à nos concitoyens avec celle qui est désormais chargée de les représenter au Parlement», a cinglé le député sortant.

«Faire grandir des idées»

Ce n’est pas seulement un homme qui est battu, c’est un système qui est tombé. «Ce que vous avez réalisé ce soir, personne ne pensait que c’était possible. C’est absolument historique, lance Raquel Garrido à son arrivée salle Pablo-Neruda à Bobigny, sous les vivats des militants communistes. Ce que vous avez réussi à démontrer sur ce territoire, c’est que la politique ce n’est pas une affaire de marchandage. Les convictions, ça ne s’achète pas !» On lève le poing, on chante El pueblo unido pour fêter la victoire de la gauche unie et de sa candidate. Née en 1974 à Valparaiso, au Chili, ses parents y ont fait de la prison sous le régime de Pinochet.

«Nous allons pouvoir refaire de la politique au sens noble du terme : discuter avec les gens, faire grandir des idées et non plus seulement être guidé par l’intérêt», se réjouit José Moury, son suppléant, qui est aussi le premier adjoint communiste de Bobigny. La première pensée du maire, Abdel Sadi, a été pour Bernard Birsinger, l’ancien édile de Bobigny qui avait été battu d’un cheveu par le jeune et fringant Jean-Christophe Lagarde aux législatives de 2002, un an après l’accession surprise du centriste à la tête de la mairie de Drancy. Très populaire, Birsinger, électro-mécanicien de métier, était décédé en 2006. Sa défaite puis sa mort avaient signé la fin d’une époque, celle du PCF triomphant et de la banlieue rouge. En 2014, l’UDI avait arraché la mairie de Bobigny en employant des méthodes contestables. Mais cela n’a pas d’importance, ce soir. «Désormais nous avons une députée qui porte notre voix, qui nous rassemble et nous ressemble», lance Abdel Sadi.

Pendant ce temps à Drancy, l’Espace culturel se vide. Jean-Christophe Lagarde y a prononcé un discours «soft», selon un témoin : «Il a reconnu sa défaite, regretté que les habitants de Drancy ne se soient pas davantage mobilisés et souhaité bonne chance à celle qui va lui succéder.» La campagne a été tendue et émaillée de nombreux incidents électoraux et violences. Jusqu’à ce dimanche. Un barbecue a été organisé devant un bureau de vote, sur la dalle de la cité Paul-Eluard, pour «appâter les jeunes», juge Mehdi Delteil, militant de gauche, photos à l’appui. Dans les cités HLM Chemin-Vert et Salvador-Allende à Bobigny, neuf ascenseurs ont été vandalisés. Pour empêcher les habitants d’aller voter, a accusé Raquel Garrido, ex-avocate de Jean-Luc Mélenchon, qui a pesé de tout son poids pour la faire gagner, dans un message posté sur Twitter avant la fermeture du scrutin : «Faut vraiment avoir peur du peuple pour faire ça.» Mais l’heure n’est pas à régler des comptes. «La parenthèse honteuse», comme l’appelle Raquel Garrido, s’est refermée. «Vingt ans c’est beaucoup mais ça y est, c’est fini.»